Coronavirus : à Reims, comment les sourds tentent de combattre l'isolement

La culture sourde a toujours eu une place à part à Reims. Comment la communauté traverse-t-elle cette crise sanitaire ? Se sent-elle encore plus isolée ? Sa principale crainte : ne plus pouvoir lire sur les lèvres si le port du masque devient obligatoire.

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Anaïs Fisse est sourde. Cette Rémoise de 25 ans travaille en banlieue parisienne en tant que conseillère en LSF pour le service Canal + chez Sourdline. Si elle vit plutôt bien le confinement, le temps lui semble long. Et les proches bien loin "Je ne vois plus ma famille qui est dans les Ardennes, ni mes amis. Je ne vais plus au travail, je suis au chômage partiel, c'est comme si je n'avais plus de relations sociales", déplore la jeune fille. 

Un isolement, un sentiment de solitude partagé aussi par les entendants, mais pour les sourds, à cela s'ajoutent les difficultés de compréhension. "On craint surtout d'être en décalage avec l'information sur le contexte actuel."  Heureusement en matière d'accessibilité, les choses progressent. "Je constate tout de même, avec fierté, qu'il y a plus d'interprètes lors des allocutions du Président de la République, ce qui nous permet de pouvoir suivre les actualités et de mieux comprendre la situation", se félicite-t-elle.

 



Le plus dur pour Anaïs, ce sont ses déplacements pour effectuer ses courses de première nécessité. "Le personnel qui refuse de retirer le masque afin de communiquer car je lis sur les lèvres en général. En tant que sourd, nous aimerions qu’il y ait un autre moyen de communication, par écrit ou alors garder une distance de sécurité."

Sur les réseaux sociaux, on voit des vidéos de personnes ignorantes qui lors des allocutions présidentielles singent l'interprète avec des gestes insignifiants. C'est inacceptable et irrespectueux envers notre langue, notre communauté sourde et nos interprètes
- Anaïs, Rémoise sourde de 25 ans 


Anaïs communique au quotidien en langue des signes avec ses amis. Avec les commerçants, elle fait l'effort d'oraliser mais cela porte toujours à confusion. "La personne en face peut se dire "mais elle comprend tout ce que je dis donc je garde mon masque" ce qui est faux car être sourde et oralisante ne veut pas dire que je comprends tout ce qu'on me dit."

Les moqueries la blessent parfois. "Sur les réseaux sociaux, on voit des vidéos de personnes ignorantes qui, lors des allocutions présidentielles, singent l'interprète avec des gestes insignifiants. C'est inacceptable et irrespectueux envers notre langue, notre communauté sourde et nos interprètes sans qui on ne pourrait pas communiquer avec les entendants. C’est tout de même grâce aux interprètes que la barrière de la langue peut être brisée." 

Le contact humain lui manque aussi. Si Anaïs ne peut pas forcément téléphoner, elle écrit par mail, sms ou appelle en visio "mais c'est complètement différent que d'être en face-à-face." 

Finies aussi les activités. Anaïs fait partie de l’équipe dirigeante du Club Sportif des Sourds de Reims (CSSReims) de foot masculin. "Nous avions l’habitude de nous voir deux à trois fois par mois lorsqu'il y a un match de championnat et avec les supporters, on se réunit au foyer des sourds. Depuis le confinement, tout cela a cessé, la saison blanche a été annoncée. Il est parfois difficile de ne plus se voir, de ne plus se réunir, de ne plus partager des moments entre nous dans notre langue qui est la langue des signes", se désole-t-elle. Mais Anaïs et les autres membres du club restent tout de même en contact par visio et préparent déjà la saison prochaine. 


Les interprètes en langue des signes sont deux fois moins sollicités

Fanny Petit-Maillot est interprète professionnelle diplômée en langue des signes. Elle travaille à plein temps avec ses consœurs Nathalie, Ludivine et Pauline chez SILS 51, un service d’interprètes LSF/ Français, à Reims.

Depuis le début du confinement, elles sont moins sollicitées. "On intervient beaucoup moins. On ne se déplace plus. Les rendez-vous type banquier, médecin (si ce n’est pas urgent) sont annulés ou reportés." L’équipe a vu son activité réduite de moitié. "On continue de répondre mais uniquement par téléphone, sur la plateforme nationale. Les sourds nous contactent par webcam et ensuite on contacte le service client de l’entreprise qui cherchait à les joindre, à communiquer avec eux."  Le lien n’est pas rompu. Certains rendez-vous médicaux sont maintenus, ils se font à distance grâce aux applications de visioconférence (FaceTime, WhatsApp, Skype), comme le suivi gynécologique pour les grossesses, par exemple.

Les interprètes de SILS 51 n’ont, à ce jour, reçu aucun appel des urgences pour des cas de covid-19. "N’y-a-t-il eu aucun malade ou est-ce que les sourds s’y sont présentés sans nous parce qu’ils ne nous connaissaient pas ou n’avaient pas les moyens de nous appeler ?", s’interroge Fanny Petit-Maillot. Quoi qu’il en soit, pour le moment, ces "porte-paroles" de la communauté sourde ne sont pas intervenues. Leur zone va de Reims à Châlons-en-Champagne, parfois à Epernay et Charleville-Mézières.

150 personnes font appel à SILS 51. Se sentent-elles plus isolées avec le confinement ? Pas forcément estime Fanny Petit-Maillot. "Les sourds sont mieux pris en compte dans les messages gouvernementaux, un interprète est présent, le sous-titrage est de meilleure qualité. Ils sont bien informés."

Quant à la visioconférence, si les entendants s’y mettent plus qu’avant pour continuer à voir leurs proches, pour la communauté sourde, ce n’est pas nouveau. "Cela fait déjà partie de leur quotidien."
 

Vers un port du masque obligatoire, une difficulté supplémentaire pour les sourds

Si le gouvernement rend obligatoire le porte du masque, cela signifie que les sourds ne pourront plus lire sur les lèvres. Une barrière supplémentaire pour la communauté.

Il faut savoir que 70 à 80 % des sourds auraient des difficultés à lire le français. La langue des signes n’a pas la même syntaxe que la langue française. "Le français est une langue étrangère pour eux",  résume Fanny Petit-Maillot.

 


Pour pouvoir décrypter les émotions des soignants, une étudiante américaine, Ashley Lawrence, a imaginé un masque en transparence au niveau de la bouche. Certains interprètes en LSF ont testé ce dispositif mais, pour eux, ce n’est pas la meilleure solution car cela créé de la buée. La visière complète semble être le bon compromis entre compréhension et protection.

 

La communauté sourde est très ancrée à Reims. On l'estime à environ 300 personnes. Tous les deux ans, la ville accueille Clin d'Oeil, le plus grand festival au monde dédié aux arts en langue des signes. Des sourds de tous les continents y participent. En juillet 2019, l'évènement a avoisiné les 25.000 visiteurs sur quatre jours.

 

L'Association des Sourds de Reims et de Champagne-Ardenne (Asrca) est très active. Patrimoine, loisirs, orientation, jeunesse, elle organise de nombreuses activités. Le 4 avril dernier, la structure devait fêter ses 50 ans. Elle a dû annuler son anniversaire. 
 
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