Interdit d'université pendant deux ans, "Maître Leclerc a tout de suite accepté de me défendre"

Étudiant à l'université de Reims fin des années 60 et début 70, Denys Menetrey est déjà très engagé dans ses études et dans la vie syndicale. Secrétaire de l'association générale des étudiants de Reims, puis vice-président de l'UNEF en 1969, il rencontre Henri Leclerc, avocat au barreau de Paris. Grâce à lui, il retrouve le chemin de la fac après une sanction infligée par le rectorat de Reims.

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"Quand tu as une trajectoire et qu'elle peut-être brisée pour quelque chose dont tu n'es pas responsable... La mort de Maître Henri Leclerc m'a remis cela en tête".

Ces mots sont ceux de Denys Menetrey, rémois, ancien journaliste et militant engagé. En 1970, il étudie l'histoire-géographie à l'université de Reims. Il est en année de licence et membre de l'association générale des étudiants de Reims. Une association créée en 1969 dont il devient, dès sa déclaration en préfecture, le secrétaire général. "Cette association était proche du PSU, Partis Socialiste Unifié, avec des engagements forts notamment contre la guerre d'Algérie", explique-t-il. Il est également élu, le 5 mai 1969, un des vice-présidents de l'UNEF, l'Union Nationale des étudiants. Ces engagements syndicaux lui valent d'être "repéré" par le doyen de l'université de Reims.

L'époque est encore aux manifestations, aux contestations. L'après mai 68 résonne encore "de 69 à 72, il y a un peu d'agitation à Reims. Nous rejoignons les syndicats ouvriers lorsqu'il y a manifestation. Mais ça n'est pas très virulent". Denys se rendra compte de l'importance de l'engagement étudiant en allant à Paris quelques mois plus tard.

Sanctionné à tort

Entre grèves et manifestations, les étudiants rémois suivent tant bien que mal leurs cours. "Des enseignants voulaient casser la grève, reprend Denys Menetrey. Je me souviens notamment d'un incident à la fac de lettres. Les élèves d'anglais voulaient boycotter un devoir et ils ont fait appel aux représentants de l'UNEF. Nous avons donc viré tous les sujets des tables d'examen. Le doyen de l'époque, qui était installé rue d'Anjou, avait une petite estrade. Il a pris la parole et s'est fait bousculer et gifler par un des étudiants. J'étais présent avec trois autres syndiqués. Comme il ne connaissait pas celui qui l'a frappé, il a inquiété ceux qu'il connaissait". Esprit de vengeance ? "Le doyen n'en pouvait plus des actions de l'UNEF. Nous avions aussi diffusé un tract dénonçant son parcours politique". 

"Il avait combattu la politique coloniale en Algérie. Il défendait la jeunesse. Mon dossier résonnait dans son engagement militant".

Denys Menetrey

Denys Menetrey et trois autres de ses camarades sont donc convoqués par le doyen, puis par le recteur de Reims et la sanction est lourde pour le vice-président de l'UNEF. Denys est interdit d'université sur le territoire français pendant deux ans. "Je travaillais l'été pour me payer mes études. Nous ne roulions pas sur l'or et je ne voulais pas décevoir ma mère."

L'étudiant en histoire-géographie décide donc de faire appel de la décision du rectorat de Reims. Il est aussi, à cette époque-là, militant au sein du Parti Socialiste Unifié dont fait partie Maître Henri Leclerc. "Je ne le connaissais pas directement mais par l"intermédiaire des copains du PSU je suis entré en relation avec lui. Il a tout de suite accepté de me défendre".

Déjà à cette époque, Denys Menetrey est admiratif de cet avocat du barreau de Paris. "Il avait combattu la politique coloniale en Algérie. Il défendait la jeunesse. Nous nous sommes rencontrés très peu de temps pour préparer mon dossier. C'était quelqu'un d'affable, gentil et très à l'écoute. Mon dossier résonnait dans son engagement militant. Le fait qu'un des responsables de l'UNEF puisse être ainsi sanctionné, ça ne rentrait pas dans son schéma. C'était une sanction injuste et en plus infligé à un syndicaliste national". 

Une défense devant le ministre

Le dossier de Denys Menetrey se retrouve, donc quelques mois plus tard, devant le ministre de l'Education nationale de l'époque et défendu par un jeune avocat du barreau de Paris. "Quand j'y repense c'était un peu dingue cette histoire, se souvient Denys. Totalement étonnant. Nous nous sommes retrouvés dans les locaux du ministère de l'Education nationale, rue de Grenelle. Maître Leclerc était un homme courtois mais il était aussi très pugnace. Certes, il respectait l'autorité mais il était ferme, sans aucun compromis".

Finalement la sanction de deux années d'interdiction d'étudier dans une université française s'est transformée en un an d'interdiction à la faculté de Reims. "Je suis donc parti à Paris et suis entré en fac de philo et sociologie, explique encore Denys Menetrey, ou je suis allé jusqu'à l'année de doctorat. Avec la mort de Maître Leclerc, toute cette histoire refait surface. J'ai ensuite toujours été attentif à sa carrière, à ses combats. Je trouve que la justesse de ces choix et la fidélité des combats qu'il a menées, en ont fait un homme exemplaire. En tant qu'avocat, il a su s'affranchir du poids de l'Etat ce qui lui a permis de mener les bagarres qui méritaient d'être défendues. Il m'a remarquablement étonné". 

Quand j'y repense c'était un peu dingue cette histoire. Nous nous sommes retrouvés dans les locaux du ministère de l'Education nationale, rue de Grenelle

Denys Menetrey

Maître Henri Leclerc est mort le 31 août dernier. Ses 65 ans de barreau, son engagement et son militantisme auprès notamment de la Ligue des Droits de l'Homme, dont il fut président de 1995 à 2000, puis président d'honneur, ont marqué les esprits.

"Lorsqu'il m'a défendu à l'époque, j'étais heureux qu'il le fasse. C'est après que j'ai pris conscience. Je lui dois sa pugnacité et sa justesse de vue", conclue Denys Menetrey.

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