L'affaire Anthony Smith au tribunal administratif : "l'État n'a pas tous les droits", vers une possible annulation de la sanction de l’inspecteur du travail

Ce mercredi 28 septembre, au tribunal administratif de Nancy, Anthony Smith attend l'annulation de sa sanction disciplinaire. En août 2020, cet inspecteur du travail, en poste à Reims, a été sanctionné par le ministère du Travail pour avoir tenté de protéger, en pleine première vague de Covid 19, les aides à domiciles d’une association rémoise.

"C’est un peu fou. Toute cette affaire, j’ai souvent dit qu’elle était surréaliste". Anthony Smith, responsable syndical auprès du ministère du Travail, attendait ce mercredi 28 septembre 2022 avec impatience et soulagement. Deux ans qu’il "traine" cette affaire. Deux ans qu’il vit et travaille avec cette sanction en permanence dans un coin de sa tête.

On a appris en début d'après-midi que la rapporteuse publique demandait l'annulation de la sanction visant Anthony Smith. Reste à voir le jugement du tribunal, attendu à la mi-octobre. "Je dis depuis deux ans et-demi que ce que j'ai fait était simplement mon travail", confie Anthony Smith auprès de France 3 Champagne-Ardenne. "Que c'était au profit des salariés, pour que leur santé et leur sécurité soit assurée. J'en ai été empêché par l'État qui m'a suspendu de manière abusive, qui m'a sanctionné en me mutant d'office. Avec ce que j'ai subi, c'est plus généralement l'inspection du travail qui a été attaquée."

"Je suis au travail à Bar-le-Duc, je fais mon travail d'inspecteur du travail et je vais le continuer. Je reste serein, comme depuis le début de cette bataille juridique. Je sais que ce que j'ai fait serait à refaire. J'espère que le jugement du tribunal annulera cette sanction qui n'a pas de base, pas de fondement : j'en serais très content. La sanction a été prise pour d'autres raisons que le droit. S'il n'y avait pas de raison à cette sanction, c'est bien qu'elle a été prise pour des raisons politiques.

"Il y a eu des interventions du président du conseil départemental de la Marne auprès du cabinet de la ministre Muriel Pénicaud. Ma direction locale est directement intervenue dans ce dossier, en demandant de ne plus faire suite à mon contrôle. Tout ça est connu et public. Alors que je suis indépendant et dois pouvoir faire appliquer le droit. L'État n'a pas tous les droits. On a tenté de faire échec à mon contrôle parce qu'il ne fallait pas que des inspecteurs du travail indépendants puissent intervenir dans des entreprises durant la première vague de covid."


Un éternel optimiste

Avant ce 28 septembre, lorsque nous l'avions rencontré à Châlons-en-Champagne, il affichait son éternel optimisme. Celui qui ne l’a pas quitté depuis ce fameux 15 avril 2020.

J’ai subi une raison d’Etat qui s’est abattue sur moi à partir du moment où le Président de la République a dit que nous étions en guerre face au covid.

Anthony Smith, représentant syndical auprès ministère du Travail

Mercredi 28 septembre 2022, au Tribunal Administratif de Nancy s'est donc déroulé l’audience concernant le recours déposé par Anthony Smith. "Ce recours, je l'ai déposé dès que j’ai été affecté d’office dans la Meuse, le 2 octobre 2020, après avoir été sanctionné d’une mutation disciplinaire dans le cadre de l’exercice de mes fonctions d’inspecteur du travail. Le tribunal aura à entendre l’affaire. Il va la traiter au fond et puis ensuite prendre un jugement qui, je l’espère, amènera à l’annulation de la sanction que j’ai subie pour avoir, en mars et en avril 2020, demandé à ce que des aides à domicile d’une association de Reims puissent bénéficier de protections dans le cadre de la première vague de Covid. Notamment des masques mais aussi toute une série de mesures. Et quand j’ai pris un référé judiciaire en m’adressant au tribunal de Reims, le soir même, j’ai été suspendu de mes fonctions pendant quatre mois, puis sanctionné au cœur de l’été 2020 d’une mutation d’office. C’est cela que je viens chercher auprès du tribunal administratif : l’annulation de ma sanction de ma mutation disciplinaire."

 Une sanction sans précédent

Depuis le 9 octobre 2020, Anthony Smith a repris son métier de terrain comme inspecteur du travail. Dans le Grand Est, certes, mais pas à Reims, son port d’attache. "Alors aujourd’hui, oui je suis à Bar-le-Duc, j’ai des collègues formidables, j’ai un secteur de contrôle qui est passionnant. Mais il reste la sanction et je ne lâcherai pas. J’irai chercher son annulation parce que je crois en ce que je fais, et je vais au bout de ce que je fais. Les menaces, les pressions j’en ai eu plein, mais, je n’aurais jamais imaginé une seconde que le ministère passerait à l’acte à ce moment-là. J’ai subi une raison d’Etat qui s’est abattue sur moi à partir du moment où le Président de la République a dit que nous étions en guerre face au covid. Moi, j’ai simplement tenté de faire mon métier comme je le fais depuis plus de 15 ans, à savoir défendre le code du travail, son application, la protection des salariés dans les entreprises. Le covid était considéré comme un risque mortel sur la première vague, il fallait que les employeurs prennent des mesures. Ce n’était pas suffisamment le cas dans l’association concernée. Je suis intervenu avec des moyens légaux, je suis intervenu légalement. J’ai saisi un juge indépendant pour qu’il puisse ordonner des mesures et face à cela, la réaction a été totalement disproportionnée. Cela a été de me suspendre".

Pressions, mise à pied, suspension

En mars 2020, Anthony Smith, inspecteur du travail en poste à Reims, est saisi par les représentants du personnel d’une association rémoise d’aide à domicile, l’Aradopa. Ces derniers estiment alors que les salariés de l’entreprise ne sont pas suffisamment protégés face aux risques mortels qu'est le coronavirus. Anthony Smith dresse alors une liste d’équipements mais aussi de mesures de réorganisation du travail à mettre en place par les responsables de la structure. Mais, face à l’inertie des dirigeants de l’association, il décide de saisir le tribunal judiciaire de Reims via un référé. Il est suspendu de ses fonctions le jour même.

Il faut se rendre compte de ce que s’est, en pleine première vague (de Covid) d’être suspendu et confiné en ayant des huissiers à la maison qui débarquent un jour pour vous notifier de la suppression de votre ordinateur, de votre téléphone portable.

Anthony Smith, responsable syndical auprès du ministère du Travail.

"Tout cela se passe dans une situation locale, marnaise, assez particulière, avec des pressions, avec des influences, avec des présidents de conseil départemental qui échange avec ma direction, qui échange avec le préfet, qui échange avec le cabinet de Muriel Pénicaud (alors ministre du travail) pour organiser ma suspension. Tout cela est documenté. Dans des mails (que la rédaction de France3 à diffuser) on y apprend que ma direction demande à l’employeur de ne pas répondre à mes sollicitations. On y apprend que l’employeur demande où en est la procédure disciplinaire me concernant avant même que j’en ai connaissance. Enfin voilà, quelque chose qui apparait comme un mauvais polard de série B. Malheureusement, c’était réel. Je veux que l’histoire se termine et je pense qu’elle va se terminer en reconnaissant la responsabilité de l’administration dans cette affaire."

Le 15 avril 2020, Anthony Smith est donc mis à pied, puis pendant l’été suivant, suspendu de ses fonctions et muté en région parisienne. "Le droit disciplinaire, ce n’est pas du droit. C’est celui qui vous accuse qui vous juge. C’est celui qui dit que vous avez commis une faute qui décide de la sanction. Il n’y a aucune séparation. L’affaire était jugée d’avance à partir du moment où j’étais sanctionné, suspendu. L'administration a déroulé sa procédure disciplinaire, m’a laissé quatre mois coupé, débranché. Il faut se rendre compte de ce que s’est, en pleine première vague (de Covid) d’être suspendu et confiné en ayant des huissiers à la maison qui débarquent un jour pour vous notifier de la suppression de votre ordinateur, de votre téléphone portable. Pour vous convoquer à un conseil de discipline… Tout cela sans aucun échange. L’Etat, dans sa version la plus absolutiste, qui se met en branle et ça n’a rien d’un procès équitable".

Comité de soutien et pétition

La sanction de l’été 2020 est révisée une première fois. L’Etat et son ministère du travail font marche arrière avec l’arrivée d’Elisabeth Borne. "On a déjà gagné beaucoup de choses. Elisabeth Borne, le 9 septembre 2020, dans les colonnes du Monde, considère que l’ensemble du dossier est "ni fait, ni à faire" et m’a réintégré dans ma région Grand-Est alors que j’étais muté à Melun. Elle m’a réintégré aussi à mon poste d’inspecteur du travail au contrôle alors que j’étais dans un placard et dans mes mandats syndicaux dans la région notamment". Des premières victoires qu’il doit à sa ténacité mais aussi aux soutiens nombreux qu’il reçoit.

Maintenant il faut réparer, il faut reconnaître. C’est ce que fera, j’espère, le tribunal ce 28 septembre.

Anthony Smith, représentant syndical auprès du ministère du Travail

"Il y a deux choses extrêmement importantes. D’abord ce que j’ai fait était juste et si je devais le refaire, je le referai. J’en ai la conviction, la certitude et je n’ai fait que mon travail. La 2e, c’est la formidable mobilisation. Le Comité de soutien co-présidé par Mathilde Panot, Thomas Portes, les centaines de soutiens d’organisations, les 1300 collègues du ministère qui vont faire un appel public concernant mon affaire, les 160 000 personnes qui vont signer la pétition qu’on lance comme cela comme une bouteille à la mer et qui s’en saisissent. Tout cela, ça donne une force, celle de ne pas être seul."

 

En jeu, l’indépendance des inspecteurs

 Si Anthony Smith parle de folie dans cette affaire, une question reste en suspens : pourquoi ?

"Il s’agissait de faire un exemple, que d’autres ne fassent pas la même chose ou ne continuent pas. Il y avait eu, le 3 avril 2020, un référé judiciaire gagnant devant le tribunal de Lille, dans le même secteur d’activité. Imaginez qu’un inspecteur du travail indépendant saisisse à nouveau un juge indépendant et que d’autre s’engagent dans cette voie-là, l’Etat ne l’a pas accepté.

Vous savez, l’inspection du travail existe depuis 1892. C’est une institution qui existait même avant le ministère du travail et qui est indépendante, indépendante des influences. Alors on a des pressions institutionnelles, politiques. On y résiste. Mais là, ils ont dépassé les bornes, ils sont allés beaucoup trop loin. Ça s’est vu. Les citoyens, les partis, les syndicats, les associations ont tous réagi parce qu’en fait, derrière mon affaire, c’est la question de l’indépendance de l’inspection du travail qui a été attaquée directement par le ministère du travail lui-même".

Réparer

Mercredi 28 septembre est donc une date importante. Mais Anthony Smith savait que la décision de justice serait mise en délibéré. Il faudra donc attendre encore quelques semaines. Vivre encore un peu avec cette sanction, avec l’espoir de sa levée. Et puis, il faudra ensuite totalement digérer ces deux années et passer à autre chose. Cette période restera quoiqu’il arrive marquante et violente.

"Muriel Pénicaud a publié un communiqué de presse mi-avril (2020) à toutes les rédactions de France me trainant dans la boue. La sanction dont j’ai fait l’objet a été diffusée à l’ensemble de la hiérarchie du ministère du Travail. Des centaines de personnes en ont été destinataires. On a réellement voulu m’abattre, mais moi je suis serein, je sais pourquoi je fais ce métier-là." Depuis le début de cette affaire, nous avons sollicité la direction départementale, régionale du Travail, la préfecture puis le ministère. Jamais personne n'a répondu à nos demandes d'interview.

"Maintenant il faut réparer, il faut reconnaître." 

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