Grand oral du bac 2023 : "Je n'aurais jamais imaginé faire passer un examen sur des thèmes que je ne connais pas"

A partir de ce lundi 19 et jusqu'au 30 juin prochain ont lieu les épreuves du grand oral du baccalauréat général et technologique. Annie Bécret est professeure d'histoire géographie au lycée Jean-Jaurès de Reims, et secrétaire académique du SNES-FSU. Depuis 2021, elle fait passer cette épreuve et parfois se sent totalement inutile.

Pression supplémentaire, temps d'apprentissage réduit, sujets de spécialité dignes d'un niveau universitaire. Ce nouveau baccalauréat censé simplifier les épreuves, Annie Bécret le trouve particulièrement difficile. Il a aussi bouleversé ses pratiques de professeure d'histoire géographie. "Cette année, j'avais un groupe d'élèves de terminale en spécialité histoire-géo-géopolitique, mais aussi des premières et des secondes. Depuis la réforme Blanquer, j'aborde avec mes secondes, l'oral. Je leur fais faire des exercices, explique Annie Bécret, professeure d'histoire géographie au lycée Jean-Jaurès de Reims. L'objectif est qu'ils soient capables de prendre la parole et d'interagir en direct sur des questions qu'ils n'auront pas préparées. Qu'ils soient capables de présenter des arguments, et d'avoir du vocabulaire. Et ça, ça se prépare à l'avance. L'année de terminale n'est pas suffisante". 

Et à 36 élèves en classe de seconde, l'apprentissage de l'oral est loin d'être simple et prend beaucoup de temps. "En seconde, je demande, au minimum, à chaque élève, une présentation orale de 10 minutes, puis nous travaillons ensemble sur les questions qui pourraient être posées sur la thématique abordée". Un exercice répété 36 fois au moins... "Et on a un programme à faire en même temps".

Le grand oral, comment ça marche

En seconde, les élèves doivent faire le choix des trois spécialités qu'ils aborderont en première, puis en terminale. Un choix déterminant pour la suite de leur orientation, car "contrairement à ce que le Ministère avait communiqué au départ, ils ne peuvent pas choisir n'importe quelles spécialités, reprend Annie Bécret du SNES-FSU. Si un élève choisit les maths et l'art plastique et qu'en terminale il veut entrer en fac de droit, ses vœux ne seront pas validés sur ParcourSup. Et à 15 ans, ils ne savent pas ce qu'ils veulent faire comme métier". Première pression.

Trois spécialités à choisir dès la fin de la seconde, pour ne plus en avoir que deux en terminale. "Aucune logique", reprend Annick Bécret. Des spécialités arrivées avec la réforme Blanquer et devenues la priorité de l'enseignement des élèves de première et terminale. L'apprentissage dit général étant laissé de côté, selon la professeure. "Une fois les spécialités choisies, le reste est en tronc commun et nos heures pour ces matières ont diminué. Le Ministère avait même supprimé les mathématiques qui n'étaient plus accessibles qu'en spécialité. Il fait marche arrière aujourd'hui en remettant les maths dans l'enseignement commun à la rentrée prochaine". 

Les enseignants, eux, ont dû revoir leurs façons d'aborder les programmes communs et la gestion de ces fameuses matières prioritaires. Objectifs : préparer les nouveaux examens écrits mais aussi le grand oral. Et tout est lié. Les deux spécialités de terminale donnent lieu à des épreuves écrites. "Des épreuves qui ne se passent pas en même temps pour tous les élèves. Nous trouvons que ce n'est pas normal, car le sujet n'est pas commun et cela peut créer des inégalités". 

On leur demande des concepts et surtout un niveau de première voire de seconde année d'université.

Annie Bécret, professeure d'histoire géographie au lycée Jean-Jaurès de Reims

Puis, de ces deux spécialités émanent les thèmes choisis par l'élève pour préparer le grand oral. Avec ses élèves de terminale, spécialité histoire-géo et géopolitique, Annie Bécret en a abordé plusieurs tels que : guerre et paix, les enjeux de la connaissance, histoire et mémoire, génocide des juifs et des Tziganes, océans et espaces ou encore préservation et conservation du patrimoine. "Chaque semaine, deux de mes élèves présentaient une revue de presse à l'oral pour décortiquer ces thématiques, à travers des articles de presse ou des éditos". L'objectif étant ensuite de pouvoir forger leur esprit critique et leur permettre de trouver des questions plus personnelles qui seront la base de leur grand oral. Sur le thème les enjeux et la connaissance par exemple, certains pouvaient aborder la discrimination et les disparités entre les hommes et les femmes. Sur la notion d'histoire et de mémoire, des élèves auraient pu poser la question : y a-t-il une histoire et plusieurs mémoires ? Ou encore aborder la mémoire des vainqueurs, des vaincus lors de conflits ou encore les enjeux politiques autour de la mémoire. Des thématiques très intéressantes mais très pointues. "Sur guerre et paix, il y a certes le conflit en Ukraine mais on peut aussi aborder la guerre du 17e siècle à aujourd'hui et beaucoup ne maîtrisent pas et n'ont pas les connaissances territoriales et géographiques, précise encore la prof d'histoire-géographie. On leur demande des concepts et surtout un niveau de première voire de seconde année d'université. Cela demande, de la part, de l'élève, un travail personnel très important." Deuxième grosse pression.

Un jury spécialiste et naïf

Le jour J, le candidat au bac doit proposer au jury deux idées de sujet issues des deux spécialités qu'il aura étudiées, validées en amont par ses professeurs. Ce sont ensuite les examinateurs qui choisissent l'une d'entre elles. L'élève de terminale doit ensuite construire son travail en analysant, en critiquant avec un vocabulaire adapté et recherché. Il doit aussi appréhender toutes les questions du jury. Le candidat doit, en 5 minutes, faire son exposé puis a 10 minutes de questions réponses avec les deux professeurs. Les 5 dernières minutes étant consacrées à son orientation. 

Je me suis sentie complètement inutile dans l'histoire. Je me suis accrochée pour comprendre et j'ai ensuite posé des questions simples.

Annie Bécret, professeure d'histoire-géo

"J'ai fait passer le grand oral en 2021 et 2022, reprend Annie Bécret du SNES-FSU. Je me souviens de l'un d'entre eux où j'étais avec un collègue spécialiste en sciences physiques. Moi, j'étais la prof naïve. Parce qu'il faut quand même que je vous explique comment cela se passe l'examen d'un grand oral, s'exclame Annie Bécret. Nous sommes deux professeurs à constituer le jury. Un prof spécialiste et un prof dit "naïf". Cette fois-là, nous n'avions que des candidats avec des spécialités en sciences et vie de la terre (SVT), physique chimie ou mathématiques. Pour moi, ces matières-là remontent à des années. Mes connaissances en chimie et maths sont très limitées. Je suis prof d'histoire-géo ! Il y a eu une question sur l'aérodynamisme par exemple, je ne suis vraiment pas spécialiste. Je me suis sentie complètement inutile dans l'histoire. Et en même temps, il fallait que je suive correctement le discours de l'élève. Je me suis accrochée pour comprendre et j'ai ensuite posé des questions simples au moins pour savoir si l'élève était capable d'expliquer les choses à un novice". C'est bien sûr le collègue spécialiste qui a posé les questions sur le fond mais "on évalue les élèves dans des situations très inconfortables. De toute ma carrière, et j'ai 60 ans, je n'aurais pu imaginer faire passer un examen sur un thème que je ne maîtrise pas".

Annie Bécret prépare aussi ses élèves à cela : faire face à un professeur novice ! "Je l'explique à mes élèves. Je leur dis : pensez qu'il y aura dans votre jury un prof qui n'y connaîtra rien. Et ce qui vous paraîtra simple, il faudra savoir lui expliquer".

De quoi déstabiliser élèves et enseignants. Pression supplémentaire.

La régularité difficile à maintenir

Avec les années Covid, professeurs et élèves n'avaient pas encore pu apprécier l'ensemble de l'organisation du nouveau baccalauréat. "C'est la première fois, cette année, que les épreuves de spécialités étaient validées en mars, précise encore Annie Bécret secrétaire académique au SNES-FSU. Cela veut dire, pour nous, qu'une première partie du programme doit être terminée". Les enseignants courent donc après le temps pour préparer leurs élèves à passer l'écrit de leurs deux spécialités. Des épreuves importantes pour valider leur bac. "La pression est tellement forte entre septembre et mars, sans compter ParcourSup, géré en même temps, qu'une fois passé tout cela, ils se relâchent et je les comprends".

Les 5 dernières minutes sont consacrées à l'orientation de l'élève. Depuis quand peut-on évaluer cela ? Les 5 dernières minutes de l'examen ne servent à rien.

Annie Bécret, professeure d'histoire-géographie

Puis, fin avril, début mai, les notes sont données aux élèves. "À ce moment-là, la plupart a déjà le bac". En effet, l'épreuve est désormais validée par un nombre de points cumulés grâce au contrôle continu qui débute dès la première, aux notes de spécialités, le grand oral, certes obligatoire, est souvent la part variable qui permet d'obtenir une mention. Rarement l'épreuve ultime qui permet de décrocher le sésame. "Difficile donc de continuer à stimuler nos élèves pour qu'ils soient attentifs. Nous notons beaucoup d'absences, certes perlées, une heure de temps en temps, mais le travail de régularité est difficile à maintenir. Nous avions pourtant jusqu'au 10 juin pour les préparer pour le grand oral". 

Le sillon des inégalités se creuse

Annie Bécret pose, comme la plupart des professeurs de lycée, un regard très critique à l'égard de ce nouveau baccalauréat. "Il était censé être simplifié. Je ne vois pas en quoi, dit-elle encore. La pression est forte pour les élèves et pour les enseignants. Et puis ce grand oral, nous avons l'impression de juger nos élèves plus sur la forme que sur le fond." 5 minutes pour exposer, 10 minutes pour convaincre... Difficile, en si peu de temps de montrer l'étendue de ses connaissances sur le sujet choisi. "La forme ne suffit pas, les connaissances ne doivent pas être superficielles. Pourtant, c'est bien la façon dont il nous répond que nous évaluons. Et puis les 5 dernières minutes consacrées à l'orientation de l'élève. Depuis quand peut-on évaluer cela, précise-t-elle avec force. On ne peut valoriser plus une orientation qu'une autre. Elles dépendent tellement des moyens des familles. Un élève pourra partir faire une formation à l'étranger pendant qu'un autre restera dans sa région. Et alors ? Ce n'est pas pour cela qu'il ne réussira pas. Les 5 dernières minutes de l'examen ne servent à rien".

La professeure d'histoire-géo va même plus loin. "Normalement, on forme nos élèves à un bac général avec un éventail assez large de matières. Mais, finalement, tout cela a disparu. Nos heures de matières générales ont été revues à la baisse pour mettre en place les heures de spécialités. Et ces spécialités sont, elles-mêmes, mises en concurrence. Si un proviseur veut mettre une spécialité supplémentaire car elle a plus de demandes une année, il le fera au détriment d'une autre et donc au détriment d'autres élèves. La dotation financière globale, c'est-à-dire les moyens alloués aux établissements, baisse. Et puis, ce bac creuse les inégalités. Les élèves les mieux dotés, ceux qui ont un héritage socioculturel, qui ont l'habitude de discuter en famille de l'actualité ou d'autres choses, s'en sortiront le mieux".

Le ministre de l'Education Nationale Pap Ndiaye, lui, a annoncé, il y a quelques jours, vouloir reconquérir le mois de juin. "Nous devons y travailler et prendre les mesures qui s'imposent à l'automne pour que l'année prochaine ce troisième trimestre soit un trimestre de travail. Soit un trimestre utile", a-t-il précisé à nos confrères de l'AFP.

Difficiles mesures à envisager, avec les élèves de terminale.

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