Journée de lutte contre l'homophobie : dans la Marne, un coming-out encore difficile à faire, même avec sa famille

Les membres de l'association Contact dans la Marne écoutent et accompagnent les familles et les personnes qui ont fait leur coming-out. Avant de venir en aide aux autres, ils racontent comment ils ont vécu celui de leur fils.

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Josiane B. se souviendra à jamais de cette veille de Pâques il y a 20 ans. Sous un soleil d'avril, son fils la presse pour qu'elle ferme la boutique de vente de matériel de couture qu'elle gère à Reims. "Ne me stresse pas, lui rétorque-t-elle. Laisse-moi le temps, je ne veux pas faire de bêtises."

Tout ce qu'elle sait, c'est qu'il a une nouvelle importante à lui annoncer. "Je pensais à une maladie, à quelque chose de grave", se rappelle-t-elle. Une fois rentrés, Josiane s'assoie dans le canapé, son fils aîné s'installe en face d'elle. Dans le coin de la pièce, son cadet les observe. Il a appris la nouvelle une heure avant elle.

"Je suis amoureux", pose l'aîné. Josiane sourit, soulagée de voir son fils heureux. Avant de poursuivre : "Maman, je ne suis pas amoureux d'une femme, mais d'un garçon." 

Josiane est assommée. Pas à cause de l'homosexualité de son fils, mais parce qu'elle "n'avait rien vu". "Je m'en voulais terriblement ne pas avoir été là, souligne la Rémoise. J'étais rongée par la culpabilité de n'avoir rien senti venir, de ne pas l'avoir aidé pendant ses périodes de doutes."
 

 

"Maman, il n'est pas coiffeur, il est ingénieur"

Aussitôt la nouvelle apprise, Josiane s'enquiert du nom de l'heureux élu, de savoir s'ils se tiennent la main dans la rue, de ce qu'il fait dans la vie. "Maman, il n'est pas coiffeur, il est ingénieur, précise son fils, comme pour anticiper les préjugés de sa mère. Fais-toi belle pour demain, je veux que tu sois parfaite quand je te le présenterai.
Je viendrai comme je serai. Il faudra que tu acceptes mes yeux bouffis. Je pense que je vais pleurer toute la nuit."

Ce dimanche de Pâques, Josiane a les yeux rouges, ravie de rencontrer son gendre. Depuis, à chaque veille de Pâques, elle ne peut s'empêcher de repenser à ce moment. "Je me suis toujours dit qu'une fois à la retraite, j'aiderai ces jeunes à traverser cette épreuve et leurs parents à l'accepter."

Finalement, Josiane n'attendra pas la retraite pour s'engager. Quinze ans après le coming-out de son fils, en se baladant place d'Erlon à Reims, elle lit le tract que lui tend un jeune membre d'une association LGBT. "Vous le lisez ?, s'étonne-t-il.
- Oui, car je suis concernée, mon fils est homosexuel, répond-elle simplement.
- Comment l'avez-vous pris ?
- Très bien, je l'aime et c'est tout ce qui compte.
- J'aurais rêvé d'avoir une mère comme vous. La mienne m'a viré de la maison. Elle ne veut plus me voir."
 
"Ces mots ont tellement résonné que je me suis engagée de suite", dit-elle. Depuis cinq ans, Josiane est membre de l'association Contact de la Marne, qui écoute et accompagne les personnes LGBT et leurs familles. Elle apprend vite que sa réaction est plus l'exception que la règle quand les jeunes osent parler à leur famille de leur homosexualité. "On a beaucoup de familles, constate-t-elle, mais plus de mamans que de papas. Elles sont plus à l'écoute quand il s'agit du coming-out de leur fils. En revanche, quand il s'agit d'une fille, la tendance s'inverse."
 

65% des pères acceptent l'homosexualité de leur enfant

Une tendance qui se confirme, si l'on en croit un sondage réalisé par l'Ifop en novembre 2018 : une plus grande proportion d'homosexuels déclarent leur orientation sexuelle à leur mère qu'à leur père (77 % contre 67 %). Une fois le pas franchi, les mamans se montrent plus conciliantes, puisque 72 % d'entre elles l'acceptent contre 65 % des papas.

Jacky Renois fait désormais partie de ces 65 %. "J'ai sauté de joie au bout de deux ans", concède le président de Contact Marne. Alors qu'il est fonctionnaire de police et pas très loin de la retraite, son fils lui annonce son homosexualité. "À ce moment-là, je pensais qu'il allait rencontrer une fille, ramener des petits enfants. Alors il a fallu accepter que ça allait être différent. Ni mieux, ni moins bien, juste différent", se remémore-t-il.

Durant deux années, Jacky se rend à des groupes de parole de l'association Contact en région parisienne, avant d'ouvrir une antenne marnaise quelques temps plus tard. "J'étais en compagnie de parents dépités comme moi. Je n'aimais pas moins mon fils, explique-t-il. J'avais du mal à en parler aux autres. Je n'acceptais pas leur regard." Il livre, sans tabou :

Quand on me demandait des nouvelles de mon fils, je répondais sans problème sur ce qu'il faisait dans la vie. Quand on me posait la question de qui il fréquentait, j'éludais… je ne voulais pas répondre. À chaque fois, je ressentais ce besoin de me justifier, alors que non, on n'a rien à prouver.
- Jacky Renois, retraité


Certains voisins ou amis ne se privent pas de remarques homophobes. Il entend des commentaires remplis de clichés, tels qu'"on a les enfants qu'on mérite" ou encore "le voisin, il a un enfant qui est pédé". Ce mot, d'ailleurs, le Sparnacien "ne peut plus l'entendre".

À la tête de l'association située à Reims, c'est maintenant lui qui écoute les pères et mères désabusés. "Quand je leur raconte ce que j'ai vécu, ça les rassure. Je leur dis que chacun doit aller à son rythme, qu'il ne faut pas aller trop vite. Chacun doit puiser dans ce dont il a besoin." 

Jacky a fait le tri dans ses fréquentations. Josiane, elle, lutte parfois encore avec certaines de ses connaissances. "La dernière fois, une amie me dit : 'Il y avait un chouette documentaire à la télé, mais à un moment deux mecs s'embrassaient… Ça faisait bizarre de voir des…' Et elle s'est coupée. Alors je lui ai répondu : 'Mais vas-y, dis-le. Des homos. Je n'ai aucun problème avec ce mot, homo.' J'étais très agacée."

Josiane se souvient encore de détails de cette veille de Pâques. Son fils lui avait glissé : "Tu sais maman, j'aurais pu faire comme les autres, me marier et aller voir des hommes de temps en temps." Entre deux sanglots, Josiane reçoit un coup de fil de son frère, choqué d'une nouvelle qu'il vient d'apprendre : "Tu te rappelles de cette femme dont je t'avais parlé ? Eh bien tu ne devineras jamais. Son mari est parti avec un homme." Josiane raccroche, abasourdie. Plus que jamais, elle était heureuse que son fils ait franchi le pas.
 
"Dans les collèges, j'ai entendu des propos très homophobes de la part d'élèves"
Ce jeudi 16 mai, Jacky revient d'un lycée de Troyes, où à la demande du proviseur, il a fait une présentation aux élèves, car l'un d'entre eux a été victime de remarques homophobes. "Le problème a été très vite traité, les élèves nous ont écoutés. Ce n'est pas allé très loin, mais ils ont du mal à comprendre que certaines insultes ne doivent pas être prononcées." 

Avec Josiane et d'autres, ils interviennent régulièrement en milieu scolaire, sur demande de l'Académie ou des chefs d'établissement. Les deux bénévoles ont noté que les jeunes ont parfois des remarques homophobes. "Quand on leur demande s'ils parlent d'homosexualité à la maison, on se rend compte que c'est un tabou", a constaté Josiane. "La dernière fois, quand on leur a demandé comment ils réagiraient si leurs enfants leur annonçaient leur homosexualité, une ado de 15 ans répondu qu'elle les foutrait dehors. C'est effrayant", conclut-elle.

Plus que tout, les bénévoles ont du mal à faire comprendre aux jeunes le caractère homophobes de certaines insultes. "Ils se traitent tous de 'pédés' et ne voient pas le problème, détaille Jacky. Ils répondent que ce n'est pas méchant, que c'est pour rire." Et Josiane de souligner : "On a du mal à leur faire comprendre que cela fait sûrement rigoler celui qui la prononce, mais pas ceux qui l'entourent."

Selon le dernier rapport de l'association SOS Homophobie (PDF), 54 % des situations homophobes qu'on lui a signalé en 2018 sont relatives à la vie quotidienne. Elles ont eu lieu dans des lieux publics, au travail, dans le milieu familial ou scolaire. Le harcèlement en ligne est minoritaire, il représente 23 % des signalements.
 
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