Entre 2016 et 2022, la société InnovSanté devenue InnovHealth puis Relyfe passe par l'ombre, la lumière et la liquidation judiciaire. Adnan El Bakri veut faire de sa start-up implantée à Reims (Marne) une entreprise internationale. Notre enquête permet aujourd'hui de mieux comprendre pourquoi ce projet ambitieux autour d'une carte de santé connectée a abouti à une liquidation judiciaire.
Depuis plus de quatre ans, France 3 Champagne-Ardenne enquête sur une start-up dans le domaine de la santé connectée, fondée par Adnan El Bakri à Reims (Marne). Anciens salariés et actionnaires témoignent désormais devant nos caméras. Leurs éclairages nous permettent de mieux comprendre comment ce projet séduisant, comme le disent encore aujourd'hui, de nombreux anciens salariés et investisseurs, a tourné court. Laissant sur le bord du chemin des financeurs publics et privés, désabusés et trahis et des salariés en grande souffrance. Cette enquête nous plonge, à nouveau, dans les six années d'existence de la start-up InnovSanté devenue InnovHealth puis Relyfe.
En 2016, trois personnes décident de s'unir pour créer une start-up. Le projet : mettre en place une carte de santé connectée partout dans le monde, gérée par le patient, à destination des professionnels de la santé. L'idée est ambitieuse, mais les "trois mousquetaires" comme les surnomme la cofondatrice, Karine Gouby-Ollivier, sont prêts à y mettre du temps et de l'énergie. À ses côtés, un infirmier et un interne en médecine forment le trio.
Très vite, la situation se dégrade et Karine, à l'origine de l'idée, se retire au bout de quelques mois."On arrête les frais quand on annonce que l'on a des tractations avec la Sécurité sociale, des tests dans plusieurs services d'un CHU, explique Karine Gouby-Ollivier cofondatrice InnovSanté. Non, il n'y avait rien du tout. C’étaient des pistes. À l’époque j'étais présidente d'InnovSanté et donc pénalement responsable. Il n'était pas question que j'assume pénalement des dires mensongers. J'ai préféré lui laisser les rênes";
La notoriété
C'est à Adnan El Bakri que 100% des actions sont cédées. Les deux autres associés quittent l'aventure en même temps. Celui qui deviendra docteur en médecine en 2019, Adnan El Bakri, se retrouve donc seul à bord de la société.
Son objectif premier : apporter de la lisibilité à sa société pour en faire une bête de scène. Il réussit à séduire les médias en même temps que les investisseurs. Les premières levées de fonds arrivent, comme les reportages dans les médias. Presse locale, nationale, tout le monde raconte la belle histoire. Adnan El Bakri est indéniablement très bon communicant.
En 2018, la start-up prend un de ses virages les plus importants en intégrant dans ses rangs d'actionnaires, l'acteur et homme d'affaires Christophe Lambert. Ce dernier apporte réseau et image de marque. Ce que fera aussi Anne Lauvergeon, ancienne patronne d'Aréva, quelques mois plus tard. Fort de ces têtes d'affiche épinglées à son palmarès, Adnan El Bakri annonce aussi les premiers contrats signés en France, et en Afrique. Les investisseurs sont bluffés et la liste s'allonge.
Souffrance et trahison
Mais que deviennent cette carte de santé connectée et sa technologie à mettre en place ? Le Passcare, c'est son nom, semble être sur de bons rails puisque Adnan El Bakri le dit haut et fort. Mais en coulisses, la situation est beaucoup moins claire.
Des investisseurs commencent à s'inquiéter du manque d'informations et de transparence de la société à leur égard. Ils n'ont peu ou pas de suivi financier et de regard précis sur les marchés décrochés par la start-up. Quelques actionnaires décident d'agir et lors de l'assemblée générale de 2019, un huissier de justice mandaté par le tribunal de commerce de Reims assiste et dresse un procès-verbal. Leur objectif : mettre la pression sur le patron, Adnan El Bakri et lui faire comprendre qu'il a des comptes à leur rendre.
Ce face-à-face durera jusqu'à la fin. Il mettra en lumière, d'un côté, les agissements d'un patron d'entreprise qui travaille "pour lui et non pour ses actionnaires et ses salariés" comme le précise aujourd'hui Christophe Lambert, et le doute grandissant des investisseurs.
Au moins 7,5 millions d'euros
Du côté des salariés aussi, les langues se délient et certains dénoncent les agissements d'un patron qu'ils jugent peu attentifs à leur bien-être dans l'entreprise. Parler et surtout évoquer le management d'Adnan El Bakri c'est s'attirer les foudres de ce dernier. "Petit commercial de merde", dit avoir entendu en réunion un ancien directeur. "J'ai vécu cette personne comme une forme de dictateur, précise un autre salarié en parlant d'Adnan El Bakri. Quelqu'un qui tente de s'imposer par les cris, par l'insulte, le dénigrement". Beaucoup ne restent pas. Licenciés avant la fin de leur période d'essai notamment.
Adnan El Bakri a donc réussi à convaincre et à lever au moins 7,5 millions d'euros, c'est ce que montrent les documents amassés au fil des années.
En 2021, une entreprise américaine, Forepont Capital Partners, engage 2,5 millions d'euros et doit engager la même somme quelques mois plus tard. Adnan El Bakri imagine alors un avenir américain à son entreprise qui prend alors son dernier nom : Relyfe.
Finalement, la société américaine acte son désengagement trois mois plus tard. En décembre 2021, Relyfe sera en cessation de paiements et en novembre de l'année suivante mise en liquidation judiciaire. Une liquidation toujours en cours à l'automne 2024.
VIDÉO. Notre enquête et ses nombreux témoignages dont celui crucial de Christophe Lambert qui parle pour la première fois de celui qu'il nomme aujourd'hui "le businessman imaginaire".