Les sablières de Châlons-sur-Vesle, à quelques kilomètres de Reims, c'est la plage en Champagne. Du sable et des coquillages qui ont fait la joie et les souvenirs d'enfance de générations de Rémois. Aujourd'hui, le site est en danger. Il devrait bientôt être classé comme réserve naturelle régionale.
Le silence est à la fois épais et, étonnamment, bienveillant. Peut-être parce qu'il n'est pas parfaitement complet. Il y a toujours un souffle de vent dans les feuilles des arbres, une branche qui craque, un oiseau pour nous faire le coup de la ritournelle. Mais le plus étonnant lorsque que l'on commence à se perdre dans les sentiers des sablières de Châlons-sur-Vesle, c'est la sensation du sol sous les pieds... Mou, agréable, et qui suscite l'envie immédiate d'enlever ses chaussures, de plonger ses orteils dans le sable.
Parce que du sable, il y en a partout. Pas du sable de chantier, non, du sable de mer, bien jaune, plutôt fin, et puis, surtout, il y a des coquillages. Les sablières de Châlons-sur-Vesle nous rappellent à chaque pas, qu'un jour, ici, dans l'histoire de l'humanité, il y a eu la mer. A l'ère tertiaire, pour être précise. C'était une mer tropicale, qui recouvrait l'ensemble de la région. Alors, si ce n'est l'odeur légèrement iodée des vagues, rien ne manque ici pour se croire sur la côte un après-midi de novembre.
"Nous ne sommes pas dans une région maritime, Mais les espèces qui poussent ici, elles, le sont. Ce qui fait qu'elles sont assez exceptionnelles dans notre région. Ce sont des espèces qui se sont vraiment adaptées au sol, qui est assez pauvre, explique Mélanie Braillon-Vuille, du conservatoire d'espaces naturels de Champagne-Ardenne. Souvent, il s'agit de plantes petites et grêles, adaptées au peu de nourriture que l'on trouve dans le sable". La laîche des sables, par exemple, va pousser dans ce sol toujours en mouvement, et grâce à son ryzhome (une sorte de tige souterraine), elle pourra se maintenir dans le sable.
Pour les animaux, comme il n'y a pas beaucoup de cachettes, ils vont développer un camouflage. Certains criquets vont avoir des couleurs dans les mêmes tons que le sable et deviendront ainsi assez difficiles à repérer pour leurs prédateurs.
Les sablières de Châlons-sur-vesle, c'est donc une faune et une flore de bord de mer, des pins sylvestres, des myosotis raides, des criquets tachetés, des papillons bleus, des abeilles des sables ou des hirondelles de rivage. Et puis, au sol et dans la pierre, l'évocation des tropiques d'il y a des millénaires. Des traces de palmiers fossilisés dans les blocs de grès, des coquillages sous nos pieds.
La plage des Rémois
"On a déjà retrouvé ici des carapaces de tortues fossilisées, des coquillages de toutes sortes, et même des dents de requin", sourit Jean-Louis Legay. Il est un peu l'historien de l'association Sauvegarde des sablières. C'est lui, et sa collègue Catherine Roussel, secrétaire de la structure, qui m'emmènent à la découverte de ce lieu unique. Pour eux, le lieu fait figure de trésor. "Quand j'étais petite, j'habitais Saint-Brice-Courcelles, donc je venais souvent ici, se souvient Catherine Roussel. Et tous les dimanches, dans l'après-midi, il y avait le marchand de glaces qui passait. Je me souviens, c'étaient les glaces Pelayo, avec leur petite camionnette. Tous les gamins accouraient pour avoir leur glace après avoir joué dans le sable".Pour les Rémois, c'était l'un des lieux emblématiques pour se retrouver dans la nature quand on habitait en appartement. Donc je pense qu'en voulant protéger ce lieu aujourd’hui, c'est aussi nos souvenirs d'enfance que l'on protège.
La dune disparaît petit à petit
Pour Jean-Louis, les souvenirs sont, disons, plus sportifs : "Quand j'étais jeune, on avait acheté une vieille voiture, 201, modèle 1936, à deux, et puis on s'amusait à faire du cross. On aimait bien venir ici. Il nous arrivait souvent de nous retrouver à cheval sur de petites buttes, entre deux trous. Mais c'était de la folie, on n'aurait jamais dû faire ça".En effet, la grande fragilité des sablières du "petit Châlons", comme aimaient à l'appeler les "Cornichons" (surnom des Rémois), c'est l'érosion, et la chute des blocs de grès qui parsèment le haut de la sablière. Il y a encore quelques dizaines d'années, la plupart d'entre eux étaient encore cachés sous le sable. Aujourd'hui, certains ont roulé jusqu'en bas de la dune. Des pins sylvestre voient leurs racines complètement mises à nu. Une érosion de la dune due au vent et aux éléments bien sûr, mais aussi aux passages de l'homme, à pied, à vélo ou à bord d'engins motorisés comme des quads. A chaque passage, c'est un peu de sable qui descend et un peu de dune qui recule.
Il y a un risque de disparition de ce milieu. Les passages répétés et anarchiques empêchent la végétation de s'installer et de stabiliser le sol.
"On s'en est rendu compte, notamment, avec le premier confinement, poursuit-elle. Avec l'absence de passage au printemps sur les sablières, on a vu que la végétation reprenait le dessus très rapidement. Ces milieux sur sable sont capables d'une grande résilience : dès que la perturbation n'est plus là, tout repart".
Protéger pour continuer à en profiter
La question d'une protection plus stricte se pose donc depuis de nombreuses années. Depuis quelques mois, les sablières sont en cours de classement en réserve naturelle régionale. Un statut qui permettra de réglementer plus strictement l'usage des sablières. "L'idée est de mieux sensibiliser encore la population à la préservation de ce milieu, soutient Mélanie Braillon-Vuille, mais aussi de pouvoir sanctionner, si vraiment on constate des abus à répétition, et notamment le passage d'engins motorisés très préjudiciables pour le milieu". Aujourd'hui, il n'y en effet aucun moyen réglementaire de sanctionner ces comportements, malgré le fait que les sablières se situent sur une zone Natura 2000. Le classement en réserve naturelle régionale des sablières de Châlons-sur-Vesle pourrait intervenir au début de l'année 2021.Mais, pour le conservatoire d'espaces naturels, pas question pour autant de placer le site sous cloche. "Les familles viennent sur le site depuis plusieurs générations, constate Mélanie Braillon-Vuille. Il y a un attachement affectif à ce lieu, et les démarches de classement n'ont absolument pour objectif de casser ce lien. Le but est que tous puissent continuer à en profiter, mais en profiter différemment, et de facon plus canalisée".
Pour que la joie présente dans les souvenirs de ceux et celles qui y ont fait des châteaux de sable pendant des décennies puissent se retrouver aussi dans les futurs souvenirs des enfants d'aujourd'hui.