Réquisitionnés par le gouvernement pour distribuer des masques, les pharmaciens alliés à d'autres professionnels de santé se disent scandalisés par la façon dont le gouvernement a géré la disribution des masques. Ils demandent des comptes.
René Paulus est président de l'Ordre des Pharmaciens du Grand-Est. 1.600 officines presque équitablement réparties entre la Lorraine, l'Alsace et la Champagne-Ardenne. Il exerce en Meurthe-et-Moselle et ne mâche pas ses mots. "On a été floué par les mensonges de l'Etat. Tous les jours on nous répétait de ne pas distribuer les masques chirurgicaux à nos patients," explique-t-il.
Imaginez ce que vous pouvez ressentir lorsqu'une dame que vous connaissez depuis de longues années, vous demande un masque pour son mari qui est diabétique et que vous devez refuser.
- René Paulus, président de l'Ordre des Pharmaciens du Grand-Est
Quand vous rentrez le soir chez vous, vous avez la boule au ventre. Et tout à coup, vous apprenez qu'il y a des millions de masques qui vent être vendus par la grande distibution. Il faudra éclaircir ce qui s'est passé. Je suis satisfait qu'on puisse proposer des masques à tous les citoyens. Mais nous sommes fâchés qu'on nous ai menti."
Même sentiment de révolte chez ce jeune pharmacien installé à Reims, qui préfère garder l'anonymat. "Entre le moment où le gouvernement nous a réquisitionné au début du mois mars et la date d'autorisation de vente de masques au grand public, nous avons dû dire non à beaucoup de patients âgés. Il y en a beaucoup dans mon quartier."
Une tribune des pharmaciens
Pour le moment, les responsables de la grande distribution récusent les accusations, mais la polémique enfle. Ont-ils stocké des masques ou pas ? Les pharmacient signent une tribune : "Les masques tombent"Le 30 avril, l'Ordre des Pharmaciens co-signe une tribune pour dénoncer les manquements du gouvernement. A ses côtés, le Conseil National de l'Ordre des Médecins, l'Ordre des Sages-Femmes, des Infirmiers,,des Chirurgiens-Dentistes,,des Masseurs-Kinésithérapeutes et des pédicures-podologues. Dans cette tribune, les professionnels de santé dénoncent la gestion des masques :
"Aujourd’hui, la consternation s’allie au dégoût (...)Comment s’expliquer que nos soignants n’aient pas pu être dotés de masques quand on annonce à grand renfort de communication tapageuse des chiffres sidérants de masques vendus au public par certains circuits de distribution. Où étaient ces masques quand nos médecins, nos infirmiers, nos pharmaciens, nos chirurgiensdentistes, nos masseurs-kinésithérapeutes, nos pédicures-podologues, nos sages-femmes mais aussi tous nos personnels en prise directe avec la maladie tremblaient et tombaient chaque matin ?"
Des termes très forts qui accusent le gouvernement : "Nous sommes très fâchés de l'attitude désinvolte du gouvernement pour la distribution des masques, explique René Paulus.La veille du confinement, le 16 mars, nous avons été réquisitionnés pour distribuer des masques aux professionnels de santé. Nous avions une liste des métiers concernés, et le nombre de masques autorisés pour chacun: cinquante par semaine pour les médecins libéraux, les infirmières, cent par semaine pour les laboratoires, cent-cinquante pour les pharmacies, douze pour les étudiants en médecine, et trois par semaine et par employeur pour les aides à domicile. Tout était contingenté car nous manquions de masques. Et la semaine dernière, on apprend qu'il y en a des millions que la grande distribution s'apprête à vendre".
Les directives du ministère changeaient tous les jours
Dans cette pharmacie de Reims, l'absence de directives claires a été très mal vécue. "Au début, nous devions distribuer des masques mais les directives changeaient tous les jours. Une fois, on nous disait vingt masques pour les médecins libéraux, puis trente puis quarante; on l'apprenait parfois en regardant la télévision. Nous devions tout consigner sur la plate-forme distri-masques, les professionnels de santé faisaient la même chose de leur côté, ce qui devait permettre de mieux gérer la distribution et les besoins. Mais nous n'en avions pas assez. Au début, nous ne devions même pas en donner aux aides à domicile."
La situation s'améliore
La situation semble s'améliorer peu à peu pour les professionnels de santé. C'est le constat que fait le président de l'Ordre des Pharmaciens. "Aujourd'hui, on a suffisamment de masques pour en distribuer aux professionnels de santé. Grâce à une dotation supplémentaire de la région et de l'ARS, l'Agence Régionale de Santé, les pharmaciens ont pu obtenir davantage de masques chirurgicaux. Toutefois ils restent contingentés." Pour ce qui est du grand public, c'est toujours l'attente.Des masques promis mais pas encore livrés
Dans les pharmacies, depuis que la vente au grand public est autorisée, les demandes de masques ont doublé. Malheureusement, les pharmaciens ne peuvent toujours pas répondre à la demande car leurs commandes n'ont pas encore été livrées. "Tous les masques que nous allons vendre doivent porter la certification AFNOR," précise René Paulus. "Le masque doit avoir le logo. Chaque pharmacien s'est débrouillé avec ses distributeurs. Moi, je n'ai pas encore été livré. J'attends les boîtes cette semaine. J'ai commandé des boîtes de cinquante masques chirurgicaux chez mon grossiste. On en fera des paquets de dix pour satisfaire un maximum de clients."
Le pharmacien de Reims attend lui aussi ses masques grand public."J'en ai commandé cinq cents, trois cents masques chirurgicaux et deux cents en textile. Ils doivent arriver cette semaine. J'ai choisi des masques textile grand public aux normes, en fonction du nombre de lavages possibles." En pharmacie, le prix des masques chirurgicaux est limité à quatre-vingt quinze centimes. Le prix des masques grand public en tissu est libre.
L'heure des comptes viendra
Les signataires de la tribune du 30 avril n'entendent pas en rester là. Ils prennent date :"L’heure viendra, nous l’espérons, de rendre des comptes. En attendant, nous allons poursuivre notre mission de professionnels de santé, car c’est notre engagement. Avec néanmoins l’amertume de se dire que la responsabilité n’est pas la mieux partagée de toutes les vertus."A l'heure du bilan, une fois la pandémie passée, ces professionnels de santé, particulièrement exposés durant cette lutte contre le Covid-19, entendent bien comprendre pourquoi la distribution de masques a été mal gérée.