Journée des droits des femmes : rencontre avec Zahia Nouri, fondatrice de la maraude citoyenne rémoise

Zahia Nouri gère la maraude rémoise depuis plus de six ans. Elle donne rendez-vous chaque semaine aux sans-abris pour leur apporter des vivres, un repas chaud, une douche. Et des oreilles aussi, mais ça, c'est tous les jours, 24h/24.

Quand Zahia Nouri fait une promesse, elle s'y tient. Voilà plus de six ans qu'elle a juré à son frère Mohammed que plus aucune personne sans domicile ne mourrait dans la rue. Que de son vivant, jamais elle ne verrait un de "ses gars" y laisser sa peau.

Ce vendredi 6 mars, elle finit de préparer des gâteaux au chocolat praliné. A chaque fois qu'elle doit distribuer des produits d'hygiène, elle ne peut pas s'empêcher d'accompagner gels douches et shampoings de gourmandises. "Ils ont tout le temps la dalle que voulez-vous", dit-elle un sourire en coin.
 



Voilà plus de six ans que Zahia Nouri a fondé la maraude citoyenne rémoise, après le décès de son frère qui vivait dans la rue à Paris. Une septième année de dévotion pleine et entière à une cause : nourrir les plus démunis, qu'ils vivent dans la rue ou non, et leur apporter des produits d'hygiène, des couvertures, des tentes et autres vivres. "La priorité, c'est pour ceux qui sont SDF", assène-t-elle. Il faut dire qu'elle les repère. Après des années passées à établir des liens, la Rémoise les reconnaît entre 1.000, "ceux qui viennent pour gratter".

Je leur dis de dégager. Pas question de dépouiller quelqu'un qui n'en a pas vraiment besoin au détriment d'un autre qui lui, est vraiment dans le besoin.
- Zahia Nouri, fondatrice de la maraude citoyenne rémoise.

"Je n'ai accouché qu'une fois, mais j'ai 90 enfants"

Zahia Douri doit mesurer entre 1m60 et 1m65. Silhouette fine et élancée, cheveux courts, elle n'a jamais peur de donner rendez-vous aux 80 bénéficiaires de la maraude, même au beau milieu de la nuit. "J'y vais toujours comme ça : jean, baskets et t-shirt. Sauf l'été quand il fait 45.000 degrés. Là, je mets un short", raconte-t-elle. Et la présidente de la maraude citoyenne de préciser, en gonflant le torse : "Quand il y en a un qui essaie de m'intimider, je mets mes mains dans les poches, je hausse les épaules et je lui demande ce qui ne va pas." Et au contraire, quand un nouveau l'appelle madame, elle le recadre : "Moi c'est Zahia et tu me tutoies."

Cela fait maintenant quelques temps qu'elle n'a plus vraiment besoin de hausser le ton. Au fil des années, elle s'y est attachée, à ses "gars". "Comme je dis souvent, je n'ai accouché qu'une fois, mais j'ai 90 enfants."
 


Cela faisait longtemps aussi qu'elle n'avait plus pleuré. Mais il y a quinze jours, les larmes ont surgi sans prévenir. "Un gamin, même pas 20 ans, il m'a raconté de ces trucs", lâche-t-elle, volontairement évasive. Ses yeux deviennent humides. "J'ai dû appeler ma sœur pour tout déballer, c'était trop lourd." La Rémoise n'a pas les mots. Avec elle, ils entrent dans les détails de la vie dans la rue, se posent, abordent leurs problèmes sans avoir peur de son regard. "Je leur donne toujours l'exemple de mon frère, ils savent que je ne les jugerai pas, même quand ils ont bu –et on ne va pas se mentir, ils ne sont pas au petit lait toute la journée", assure-t-elle d'une voix posée. Une écoute qui ne l'empêche pas de les rappeler à l'ordre quand ils dépassent les bornes.
 

"L'assistanat, ça ne fonctionne pas"

Si Zahia a donné son numéro à tout le monde, y compris en direct chez nos confrères de France Bleu Champagne-Ardenne en 2017, elle refuse de jouer l'assistante sociale : "L'assistanat, ça ne fonctionne pas. Avec la Sécu et la CPAM, on les a aidés à remplir les formulaires pour la couverture santé universelle et un bilan de santé gratuit. Une fois qu'ils ont le bilan, ils en font ce qu'ils en veulent !" Elle donne l'exemple d'un d'entre eux, qui n'a pas renouvelé sa carte d'identité : "Tu sais où est la mairie ? Tu n'as que ça à faire de ta journée alors vas-y. Tu prends le dossier, tu le remplis et après on voit ensemble si tu veux." Les seuls moments où elle ne leur offre pas de nourriture, c'est au début du mois, une fois les allocations perçues. "Il faut qu'ils gèrent un minimum leur argent, même si ça me fait mal de les voir moins souvent." Elle sait qu'elle ne les ménage pas, mais elle sait aussi que c'est "pour leur bien".
 

Elle a appris à leur parler, les pousser. Elle refuse de s'apitoyer sur leur sort et jure qu'eux-mêmes détesteraient ce genre d'attitude. D'ailleurs, elle les connaît si bien qu'elle ne se voit pas passer à autre chose. Quand le collectif de soutien aux réfugiés Sövkipeu l'appelle, elle donne un coup de main sans sourciller. En revanche, elle ne se voit pas s'engager sur la durée. "Je ne vais pas m'éparpiller. Les réfugiés, je sais pas faire."
 

"Je ne rends des comptes qu'à mes mécènes et à mes bénévoles"

Un caractère bien trempé qui lui a valu quelques déboires dans le milieu associatif rémois. Des moments difficiles qu'elle aimerait oublier. Elle a remonté une pente difficile et préfère laisser tout cela derrière elle. Solitaire, elle l'assure, elle n'a aucun compte à rendre, sauf à ses mécènes, ses adhérents et ses bénévoles, qui financent son loyer et ses actions. "Ce qui est largement suffisant pour vivre", jure Zahia. Pour l'instant, l'ancienne tenante d'une boutique de prêt-à-porter dans le quartier Wilson vit du chômage, en attendant "de voir". Quand on lui demande si son attitude n'entacherait pas de possibles collaborations, elle rétorque qu'elle n'en voit pas l'utilité. "Je ne perçois aucun argent de la mairie", plastronne la Marnaise. Elle est en lien avec le club Rotary, des supermarchés, des boutiques comme l'opticien de la rue Talleyrand, pour les bilans optiques et les lunettes offertes.
 - Zahia Nouri publie très régulièrement ses actions sur sa page Facebook. "Je ne publie jamais une photo sans leur accord", assure-t-elle. - 

"On sent que c'est quelqu'un qui sait ce qu'elle veut et se faire respecter", confirme Philip Mouchel, un des traiteurs rémois qui a participé à une maraude. Le professionnel a offert 80 repas confectionnés dans la journée, le lundi 2 mars. Il s'est rendu aux promenades, le lieu de rendez-vous habituel. Il l'a constaté sur place, "ils la respectent tous et sont attentifs à ce qu'elle dit. Elle est très à l'écoute. On sent qu'elle vit son truc à 100%". Vers 21h30, 22h ce lundi-là, des enfants étaient là. Si eux ont un toit –Zahia les connaît bien-, ils n'ont pas toujours de quoi se remplir le ventre. "Quand j'ai entendu 'maman, c'est trop bien y a du flan', j'étais heureux et en même temps, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire qu'à cette heure-ci, les miens étaient couchés, au chaud", se souvient le traiteur Rémois. Philip se dit prêt à renouveler l'expérience, même si ce n'est pas facile humainement.

Quand on demande à Zahia si elle se donne du répit, ses yeux cherchent un point où se poser. "J'aimerais bien prendre l'air, souffler. Mais pour ça, il faudrait que mon téléphone arrête de sonner." Selon le collectif Morts dans la rue, 549 personnes sont mortes dans un lieu non fait pour l'habitation en 2019. Parmi elles, 47 femmes et 9 mineurs. Vu que Zahia tient ses promesses, son téléphone n'est pas prêt de s'arrêter de sonner.
 
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