Les 11 et 12 mars 2021, nous avons suivi les équipes des services de réanimation et des maladies infectieuses du CHU Robert Debré à Reims. Un an après le début de l’épidémie de Covid-19, la situation est toujours aussi tendue.
Il est 9h30 au CHU de Reims, mi mars 2021. La tournée du professeur Bani-Sadr vient de commencer. Elle passe en revue tous les patients de l’unité 32, un service créé en novembre 2020 pour accueillir 24 patients covid. L’un d’entre eux est inquiet : son voisin de chambre a dû être transféré en réanimation pendant la nuit. Il craint d’être le suivant. Le professeur pose une main rassurante sur lui, essaie de l’apaiser, mais sa tournée est vite interrompue.
Dans la chambre 18, l’état d’une patiente se dégrade subitement. Elle est essoufflée, respire fort, vite, gémit. Les 30% d’oxygène que lui fournit son masque ne suffisent plus. Une lourde bouteille d’oxygène est traînée au sol jusqu’au lit de la patiente. En augmentant la quantité d’oxygène, les soignants espèrent faire remonter son taux de saturation en oxygène.
15 lits en réanimation et 16 patients
Une infirmière interpelle un médecin : "Il faut l’envoyer en réanimation". Problème de taille : il n’y a que 15 lits au service de réanimation. Et déjà 16 patients. « On ne peut pas, il n’y a plus de place ». L’inquiétude monte dans la voix des soignants. L’une sous-entend que si elle ne va pas en réanimation, c’est sa vie qui est en jeu. Rapidement, l’équipe de réanimation arrive et s’affaire autour de la patiente. Elle n’a qu’une soixantaine d’années, mais souffrait déjà de problème respiratoire et de surpoids. Huit personnes s’activent autour d’elle : une infirmière du Samu rempli des seringues pour l’endormir. Un docteur place un tube dans sa gorge. C’est grâce à ce tube qu’elle peut désormais respirer.
"Pousser les murs"
Il reste maintenant un problème de taille à régler : où mettre cette patiente ? « Debré est plein, maison blanche est plein, l’USCE est pleine, Bezannes est plein, Châlons-en-Champagne est plein … » le docteur Giordano appelle tous les hôpitaux de la région. Il reste une seule place à Charleville-Mézières. Faut-il transporter la patiente de 150 kilos en hélicoptère ou en ambulance ? Finalement, la question ne se pose plus : son état est trop instable pour la transporter. Il faut absolument trouver une place de réanimation dans l’hôpital.
Le docteur Giordano ressort ses deux téléphones et repart dans une série d’appels pour débloquer une place. « On est en train d’essayer de pousser les murs pour faire rentrer madame. C’est compliqué ». Il demande même à son responsable s’il peut installer la patiente dans « la salle des cathéters ». Mais on lui rétorque « Si on commence comme ça, c’est la porte ouverte à tous ». Par un jeu de chaises musicales, une place est finalement trouvée dans le service de médecine intensive et réanimation polyvalente.
La situation vécue aujourd’hui n’est pas exceptionnelle à entendre le professeur Firouzé Bani-Sadr : « La situation est critique, car nous n’avons pas de lit pour recevoir les nouveaux patients. Les patients que nous avons actuellement viennent d’arriver. Ils restent en moyenne 7 à 8 jours. On n’a donc pas de perspective de sortie de patients »
Pendant ce temps, la vie continue dans l’unité covid. C’est l’heure de la distribution des repas pour Vanessa, aide-soignante dans le service. Elle entre dans la chambre en lançant un « coucou ma belle ». A l’intérieur une patiente qui affiche une bonne humeur déconcertante.
Je suis choyée comme une princesse ! Vraiment, aucun reproche. Quand je rentrerai à la maison, je leur enverrai une petite carte.
Dans la chambre suivante, c’est une toute autre ambiance. Vanessa doit nourrir à la cuillère un homme aux cheveux grisonnants. Et pour cause : il est attaché à son lit. Car le matin même, il s’en est violemment pris à une infirmière. Sous le choc, elle a dû rentrer chez elle.
"Hakuna Matata" comme remède
Entre deux sollicitations de patients, les infirmières, aides-soignantes et agents de service se retrouvent autour d’une table pour déjeuner. C’est le moment où les langues se délient. "Physiquement et moralement, le rythme n’est pas facile. Faut avoir un bon caractère et surtout de l’empathie. Sinon ça ne sert à rien de faire ce métier", confie Sylvie, aide-soignante. Sa collègue Elodie renchérit "Parfois c’est dur, on craque, on doit sortir prendre l’air. Mais heureusement, on s’entraide".
Après un an d’épidémie, on ressent une forme de lassitude chez les soignantes : « On a eu un fort engouement très solidaire pendant la première vague. Mais plus maintenant. Tout le monde s’essouffle de cette situation. Il n’y a qu’à regarder les gens qui applaudissent aux fenêtres. Il n’y en a plus ! ». Au détour d’un couloir, entre les bips des tensiomètres et les alarmes des chambres, on peut entendre résonner « Hakunamatata », la chanson du roi lion. C’est le secret anti-déprime de l’équipe : « Si on ne rigolait pas entre nous, ce serait encore plus dur. Le fait de rigoler ça fait baisser la pression ».
En plus de l’entraide entre collègues, c’est la passion qui permet aux soignantes de tenir. « Ce qui me pousse c’est que quand je suis auprès d’un patient, le simple fait d’apporter une bouteille d’eau, remettre une couverture c’est énorme pour lui » admet Elodie. Trois étages plus bas, au service de réanimation, on retrouve la patiente de la chambre 18. Elle est désormais couchée sur le ventre. Cette technique permet une meilleure oxygénation du sang à travers les poumons. La patiente de 63 ans est sous anesthésie générale pour atténuer la douleur de son respirateur qui lui rentre dans la gorge. Tout autour d’elle, des machines lui mesurent ses paramètres vitaux et lui administrent des médicaments. Parmi eux, le curare sert à relâcher les muscles « mais du coup si son bras tombe du lit, elle se luxe l’épaule » explique une infirmière.
"On n’a pas attendu l’aide de l’ARS et des politiques"
Derrière un ordinateur, un médecin consulte le dossier médical d’un patient. Après un an d’épidémie il en a gros sur le cœur et notamment contre l’Agence régionale de santé : "On a dû s’adapter nous-même pendant la première vague. On n’a pas attendu l’aide de l’ARS et des politiques. Si on devait les attendre, il y aurait des gens qui crèveraient dans la rue".
A cette rancœur s’ajoute la lassitude d’être replongé dans la même situation qu’un an auparavant : "La situation est pire qu’à la première vague. Car à la première vague on avait triplé nos capacités, alors qu’aujourd’hui elles sont seulement doublées". Et pour cause : à la première vague, tous les services étaient dédiés au covid. Mais cette fois-ci, l’hôpital a choisi de ne pas déprogrammer les opérations non-urgentes. Les réanimateurs se retrouvent donc face au même afflux de patients mais avec moins de moyens.
Malgré le malaise qui est présent dans la profession, la passion des soignants est encore présente : la plupart nous confient aimer leur métier. Mais pour combien de temps ? Car avec la première et la deuxième vague épidémique, le service a vu un autre type de vague déferler : celle des démissions du personnel soignant.
VIDEO - Immersion au service Covid du CHU de Reims
Soignants, malades, commerçants, employés de supermarché, artistes, élus ou encore parents : nous les avions rencontrés il y a un an. Aujourd’hui ils nous racontent leur année Covid. Pour les découvrir, cliquez sur un point, zoomez sur le territoire qui vous intéresse ou chercher la commune de votre choix avec la petite loupe.