C'est un témoignage comme on en lit des dizaines sur le web, celui d'un personnel soignant confronté à une crise sanitaire sans précédent. En toute simplicité, cet infirmier de Reims nous livre son quotidien, ses doutes, ses peurs, son optimisme.
"C’est compliqué, on ne s’attendait pas à ça, on sera marqué par tout ça c’est certain." C'est ainsi que Martin, les traits tirés par la fatigue, résume son état d’esprit partagé par beaucoup de ses collègues soignants du Grand Est et de toute la France.Infirmier au bloc au CHU de Reims depuis 2014, le Rémois, âgé de 34 ans, égrène sur sa page Facebook les jours qui passent depuis le début de la pandémie du covid19, "une semaine. 1 puis 2 puis 3, 4, 6, 10, 12 et 16 patients sur 16 lits possibles transformés en poste de réanimation."
Je crois que personne ne se rend compte de ce qui est en train de se passer ici en réanimation et au bloc, c'est la guerre
De façon plus posée, Martin évoque son quotidien. Ce mardi 31 mars, c’est son jour de repos, chez lui. Pas facile pour ce père de 3 enfants de 3, 7 et 10 ans de s’organiser entre le travail harassant et la vie de famille. D’autant, précise Martin que "ma compagne est aussi infirmière et travaille dans un service de réanimation".
Sur son profil Facebook, son post a déjà été partagé près de 5000 fois en quelques jours. Et les commentaires montrent une reconnaissance sincère pour le travail accompli par cet infirmier et ses collègues. Il décrit ce qu'il voit. "Comme tous mes collègues, je ne me suis pas assis ce jour. J'ai dû échanger quelques mots la douzième heure en passant la tête avec certaines personnes, seulement à quelques mètres de moi.
Tout le monde se regarde, s'observe. On ne voit que les yeux à travers ce treillis militaire mais ça suffit à comprendre ce que pense son voisin médecin, infirmier ou aide soignant. Toute la journée passée à régler des moteurs, seringues, respirateurs, scopes, retourner la plupart des patients asphyxiés par la "petite grippe". Beaucoup trop de patients se sont dégradés aujourd'hui. Un bon quart du service penche du mauvais côté de la balance. On n'en voit pas le bout".
Tous les lits du service sont occupés
"Au début, on avait du mal à réaliser la situation puis quand on a vu toutes les opérations reprogrammées, on en a saisi l’ampleur." Dans le service de réanimation, les choses se mettent en place très vite explique en substance Martin.Les lits se remplissent, on en compte seize. C’est ensuite le moral qui en prend un coup et ce, pour l’ensemble du personnel. Certains de ses collègues viennent d’autres services de l’hôpital, "la plupart n’ont jamais fait de réanimation donc c’est pas simple mais tout le monde est volontaire, il y a une grosse solidarité entre tous, avec les médecins aussi."Moralement, c’est compliqué, on voit des jeunes, des patients lourds qui se dégradent très vite.
Et puis il y a la fatigue, moral mais aussi physique, le rythme dense des gardes, des roulements de douze heures qui changent d’une semaine à l’autre. Il faut s’imaginer la vie dans cette unité. "Dans le service, précise l’infirmier, nous sommes 8 infirmiers ou infirmières de jour, 8 la nuit sans compter les aides de jour et de nuit et les 4 médecins réanimateurs."
Ses phrases écrites le 27 mars sur Facebook sont saisissantes de vérité. Elles témoignent d'une ambiance qui en dit longs sur le quotidien des soignants pendant cette crise sanitaire. "Je revois une collègue assise ce soir, triste. "Mon patient est si jeune...". Oui car jeune aujourd'hui c'est même 70 ans. Alors 50... C'est très jeune. Rien qu'en observant tous ces patients, ces scopes, ça fait froid dans le dos et je ne suis pas du genre à être sensible. Mais ça fait beaucoup là... Et en seulement une semaine. Des gens vont partir d'une "petite grippe" un peu plus virulente que prévue. Et d'autres prendront la place parce que "c'est la guerre".
"On attend juste l'après, l'après pandémie"
Un personnel très sollicité dans cet environnement. "Quand on retourne un malade, toutes les 10 ou 12 heures, il faut mobiliser en même temps 5 ou 7 personnes." Éprouvant.Sur la question du matériel manquant dont les médias, médecins et soignants se sont fait l'écho partout en France, pas de problème majeur dans ce service, mais chacun reste vigilant. Les heures et les jours sont longs bien évidemment dans la situation qu'il traverse, "on scrute du côté des urgences s'il y a moins d'admission, c'est devenu comme un réflexe."
L'infirmier évoque aussi le confinement, et ceux qui n'ont pas compris son intérêt. "En rentrant, je vois des gens marcher, se balader, courir... Personne ne peut comprendre ce qu'il se passe ici à l'hôpital. Je parle pour le service où je rend service... Mais aussi pour tous les autres qui morflent sévère et qu'on ne parle jamais".
Et puis, heureusement, il y a l'espoir : "On a un patient sorti la semaine dernière, il avait plus de 60 ans, un autre du même âge va mieux, il devrait sortir à son tour." Un soulagement tout relatif, car il y a aussi beaucoup de patients qui n'ont pas 50 ans. Mais l'infirmier ne se décourage pas. Il se veut optimiste et combatif. "On attend juste l'après, l'après pandémie."
Une cagnotte a été mise en place dans le service de Réanimation du CHU de Reims. Entièrement dédié au Coronavirus COVID 19, il vit depuis quelque temps une situation "exceptionnelle et d'une rare intensité du fait de cette épidémie". Les conditions de travail sont particulièrement difficiles du fait de la nécessité de précautions liée à la transmission du virus. Un appel à la générosité a été lancé pour témoigner son soutien aux équipes. "En plus des applaudissements à votre fenêtre tous les soirs à 20h, écrit Bruno Mourvillier, le chef de service, vous pouvez également participer à cette cagnotte qui permettra d'acheter ces petites choses du quotidien qui peuvent adoucir ces conditions de travail (petits déjeuners, repas améliorés, petits équipements ....). L'utilisation des fonds restant se fera dans le strict respect des statuts de notre association disponible sur simple demande. Un grand merci pour votre soutien et implication". Plus de 25.000 euros ont déjà été récoltés à la date du 1er avril.