Confinés dans de petits appartements à cause de la crise du covid19, certains se sentent comme en prison. Mais s'agit-il vraiment d'une privation de liberté ? Michel, ex-détenu, témoigne.
"Respecter le confinement, c'est un devoir." Appelons-le Michel. Il a aujourd'hui 67 ans. Il a passé quinze ans de sa vie en maisons d'arrêt, à Clairvaux dans l'Aube, à Châlons-en-Champagne, dans la Marne. Le prix à payer pour des braquages. "Heureusement, je n'ai pas de sang sur les mains."Le confinement, il l'accepte. "Il faut dire aux gens restez chez vous, respectez les règles de confinement, respectez vos aînés. Ce n'est pas une responsabilité mais un devoir de rester confiné. Je suis pour la liberté mais aussi pour l'ordre et la discipline, nécessaires pour sauver le monde. L'humanité c'est un tout. Ou tout le monde s'implique, ou on y reste tous."
L'engrenage de la délinquance
Il a accepté de témoigner. En fait, il avait commencé à écrire son histoire lorsqu'il était en prison. Pour expliquer, pour s'expliquer. Mais le manuscrit a disparu lors d'un dégât des eaux. "La délinquance n'est pas venue comme ça. C'est la vie, comme si c'était écrit.""L'incarcération, je l'ai méritée. J'étais tombé dans la délinquance, j'ai payé. Le confinement, ce n'est pas pareil. C'est injuste, car les gens n'ont rien fait pour le mériter."
Il a quinze ans lorsque son père meurt. Sa mère se retrouve seule avec onze enfants à élever. Il est l'aîné des garçons, se sent responsable de la fratrie, va prendre la place du père. Michel raconte. "Ma mère travaillait dur, je la voyais souvent pleurer d'épuisement, je voulais l'aider. J'ai commencé à chaparder. Des petites choses. Du bois sur les chantiers, des salades et des fruits au magasin." Et puis au fil du temps, les braquages, l'arrestation, la prison. Il a 19 ans.
Une cellule minuscule entourée de béton
"L'homme peut s'adapter à tout. Dans une cellule de trois mètres sur trois, entouré de béton, avec des horaires imposés pour les promenades, des horaires pour la nourriture, je me suis construit et j'ai gardé la tête sur les épaules." Il prend ses marques. Tient grâce à sa famille, ses soeurs, sa mère. Il leur écrit tous les jours."Ce cocon familial, les liens très forts que nous avons, m'a protégé. C'est dur en prison de ne pas être déséquilibré. Les liens avec l'extérieur sont essentiels. Dans une prison, tout tourne autour du parloir et du téléphone. C'est très important. Lorsqu'il y a des conflits, des bagarres, c'est souvent lié à ça. A la moindre réflexion, ça part.""Je me suis retrouvé en prison, je n'avais pas vingt ans. J'avais beaucoup manqué l'école, je ne savais ni lire ni écrire. En prison j'ai appris. J'ai beaucoup lu. A chaque fois que je changeais d'établissement, ma première préoccupation, c'était la bibliothèque. Les livres m'ont permis de tenir. J'ai découvert Platon, Socrate, Aristote, Freud."
Il s'inscrit à des ateliers. Il va apprendre la musique, le dessin, la peinture. Je ne m'ennuyais pas. "C'est une question de mental. Je ne me suis jamais senti seul."
Finalement, cette expérience de vie l'a préparé au pire. Le confinement chez soi, ce n'est qu'une nouvelle adaptation à des conditions de vie qui changent.
Mais il pense aux autres. Les personnes âgées seules dans les EHPAD et qui meurent sans personne pour leur tenir la main. "C'est le passé et les valeurs qu'ils défendaient qui partent. J'ai un grand respect pour les personnes âgées. Nous devons faire attention aux vieillards. Ils m'ont transmis des valeurs. Je respecte le passé. Sans passé, pas de présent, sans présent pas de futur."Le confinement pour moi, c'est la musique, la réflexion, s'allonger sur un lit avec un livre, prendre soin de mes animaux. Je suis rassuré car j'ai des enfants, des petits-enfants, ils sont à l'abri.
Que peut-il se passer après le confinement ?
Comment anticiper la fin de cette période de confinement ? Les émotions, les réactions sont-elles comparables à celles que l'on ressent à la sortie de prison, lorsqu'on est à nouveau libre de bouger, d'agir ?Michel avait 34 ans lorsqu'il a été libéré. Un moment inoubliable. "Le bonheur. Une sensation de légèreté, de liberté. Le plus beau jour de ma vie. Le plus difficile ensuite, c'est de ne pas y retourner. Reconstruire sa vie. J'avais la chance d'avoir une famille qui m'attendait. Un toit... J'ai passé un CAP de ferronnerie d'art."
La fin du confinement, il faut s'y préparer. "Cela peut produire du bien et du mal. Le mal, c'est l'épidémie psychique qui peut suivre celle du virus. Attention à ne pas tomber dans l'angoisse. L'angoisse se propage comme le virus. Lors du déconfinement, nous irons vers un nouveau monde mais est-il mieux que l'actuel ? Le bien, c'est que les gens reprennent confiance dans le civisme, le contact avec la nature."
Michel fume. Cet échange l'a replongé dans son passé. Un passé qu'il n'évoque jamais. "Il faut vivre en harmonie avec le tout. Nous devons respecter la planète, respecter la nature. Il faut respecter les animaux, les insectes, les abeilles, les araignées, les arbres, les fleurs, les oiseaux. La planète est notre bien commun. L'expérience de vie m'a appris cela, je ne sais pas si je suis dans le vrai car la vérité n'existe pas", conclut-il, en toute humilité.