Joelle, une retraitée de 66 ans testée positive au coronavirus, est décédée au CHU de Reims après une semaine passée en réanimation. Dans un courrier adressé aux députés et sénateurs de la Marne, son époux Lionel dénonce l'incompétence et la responsabilité des pouvoirs publics.
Il est lui-même tombé malade mais est aujourd'hui guéri du coronavirus. Son épouse, elle, est morte dimanche 29 mars au matin, victime de son diabète et d'une grave détresse respiratoire due au covid19. Mais le travail de deuil attendra. A 68 ans, Lionel Petitpas est un homme en colère. Colère contre l'actuel pouvoir exécutif et les précédents, coupables à ses yeux de ne pas avoir anticipé la pandémie et d'avoir appauvri l'hôpital public. Entretien.
Après le décès de votre épouse, vous avez adressé un courrier à 8 députés et sénateurs marnais en demandant à les rencontrer. Pour quelles raisons ?
J'ai écris ce courrier en tant que victime mais aussi en tant que simple citoyen, effaré par le laxisme de notre actuel gouvernement et celui des précédents. Les morts actuels, dont le décompte est annoncé tous les soirs aux informations, sont la conséquence directe des restrictions de budget, des fermetures de services et de lits dont a souffert l'hôpital public ces dernières années. Il me semble important d'ouvrir les yeux des responsables publics.
On a considéré que les fonctionnaires étaient trop "coûteux" et que la santé finalement devait être pensée comme une "marchandise" parmi d'autres. C'est cette logique budgétaire qui est à l'origine de cette catastrophe.
Avez-vous obtenu des réponses ?
Deux députés, Eric Girardin (Lrem) et Charles de Courson (Libertés et Territoires), ainsi qu'un sénateur Yves Detraigne (Modem) m'ont répondu. Ils me reprochent d'être violent dans mes critiques mais ce n'est pas violent d'avoir perdu ma femme ? De plus, ils me renvoient vers la future commission d'enquête parlementaire dont le préalable, la mission d'information parlementaire sur le coronavirus, s'est ouvert ce mercredi 1er avril à l'Assemblée Nationale. Mais je ne crois absolument pas en ce processus : les politiques se protégeront mutuellement pour fuir leur responsabilité et je crains qu'il ne se passe rien derrière. "Les loups ne se mangent pas entre eux", comme on dit...
Votre combat va t-il se déplacer sur le terrain judiciaire ?
Je réfléchis à déposer plainte contre Edouard Philippe et l'ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn pour mise en danger de la vie d'autrui. Le maintient du premier tour des élections municipales a été un véritable scandale alors que son annulation n'aurait pas menacé la démocratie en France... Résultat aujourd'hui, de nombreux assesseurs et présidents de bureaux de vote sont eux aussi tombés malades. C'est un flagrant délit d'irresponsabilité à mes yeux.
Par ailleurs, le chef de l'Etat a parlé de "guerre" contre le coronavirus mais il a envoyé au front des soldats, les soignants, mal équipés et sans "armes" pour reprendre son champ lexical.
Dans votre courrier, vous demandez également aux pouvoirs publics de rendre hommage aux victimes. Sous quelle forme ?
Je ne souhaite pas d'excuses car cela ne fera rien avancer. J'aimerais bien une plaque commémorative ou une stèle dans chaque commune ou chaque département...La France est grande il y a de la place...
Lorsque vous entendez Emmanuel Macron expliquer qu'il tirera toutes les conséquences de la pandémie et que le "jour d'après" ne sera pas comme le "jour d'avant", quel est votre ressenti ?
Malgré ma douleur, cette intervention m'a réellement fait sourire... Il fallait le faire avant selon le vieil adage "gouverner c'est prévoir". J'ai été cadre en entreprise, c'est ce que j'ai toujours essayé de faire. Cette crise sanitaire n'est pas arrivée par hasard, d'autres pays, la Chine, l'Italie, ont été victimes avant nous. On ne peut pas dire qu'on a découvert tout ça, un beau matin.
J'ai voté Emmanuel Macron aux deux tours de l'élection présidentielle et me suis toujours battu contre les extrêmes, mais aujourd'hui il n'a plus aucune crédibilité à mes yeux.
Qu'espérez-vous par dessus-tout ?
J'espère que ma fille Aude, infirmière, n'attrapera pas ce virus à son tour et que le covid-19 ne va pas me la prendre, comme il m'a pris sa mère. Je me retrouverai tout seul sinon...
Extrait du courrier de Lionel Petitpas
"Comment voulez-vous garder une once de crédibilité ? Comment pouvez-vous imaginer qu'après cela les citoyens français puissent observer la moindre consigne ? Comment pensez-vous que l'on puisse vous octroyer la moindre confiance ? Il n'y a rien de plus dangereux et de plus contre-productif qu'un peuple défiant... Comment voulez-vous qu'il en soit autrement ?HONTE A VOUS !
L'heure est grave.
Le temps viendra où chacun de vous sera jugé sur ses actes et sur ses manquements. Le jour viendra où vous devrez expliquer au peuple de France la mesure de notre impréparation.
Les premiers de cordée n'ont pas équipé la voie et c'est votre responsabilité qui est engagée."
Parmi les destinataires de ce courrier, le député LREM de la Marne, Eric Girardin nous a livré sa réaction. "J’ai compris sa détresse je lui ai répondu, avec évidemment toutes mes condoléances et mon soutien. Au-delà de ça, je lui ai proposé de le rencontrer après la confinement et il a accepté. Il m'a remercié du soutien. Mais face à cette situation particulière, plus globalement, je me mets à la place de ces gens qui ont perdu un proche dans ce contexte. Je partage leur douleur. On va donc échanger après, sur tout ça, on reprendra points par points les sujets qu'il expose".