Lev Fraenckel, prof de philo strasbourgeois cartonne sur les réseaux sociaux. Ses vidéos de trois minutes résument une notion ou un point du programme, et les lycéens s'en emparent pour réviser. L'engouement est une révélation pour ce prof qui n'a jamais beaucoup aimé l'école.
Tout commence à quelques semaines du bac de philo 2022. Lev Fraenckel, prof de philo dans un lycée strasbourgeois publie sur tiktok une vidéo de trois minutes qui présente le programme de philosophie. S'en suivent 17 autres vidéos de 3 minutes : chacune présente une des 17 notions du programme.
Ces vidéos sont vues par des milliers de lycéens. En quelques semaines, 100 000 personnes s'abonnent à "Serial Thinker" [penseur en série, ndlr] pour comprendre la philo et la réviser avant le bac.
L'inconscient, le travail, la justice, la raison, le temps.... chaque notions est assorties d'exemples concrets et de citations d'auteurs clefs.
Selon Freud, 'le moi n'est pas maître dans sa maison' ça veut dire que notre conscience ne maîtrise pas tout ce qui se passe dans notre esprit car nous avons des désirs qui sont refoulés dans notre inconscient et qui parfois resurgissent.
L'inconscient, par Serial Thinker
C'est cette synthèse efficace et étayée d'exemples réutilisables lors du bac qui a fait le succès des petites vidéos, Lev Fraenckel le reconnaît lui-même. "Quand on passe plusieurs heures sur une notion en cours, on développe beaucoup, on donne plein d'exemples pas forcément réutilisables par les élèves, donc ce n'est pas facile pour tout le monde de bien comprendre la notion, et de restituer une partie des éléments lors de l'épreuve."
"Alors que là, dans les vidéos, j'essaie d'être plus efficace, plus percutant, et c'est ce qui plaît et aide les élèves".
Pour résumer tout le programme, Serial Thinker dégaine une vidéo d'une heure, le 13 juin 2022, 230 000 personnes la visionnent en 24 heures.
"Cette vidéo a été vue très rapidement par beaucoup de gens, principalement des lycéens. C'était impressionnant."
Fort de son succès, le prof de philo prépare un livre sur le même principe. "Je vais développer un peu, il fera plutôt 200 pages, donc pour le lire en un peu plus d'une heure quand même", s'amuse Lev Fraenckel. "Mais je reprends le même principe : avec des exemples marquants, j'essaie d'être le plus efficace possible".
Enfants qui n'aiment pas l'école
Enfant, Lev Fraenckel était curieux mais n'aimait pas l'école. "Je suis devenu prof pour réparer quelque chose, mais j'ai retrouvé cette frustration de l'autre côté du bureau. J'ai vu certains élèves pas très contents d'être là. Ou d'autres qui avaient du mal avec le système scolaire."
"On les gave de savoir du matin au soir sans qu'ils l'aient demandé. Alors que quand ils vont sur internet, ils posent une question par eux-mêmes, et c'est la réponse à leur question. C'est ça qui m'intéresse."
C'est parce qu'ils se posent la question et qu'ils vont chercher la réponse qu'ils retiennent mieux.
Lev Fraenckel, prof de philo via Tiktok
"Je n'ai pas la solution, mais peut-être qu'on se dirige vers une pédagogie inversée ? Il ne faut pas supprimer le rapport aux enseignants ! Mais on pourrait imaginer autre chose. Si un élève a vu une vidéo, il pourrait continuer de creuser le sujet avec un prof, en effectifs réduits, ça pourrait être intéressant. Ca redonnerait aux élèves et aux profs un gout du temps ensemble. Nous aussi on est frustré de pas pouvoir être à l'écoute de chacun."
Inventer une nouvelle façon d'être prof
A 41 ans, Lev Fraenckel s'est mis en disponibilité de l'Education nationale cette année, pour essayer de vivre de ses vidéos, "pour l'instant ce n'est pas le cas", précise-t-il.
"Et j'ai gardé des heures à l'université, c'est un vrai plaisir de garder un pied dans l'enseignement 'in real life' [dans la vie réelle, ndlr]".
"Certains de mes collègues me disent : 's'ils retiennent mieux tittok et youtube, alors on ne sert plus à rien', mais ce n'est pas comme ça qu'il faut le voir, c'est pas la faute des profs ! On a 35 élèves par classe. Et moi aussi, mes élèves retiennent mieux mes vidéos que mes cours."
Serial Thinker est optimiste et voudrait qu'une réflexion soit menée sur cette nouvelle façon d'apprendre. "C'est parce qu'ils se posent la question et qu'ils vont chercher la réponse qu'ils retiennent mieux."
Un élève qui aide son prof
Avant tiktok, Lev Fraenckel faisait des videos sur youtube depuis trois ans. "Ca germait depuis un moment dans ma tête, mais je n'y connaissais rien en montage vidéo. Et c'est un collègue qui me parle d'un élève fort en montage, Simon."
Simon Schott plante un jour sa caméra devant son prof, la première vidéo n'est pas très réussie. "C'est lui qui m'a motivé à continuer, à réessayer, il n'a pas lâché l'affaire. C'est grâce à lui si j'y suis arrivé." Les vidéos de Serial Thinker sont nées de cette coopération d'un prof avec son élève.
"Je lui ai acheté du matériel vidéo, maintenant il a créé sa propre société de production de vidéos, Wolfdog, et c'est toujours lui qui fait mes vidéos. Mon premier objectif cette année, c'est d'arriver à le rémunérer."
Aider les lycéens en galère et réinventer le métier de prof, une belle philosophie de vie.
