La philosophie en groupe, c'est peut-être pour vous : analyses de films, débats... "c'est ouvert à tout le monde"

Du côté de Reims (Marne), des petits groupes de gens se réunissent régulièrement pour s'essayer à la philosophie. La discipline compte nombre d'adeptes qui apprécient de se retrouver, de s'écouter, et d'échanger par le biais de conversations dépassionnées et de visionnages de films grand public. Tout le monde y a sa place, et c'est peut-être aussi votre cas.

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Désuète ? Inutile ? Ronflante ? Que nenni : la philosophie est loin d'avoir dit son dernier mot. Elle réunit même encore les foules.

Alors certes, il y a peut-être un auditoire légèrement plus réduit qu'à un concert de Beyoncé, mais ne dit-on pas que la qualité l'emporte sur la quantité ? Et de qualité, les échanges des philosophes en herbe de Reims (Marne) le sont indubitablement.

Pour y participer en présentiel, rendez-vous d'abord en ligne. Le groupe Facebook Reims Café Philo / Conférence permet d'annoncer les évènements à venir, et de discuter un peu. Mais c'est en présentiel qu'a lieu la majorité de ces échanges.

"On organise pas mal d'évènements assez différents", explique Basile Dejumne, le responsable du groupe, auprès de France 3 Champagne-Ardenne. À la fin de l'année 2023, "on a eu trois évènements. Une conférence avec des étudiants en philosophie. Un café philo, où on invite les gens à réfléchir à une question." Telle que (elles sont relayées sur une page Facebook annexe, voir ci-après) :

  • le commerce favorise-t-il la paix ?
  • vivre en société, est-ce jouer un rôle ?
  • est-il vrai que les Hommes n'ont que le gouvernement qu'ils méritent ?

"On a aussi eu un évènement philosophique mêlant café et ciné. Ce mois-ci, c'était autour de la série Black Mirror." Composée de six saisons disponibles sur Netflix, la série d'anticipation tire son nom des omniprésents écrans noirs de nos téléphones, téléviseurs, ordinateurs, et autres tableaux de bord connectés de nos réfrigérateurs et véhicules (sans oublier ces envahissantes publicités sur écrans numériques dans les gares et abribus). Et l'effet - généralement - délétère de ces derniers sur notre humanité.

Un exemple parmi d'autres : à l'aide d'une tablette reliée à un implant cérébral, une mère de famille contrôle la géolocalisation et la vision de sa fille, à son insu. Devenue trop curieuse, elle assiste un jour en direct à la première fois de l'adolescente avec son petit ami... De quoi faire réfléchir à certaines dérives d'aujourd'hui comme de demain. "Comment l'Homme se positionne par rapport à la technologie, ça a été assez intéressant à aborder." 

Philosopher autrement

Le principal apport de ces diverses activités, c'est montrer que la philosophie n'est pas confinée dans des classes de lycées ou des amphithéâtres. "C'est un rapport différent à la philosophie. Un rapport où des gens vont parler de leurs idées, de leurs arguments. Où d'autres baseront les leurs sur une œuvre culturelle. Sans oublier la transmission de connaissances par certains." 

Différents formats pour tous les publics, et pour tous les goûts. Outre les trois cités précédemment, il y en a d'autres à découvrir. Et c'est loin d'être destiné uniquement aux étudiantes et étudiants de philosophie. Même si Basile Dejumne en est un, il souligne l'importance de l'ouverture de ces évènements à tout le monde. 

Depuis 2020, l'association - car c'est de quoi il s'agit - est très active. "On a un public varié. Entre 20 et 60 ans. C'est toujours très équilibré. Il n'y a pas plus de jeunes que de plus âgés, d'hommes que de femmes. Il y a des gens de tous métiers qui viennent." Et de tous horizons, même si la philosophie ne fait pas partie de leur expertise... comme c'est le cas de l'auteur de cet article. L'espace d'un instant, l'interviewé devient intervieweur, et se met à sonder le journaliste sur son propre rapport à la philosophie, sur les thématiques qui lui parlent. Une démarche inhabituelle, mais qui prête à réfléchir. Comme lors de ces fameux cafés philo, au fond. 

Beaucoup de personnes se demandent si la philosophie est utile ou non.

Basile Dejumne, responsable de l'association Reims Café Philo / Conférence

"Beaucoup de personnes se demandent si la philosophie est utile ou non. La réponse à cette question peut être à double tranchant. Lui chercher une utilité, c'est prendre le risque d'instrumentaliser son rapport, de manquer de regard critique, de l'enfermer dans un système. Mais dire qu'elle n'en a aucun revient à demander pourquoi on l'étudie." Et prendre le risque de la laisser de côté, ce qui serait bien dommage. La réponse, si tant il y en ait une, se trouve sans doute entre les deux. Et serait à rechercher avec nuance par les philosophes. 

"Certaines personnes vont faire un peu de philosophie en terminale, puis n'y retouchent pas après parce que ça ne les a pas marqués, ou parce que l'enseignement ne leur a pas forcément convenu. Mais ça intéresse quand même pas mal de personnes. Quelques années après avoir quitté cet enseignement, elles retombent dessus, et peuvent se pencher dessus de manière peut-être moins scolaire." Avec moins de distance.

Le philosophe en herbe (comme peut l'être chacun et chacune d'entre nous) compare cette discipline à "une porte. Tant qu'elle est fermée, elle ne paraît pas très importante. Il n'y a pas trop de raisons de l'ouvrir. Les gens ont une famille, un travail, plein de choses à faire dans leur vie... Mais une fois la porte ouverte, elle ne se referme pas forcément facilement." Voire ne se referme jamais.

Au sein de ces rassemblements philosophiques, Basile Dejumne prend l'exemple "de gens qui n'en ont jamais fait, qui n'ont jamais ouvert un bouquin de philosophie, et qui viennent un jour en faire un petit peu. Et ça les intéresse. Et ils reviennent. Mois après mois." 

Philofacile

Mais parfois, les livres traitant de philosophie sont plus proches qu'on pourrait le croire. On peut même philosopher sans le conscientiser. Des ouvrages ont été spécifiquement écrits pour traiter des approches philosophiques de deux des plus grandes sagas des trente dernières années : Game of Thrones et Harry Potter. Il y en a bien d'autres (y compris avec un prisme historique, scientifique, ou encore mythologique : de quoi apprendre beaucoup de choses).

Marianne Chaillan a écrit Game of Thrones, une métaphysique des meurtres. Elle y invite la lectrice ou le lecteur dans une "soirée télé avec les meilleurs experts possibles : les philosophes. Qui, selon Kant, mériterait de régner ? Qui semble le plus doué pour conquérir le pouvoir selon Machiavel ?" Le cas de Ned Stark y est soigneusement décortiqué : ce chantre de l'honneur et de la vertu refuse de se compromettre en cédant au mensonge, quitte à y laisser la vie. Par là-même, il met en branle une suite de réactions en chaîne qui contribuera à la dévastation du royaume.

Quant à Harry Potter à l'école de philosophie, écrit par... Marianne Chaillan, encore elle (elle s'est aussi frottée à la philosophie d'Amélie Nothomb), il promet "une remarquable initiation à la philosophie". Au programme : Sartre incarné par la fougue de Sirius Black, et Dumbledore faisant montre d'un fort stoïcisme. Pour ne citer que ça. 

"Des postures héroïques peuvent être philosophiques", reprend Basile Dejumne. Ça tombe bien : il y en a un peu partout dans la fiction. "Comment le héros trouve sa place face au monde ? Contre quoi il lutte ? Il y a souvent des enjeux éthiques. Dans les films, ce sont souvent les méchants qui ont leur mot philosophique à dire, qui veulent construire un monde différent, et qui en proposent une vision contre laquelle le héros représente une forme de lutte. Il y a aussi une autre vision philosophique de la valeur humaine." 

On peut tirer plein de réflexions de ces films.

Basile Dejumne, responsable de l'association Reims Café Philo / Conférence

Lors des cinés philo, il y a ainsi eu l'occasion de visionner Des Fleurs pour Algernon. Roman de Daniel Keyes, adapté plusieurs fois pour le cinéma, la télévision (ici par David Delrieux avec Hélène de Fougerolles), et même la radio ou le théâtre. "Ça raconte l'histoire d'une personne qui a une déficience mentale. Un jour, on lui fait une opération pour la rendre plus intelligente. Très intelligente. Son rapport au monde va changer, elle va se positionner différemment face aux autres, se rendre compte que ces personnes se moquaient d'elle quand elle était handicapée. Cela questionne, permet de revenir sur des sujets comme le handicap ou notre manière de penser. On peut en tirer plein de réflexions." 

La vulgarisation passe aussi par une façon très abrégée de faire de la philosophie. En 2015, Leslie Lecossois, doctorante en philosophie à l'université de Champagne, terminait première de la finale régionale de Ma Thèse en 180 secondes, et concourrait en finale nationale. "Faut-il tuer l'homme pour sauver l'humanité ?", interrogeait-elle alors. On reste dans le thème (voir vidéo ci-dessous, qui ne fait que trois minutes selon le principe).

Philosopher par bien des biais. C'est un peu la recette de cette asso. Où l'on prend le temps de s'écouter, privilège devenu rare dans notre société peu disposée à laisser parler.

On se pose et on s'écoute

"Tout le monde arrive à participer pendant nos séances s’il le veut." Séances limitées à quinze personnes pour éviter que ça ne se transforme en foire à la philo-saucisse, si l'on ose dire. "Au-delà, c'est un peu compliqué. À quinze, les gens sont dans le réel, ils sont beaucoup plus immergés dans l'ambiance. Si on était 100, les gens se sentiraient moins impliqués. C'est vrai que la philosophie se pratique beaucoup sur Internet, avec des échanges et des débats sur les communautés comme Twitter ou Facebook." Où le nombre de personnes présentes est très élevé (le nombre de foires d'empoigne également).

"Mais j'ai l'impression que ça coupe un peu les gens de la réalité : qu'est-ce qu'est vraiment un débat ? Est-ce vraiment un échange ? Poser une opinion qu'on souhaite défendre sur un réseau social revient souvent à se faire reprendre de manière un peu froide, sèche, par d'autres personnes. Voire se faire insulter."

Tout le monde a l'occasion de participer s'il souhaite dire quelque chose.

Basile Dejumne, responsable de l'association Reims Café Philo / Conférence

Rien de tout ça aux cafés philo. "Ce ne sont pas des choses qui arrivent dans la réalité. Une fois, on m'a fait remarquer qu'on ne se battait pas aux cafés philo. C'est évidemment cordial quand deux personnes ne sont pas d'accord. S'ancrer dans la réalité donne une autre forme d'échanges qui est tout à fait intéressante, et permise par le fait qu'on n'est pas très nombreux. Tout le monde a l'occasion de participer s'il souhaite dire quelque chose." 

"Les gens viennent et apportent ce qu'ils veulent. Les personnes les plus férues de philosophie ne sont pas toujours les plus intéressantes. Elles auront plein de connaissances, leur partage sera intéressant. Mais tout le monde vient avec une motivation différente. Certains viennent pour apprendre la philosophie, d'autres pour passer un bon moment, d'autres encore pour découvrir de nouvelles idées. Le but est de réconcilier tout ça, et donner du sens à toutes ces démarches : elles ont toutes leur place. Même le plus féru pourra découvrir des choses, même s'il a déjà lu des milliers de bouquins sur la question." Plutôt que de vouloir fournir des réponses savantes et définitives aux grands questionnements, mieux vaut tout simplement... faire preuve d'écoute.

"Des gens qui ne connaissent pas trop la philosophie, qui n'en ont jamais fait, et viennent avec des expériences : ils auront des conversations qui vont naturellement devenir philosophiques. Quand deux personnes vont discuter du sens de la vie, elles évoqueront des expériences qui auront des similitudes, qui permettront de trouver des éléments permettant de clarifier la question. Inversement, des différences dans le récit de deux personnes permettront de trouver de la nuance dans la réponse à la question posée."

Tout le monde y a sa place

Les visionnages évoqués par Basile Dejumne se font à la maison (et non, pas (encore) au cinéma). Les cafés ont lieu... au café (ça tourne). Et les rassemblements pour visionner quelques extraits de l'œuvre abordée (qu'il n'est même pas obligatoire d'avoir vue), débattre et échanger, ont lieu à la Maison de la vie associative (MVA) de Reims, située au 9 rue Eugène Viet, quartier Barbâtre (voir sur la carte ci-dessous).

"On ne demande à personne d'avoir fait de la philosophie, d'être spécialiste ou doctorant... C'est vraiment ouvert à tout le monde. Pour que tout le monde reparte plus riche qu'en arrivant." Mais si vous voulez absolument venir en ayant lu quelque chose avant, Basile Dejumne suggère Capabilités : comment créer les conditions d'un monde plus juste, ouvrage de la philosophe américaine Martha C. Nussbaum. "C'est un bouquin abordable, qui se centre sur des préoccupations concrètes : situation des droits des femmes en Inde ou des minorités opprimées dans le monde par exemple. En proposant une nouvelle approche philosophique pour les défendre. Et en citant des tas d'auteurs sur le contrat social, la dignité, un certain nombre de problèmes philosophiques."

Et il y en a bien d'autres : pourquoi se limiter à un seul livre ? Quoi qu'il en soit, pour participer en tant que philosophe expert(e), confirmé(e), ou débutant(e), signalez simplement votre envie de participer en envoyant un courriel à ndejumne@gmail.com ou en commentant la publication adéquate sur le groupe Facebook. C'est simple comme bonjour. Mais d'ailleurs, pour terminer là-dessus : tendre vers la simplicité, n'est-ce pas compliqué ?

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