Film "Les Segpa" : derrière les moqueries, un dispositif scolaire qui gagne à être connu et valorisé

Le film "Les Segpa" est sorti le mercredi 20 avril, et s'est attiré des critiques. Le monde enseignant regrette une nouvelle stigmatisation des Sections d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa) sur grand écran... et craint une hausse des moqueries et des idées reçues.

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Sorti le mercredi 20 avril 2022, le film Les Segpa n'a pas été très tendrement accueilli par le monde enseignant. Il s'agit du portage sur grand écran d'une série Youtube du même nom créée en 2016.

Depuis, plus de deux millions de personnes s'y sont abonnées, et l'ensemble des vidéos totalise près de 232 millions de vues. Le succès se trouve donc au rendez-vous. Malgré une critique pas folichonne (Le Monde est "mal à l'aise"; Les Inrockuptibles perçoivent toutefois un "film bienveillant"),les tickets semblent bien se vendre pour cette adaptation cinématographique mettant en scène des élèves (adultes) qui ne passent clairement pas pour être les couteaux les plus affûtés du tiroir.

Là où le bât blesse, c'est qu'à l'origine, Segpa est un acronyme. La Section d'enseignement général et professionnel adapté désigne un dispositif permettant d'offrir des cours renforcés aux collégiennes et collégiens ayant des difficultés d'apprentissage. Mais c'est aussi une source de moqueries et de blagues malvenues, tant dans les cours de récréation que dans la vie de tous les jours... ou sur les réseaux sociaux (ça alors, on ne s'en serait pas douté).

La Segpa, une richesse

Au Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-Unsa), plus précisément dans sa branche des jeunes enseignantes et enseignantes, on défend mordicus la Segpa. Et on se plait à dissiper les idées reçues à son encontre. Telle est la mission que s'est donnée Solenne Massicard, enseignante en CE2 et CM1 à l'école La Neuvillette de Reims, et ex-professeure en Segpa durant "deux belles années" (Marne, voir sur la carte ci-dessous).


Segpa, c'est quoi en quelques mots ?

"C'est un dispositif précieux dans la scolarité de nos élèves les plus fragiles en France. Il leur permet de continuer à recevoir un enseignement de qualité dans de bonnes conditions au collège, pour après éventuellement pouvoir poursuivre une formation qualifiante au lycée. [Mais il] peut effrayer certaines familles pour la prise en charge de leurs enfants en situation de difficultés d'adaptation scolaire..."

Et quel rôle peut jouer ce film ?

"Sous couvert d'humour mal placé, on risquerait encore plus d'effrayer ces familles. Ça nous a pris au coeur. On n'est pas contre l'humour, bien évidemment, au contraire. Mais les risques sont bien plus grands que les bénéfices. Je pense que ça n'a pas été mesuré dans ce film-là : vers quoi ça peut conduire les élèves."

Pourquoi le film risque de poser problème ?

"C'est déjà compliqué de dédiaboliser la Segpa, car il faut l'accord absolu de la famille [pour y placer un élève], après un très long travail de négociation. Ce serait bien de ne pas en rajouter en faisant ce genre de films... Après je ne l'ai pas vu : peut-être qu'il se conclue d'une manière très jolie, et je ne pense pas d'ailleurs qu'il ait été créé dans le but de rabaisser. Mais se servir ainsi du biais de l'humour, c'est d'une maladresse infinie et ça produit l'effet inverse. Car quel est le public qui va aller voir ce film ? Des adolescents, qui ont déjà un regard cruel sur la Segpa, qui n'auront d'ailleurs peut-être pas envie d'y entrer." (voir d'ailleurs dans le tweet ci-dessous un témoignage poignant qui détaille la seconde chance offerte par la Segpa)


Comment fonctionne ce dispositif ?

"Pour un meilleur encadrement, on a des classes dont l'effectif n'excède pas 16, dans le secondaire [collège; ndlr], où vont être enseignées les mêmes matières qu'en classes classiques, de la sixième à la troisième. Sauf que les cours sont donnés par des professeurs des écoles, affectés en collèges et qui suivent le programme des collégiens. Avec des méthodes du premier degré [de l'école; ndlr] : les exigences sont les mêmes, mais la quantité demandée moindre et le support renforcé. Cela donne des équipes pédagogiques très soudées, autour de projets pour le meilleur et pour l'adaptation de ces élèves. Qui sont fragiles, mais qui ont d'autres richesses."

Quelle est la différence en ce qui concerne le contenu des cours ?

"À partir de la quatrième, ces élèves vont bénéficier d'ateliers. Ils vont faire par exemple de la cuisine ou de la menuiserie, avec des PLP [professeurs de lycées professionnels; ndlr] affectés en collège et qui vont leur bénéficier, pour leur permettre d'y poursuivre éventuellement leur scolarité." (voir le tweet ci-dessous pour voir les opportunités pouvant attendre les élèves en Segpa) 


Qui va en Segpa ?

"C'est plus pour les élèves qui ont des difficultés d'adaptation, de compréhension, de comportement parfois, qui ont des lacunes qui se sont installées. Des publics divers, [mais] pas les élèves en situation de handicap, qui sont généralement placés - quand il y a de la place... - en Ulis [Unité localisée pour l'inclusion scolaire; ndlr]. C'est autre chose. "

Bienveillance et individualisation

Quels sont vos objectifs ? 

"Éviter le décrochage, l'abandon de ces élèves qui ont parfois - avec leurs familles aussi - un regard sur l'école qui s'éloigne. Et leur permettre d'avoir des diplômes [certificat de formation générale à l'issue du collège; ndlr], de poursuivre leur scolarité au moins jusqu'à 16 ans, voire au-delà. C'est possible de partir après en lycée professionnel, d'avoir un véritable projet au terme d'une formation qualifiante. Ça leur donne du sens, ça les inclue dans la société car on poursuit aussi avec eux l'éducation à la citoyenneté. Ça permet à l'école de poursuivre ses missions avec tous les publics, et de réduire les inégalités."

Ça permet à l'école de poursuivre ses missions avec tous les publics, et de réduire les inégalités.

Solenne Massicard, enseignante en Segpa durant deux ans

Pourquoi une si mauvaise réputation ?

"Déjà à l'époque, il y avait des classes qui n'étaient pas classiques, lors de la réforme du collège unique. Il faut toujours des boucs-émissaires dans la société... Vous savez comme les enfants et ados peuvent être cruels [et bien des adultes ne sont pas en reste; ndlr] : eh bien c'est resté. De nos jours, il y a un formidable travail administratif pour proposer la Segpa [comprendre que ce n'est pas un fourre-tout pour élèves indésirables, loin de là; ndlr], les dossiers sont très poussés et les places sont difficiles à trouver. Il y a eu un très fort renforcement du dispositif ces dernières années."

Ça apporte quoi ? Comment rassurer les parents ?

"[Hors Segpa], l'enfant va vite être perdu en collège, et se détacher progressivement de tout but : il va perdre beaucoup de temps. Bien sûr que certains finiront par se raccrocher, auront un déclic. Mais ça viendra beaucoup plus tard que s'il est ainsi pris en charge avec bienveillance par des équipes pédagogiques motivées. On met en avant qu'il y aura une véritable individualisation pour les enfants. Qu'ils ne vont pas être perdus dans la masse, dans les classes classiques. Là, les enseignants pourront vraiment être auprès d'eux, suivre leur parcours, et apporter à ces élèves les connaissances, compétences, aptitudes, qui vont leur permettre de poursuivre leur scolarité et d'aller plus loin qu'eux-mêmes pensent pouvoir aller."

Que deviennent vos élèves ?


"On n'est pas obligé d'obtenir un gros diplôme pour réussir dans la vie. Il y a d'autres voies, d'autres choix, d'autres façons de construire sa professionnalité. On rencontre d'anciens élèves, qui ont eu ce parcours, et qui viennent nous saluer dans la rue en nous reconnaissant. Il y a ceux qui ont décroché et qui n'ont pas su - pour un temps - s'intégrer dans la vie active. Mais majoritairement, ils ont réussi : il y a ceux qui ont fait des beaux parcours, eu des bacs pro, monté des entreprises de chauffage ou de plomberie, travaillent dans la restauration ou l'aide à la personne... Je n'ai jamais rencontré un ancien élève - et j'en ai rencontré pas mal - qui n'a pas eu un grand sourire en nous retrouvant."

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