ENTRETIEN. Procès du crash Rio-Paris : après la relaxe d'Airbus et d'Air France, "il y a eu un sentiment d'écœurement" chez les familles des victimes

Le jugement du procès Rio-Paris a été rendu le lundi 17 avril. Airbus et Air France sont condamnées en ce qui concerne leur responsabilité civile, mais relaxées au pénal ("responsables mais pas coupables"). L'un des avocats des familles des 228 victimes décrit "un sentiment d'écœurement".

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Responsables, mais pas coupables. C'est un peu le bilan qu'on peut dresser d'Airbus et Air France à l'issue du procès du crash Rio-Paris, qui s'est tenu au tribunal correctionnel de Paris le lundi 17 avril 2023.

Les faits remontaient à juin 2009, et il a fallu quatorze années de procédures pour arriver à ce verdict. Lequel reconnaît une responsabilité des deux entreprises au civil, mais pas au pénal où elles sont relaxées, faute de reconnaissance du lien de causalité entre quatre fautes reconnues et la catastrophe aérienne.

Du côté des familles des victimes et de leur conseil, on encaisse le coup. France 3 Champagne-Ardenne a contacté maître Sébastien Busy, avocat au barreau de Reims (Marne) et présent au côté des familles lors du procès.

Des pleurs parmi les familles

Comment ont réagi les familles ?

"Cette audience était particulière, d'une grande dureté. Les cinq ou six premières minutes, où l'on dit qu'il y a un dommage, où l'on égrène les fautes : les familles des victimes pouvaient croire qu'il y allait avoir une reconnaissance de culpabilité. Puis, comme une montagne russe, le tribunal a commencé à expliquer comment on caractérisait le lien de causalité... On a alors compris que c'était terminé : ils allaient prononcer la relaxe."

"On a alors vu les visages se fermer, des familles se mettre à pleurer ou d'autres à soupirer bruyamment. Il n'y a pas eu d'esclandre comme on aurait pu le craindre. Mais il y a eu un sentiment d'écœurement pour un très grand nombre de parties civiles, de ne pas comprendre pourquoi on leur disait qu'il y avait faute sans avoir faute." 

Que dire au sujet du lien de causalité, au centre de ce procès ?

"Le lien de causalité, c'est la meilleure façon de faire ce que l'on a envie de faire. Si on veut le voir direct, il sera direct [et la responsabilité sera engagée]. Si on fait un pas de côté pour le qualifier indirect [ça pourra être aussi le cas]. C'est vraiment la manière la plus inconfortable de considérer les choses : la décision peut se prendre dans un sens ou dans l'autre. On a un dommage et on a une faute : mais si on part du principe que le lien de causalité n'est pas certain, on ne condamnera pas. On en a l'exemple avec le changement des sondes Pitot."

"Responsable mais pas coupable"

Quelle est votre réaction face à cette absence de responsabilité pénale ?

"C'est quelque chose qu'on avait envisagé avec les familles de victimes. On avait déjà dit qu'on allait se battre pour avoir un procès, ce qu'on a fait pendant douze ans. On a prévenu qu'avoir un procès ne serait pas forcément synonyme de déclaration de culpabilité, qu'il y avait un risque de relaxe totale ou partielle. La justice s'est prononcée sur ce lien de causalité. On est nécessairement déçu, après quasiment quatorze ans de combat judiciaire, pour en arriver là."

"Mais en même temps, on a la reconnaissance de fautes clairement établies. Notamment à l'encontre d'Airbus qui a toujours dit avoir fait un avion parfait et n'avoir commis aucune faute. Le tribunal vient pourtant dire qu'Airbus a commis quatre séries de fautes, quand bien même la machine était certifiée et que la réglementation était respectée. Et on perd pourtant sur ce lien de causalité..."

"Alors c'est frustrant de ne pas être allé au bout, d'autant plus sur ce lien de causalité. Mais pour autant, toutes les fautes pour lesquelles on s'était battu ont été retenues par le tribunal. C'est donc une déception au niveau pénal, mais on a cette petite satisfaction d'avoir eu gain de cause sur les fautes commises par Air France et Airbus. Une petite satisfaction très maigre, car je reste convaincu qu'il y avait de quoi démontrer un lien de causalité certain entre ces fautes et le dommage qui a endeuillé tellement de familles."

Que dire sur la reconnaissance de la responsabilité civile ?

"En vérité, l'indemnisation de l'essentiel des familles avait déjà eu lieu depuis longtemps. Mais la responsabilité civile reconnue à l'encontre d'Airbus et d'Air France, ça envoie un message aux familles : il y a des raisons à cet accident, qui ne dépendent pas des pilotes. Et cela va permettre, notamment aux associations d'aide aux victimes, d'avoir une indemnisation, et à d'autres familles, qui n'avaient pas encore pu, de faire des réclamations financières."

Quelle suite allez-vous donner à ce jugement ?

"C'est très ambivalent comme sentiment : on est déçu de ne pas avoir cette déclaration de culpabilité et, quelque part, on nous donne cette phrase célèbre [de la ministre Georgina Dufoix lors de l'affaire du sang contaminé] : "responsable mais pas coupable". En l'état, on est en train de réfléchir à ce qu'on va faire. Pour les associations, parties civiles, comme il y a une reconnaissance de responsabilité civile, on obtient en quelque sorte gain de cause sur cet aspect-là des choses. En ce qui concerne le pénal, les parties civiles ne peuvent pas faire appel : seul le procureur de la République le peut. Or, il a requis la relaxe, donc on se doute qu'il ne va pas faire un appel, mais on va quand même l'interroger."

Il serait quelque part assez frustrant qu'un dossier d'une telle ampleur puisse se terminer là, comme ça, au tribunal correctionnel.

Maître Sébastien Busy, l'un des avocats des familles des victimes

"Il ne faut pas oublier que le parquet général - la cour d'appel - dispose également d'un pouvoir d'appel. On est en train de réfléchir à la démarche qu'on pourrait faire pour rencontrer le procureur général, et envisager un appel de sa part. Il a dix jours pour le faire. Il serait quelque part assez frustrant, bizarre, qu'un dossier d'une telle ampleur - la plus grosse catastrophe aérienne française - puisse se terminer là, comme ça, au tribunal correctionnel."

Quelle portée pourrait avoir cette décision dans de futures affaires du même genre ?

"Là, on nous dit pas de lien de causalité entre les fautes établies et le dommage. Ce même tribunal, quelques mois auparavant, a rendu une décision en matière de catastrophe aérienne sur un problème de formation avec un auteur indirect de faute, et a retenu un lien de causalité. En quelques mois, en situation quasi-identique, on a un tribunal qui condamne, et hier, qui ne condamne pas."

"Et ce même tribunal va connaître au mois d'octobre - j'y serai également - la catastrophe du Air Algérie qui s'est écrasé au Mali en 2014. Avec, là encore, un problème de formation, et d'auteur indirect. On va bien voir si effectivement on nous dit qu'en matière d'auteur indirect, le lien de causalité n'est jamais certain. On est en train de vider de sa substance le délit d'homicide involontaire en matière de catastrophe collective et d'auteur indirect. Il y a un risque de déjudiciariser les accidents industriels et il faut donc être vigilant." 

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