Après deux années de CE2 et de CM1 à temps plein à l'école, Ilyès, 11 ans, est à nouveau sur les bancs de l'école à mi-temps. Une situation déjà vécue par l'enfant et ses parents il y a quelques années. Pour Siham et Messaoud Bendjaoud, ses parents, le combat n'en finit jamais. Ils dénoncent une nouvelle fois les manquements de l'école de Bétheny et de l'Éducation nationale de la Marne.
C'est un appel au secours. Lorsque le papa d'Ilyès nous appelle ce soir-là à 19h45, nous sentons l'agacement, la colère voire la panique dans sa voix. Sa femme, Siham, a assisté en octobre à la dernière réunion ESS, c'est-à-dire, d'Equipe de Suivi de Scolarisation et cela s'est très mal passé. Depuis, le dialogue est rompu entre l'école et la famille du petit garçon.
Ilyès, nous le connaissons. Ses parents, en septembre 2021, avaient mis en place une opération pour alerter de sa situation scolaire. Ils s'étaient installés devant l'école élémentaire d'Equiernolles à Bétheny, celle-là même où est encore scolarisé leur enfant. Sur le trottoir, ils avaient fait la classe à leur fils. À l’époque, le petit garçon, atteint d'un syndrome du spectre autistique, n'était accepté en classe que le matin. Un combat qui avait porté ses fruits et une situation qui s'était stabilisée durant deux années scolaires.
Cette année, à nouveau, Ilyès se retrouve à l'école à mi-temps. Après quelques mois de combat avec les différentes institutions, ils ont décidé d'alerter à nouveau et même d'aller plus loin.
Une école où il n'y a pas école
Siham, la maman d'Ilyès, prend la parole à nouveau ce dimanche matin. Sa voix est calme, posée, presque trop. Comme si l'épuisement s'était abattu sur elle. L'épuisement, mais pas la résignation. Siham, est une maman de trois enfants qui donne sa vie à ses garçons. Qui donne son énergie pour scolariser et faire de son fils aîné, Ilyès, un enfant comme les autres et un futur adulte autonome.
Cette maman a été licenciée, il y a quelques années, pour absentéisme trop fréquent après 15 ans dans la même entreprise. Siham a été exclue, de fait, du monde professionnel, car son enfant est autiste. "Ce n'est pas un problème de trouver du travail. Il y en a et j'en ai retrouvé, explique-t-elle. Mais je n'ai pas pu y rester". Son fils n'allant à l'école que le matin, à nouveau, qui s'occupe de lui le reste de la journée ? Et puis lorsqu'il est scolarisé, "on peut m'appeler à tout instant pour venir le chercher car il fait une crise".
Il est tout seul dans une salle avec son AVS pour ne pas déranger les autres enfants.
Siham, maman d'Ilyès, enfant autiste
La rentrée scolaire de septembre dernier s'est très mal passée. "Son AVS de l'année passée, auxiliaire de vie scolaire, est partie, déçue, affirme Siham. Elle aimait et savait gérer Ilyès. Mais elle n'avait pas de moyens. Elle imprimait le travail depuis chez elle, apportait ses propres jeux. Pour moi, l'école ne lui a pas donné ce qu'il fallait pour travailler".
C'est un premier changement pour le petit garçon. Un autre est aussi prévu et non des moindres. "Lors de la réunion de suivi de scolarisation avant la rentrée, reprend Siham, j'avais dit qu'il ne fallait plus donner à mon fils de tablette, même pas pour le travail éducatif. Tout l'été, j'ai travaillé avec lui. Il a appris à lire et à écrire, il fallait poursuivre cela". Une situation que les parents d'Ilyès ont déjà dénoncée en 2021.
Pour tenter de gérer le comportement compliqué de leur enfant, l'enseignant lui donnait une tablette où, semble-t-il, il regardait des dessins animés. "Notre enfant doit avoir accès aux programmes comme les autres. Avant la rentrée de septembre, je lui ai acheté un cahier de vacances, comme à ses frères. Et chez nous il n'y a pas de : tu fais ça et je te donne ça. J'ai travaillé avec lui normalement. Ilyès, comme tous les enfants, il teste. À l'école, quand ils en ont marre, ils lui donnent la tablette. Ils ne veulent pas se fatiguer. À la maison, il a terminé son cahier de vacances et je l'ai montré à l'équipe qui le suit".
Siham affirme aussi que son enfant n'est pas scolarisé dans sa classe. "Il est tout seul dans une salle avec son AVS pour ne pas déranger les autres enfants". En classe sans être dans sa classe.
Un mi-temps qui se poursuit
La rentrée fut donc compliquée avec une deuxième semaine de septembre où tout a, à nouveau, basculé. "Ilyès était scolarisé toute la journée et ce jour-là, l'école m'appelle en me disant qu'il faut que je vienne tout de suite récupérer mon fils, explique Siham. Il était en crise. Je ne suis pas véhiculée car l'école est à deux pas de la maison, mais ce matin-là j'étais en course. Je leur ai donc dit que je n'arriverai pas avant une heure car il fallait que je reprenne le bus. Bétheny est mal desservi avec un transport toutes les 45 minutes. L'école m'a alors répondu qu'elle allait appeler les urgences, les pompiers pour venir le chercher car Ilyès se mettait en danger. La personne m'a dit que je ne faisais pas ce qu'il fallait. Quand je suis arrivée, il était dans le couloir avec une tablette cassée dans les mains. Le lendemain, j'ai rencontré une petite fille de l'école d'Ilyès qui m'a expliqué qu'il n'y avait plus de réseau. C'est ce qui a déclenché la crise. À l'école, on m'a dit que c'était faux".
Ils ont totalement détourné ma parole et rapporté que je leur avais dit que j'étais prête à laisser Ilyès sur le trottoir. J'ai craqué.
Siham, maman d'Ilyès, enfant autiste
Siham comprend que les préconisations prises avant la rentrée, plus de tablette, n'ont pas été respectées. Cette situation déclenche la décision de remettre à mi-temps Ilyès à l'école et ce pendant trois semaines. "J'ai accepté à condition que cela ne dure pas. On m'a dit aussi que les enfants avaient été traumatisés par le comportement de mon fils. Mais tous les élèves dans sa classe aiment Ilyès. Aucun parent n'est venu me voir pour me dire qu'il fallait enlever Ilyès de l'école. Les adultes de l'école inventent tout".
En octobre, une nouvelle réunion a lieu. "Je me suis, à ce moment-là, retrouvée seule face à tout le monde. Ils ont totalement détourné ma parole, dit encore Siham avec beaucoup d'émotion, rapporté que je leur avais dit que j'étais prête à laisser Ilyès sur le trottoir. Je n'ai jamais dit cela, j'ai craqué et je suis partie de la réunion". Depuis les liens sont rompus avec l'école et l'Éducation nationale. "Ils ont décidé qu'Ilyès continuerait l'école le matin seulement. L'inspectrice a été très méchante. Il a été dit que je refuse toutes les prises en charge : orthophoniste, pédopsychiatre. Tant que ces prises en charge ne sont pas remises en place, Ilyès ne pourra pas retrouver l'école à plein temps".
Plainte contre l'école et contre l'Éducation nationale
Siham ne se présentera pas à la prochaine réunion de suivi de scolarisation le 23 janvier prochain. C'est au-dessus de ses forces. "Je suis bloquée, je ne peux plus. On me traite de menteuse et je ne l'accepterai pas. Je n'ai plus aucune confiance".
Il faudrait que je parte avec Ilyès m'installer en Belgique, mais je ne veux pas séparer les trois frères. Ils ont grandi ensemble, ils sont comme des jumeaux. Je ne peux pas les séparer.
Siham, maman d'Ilyes enfant porteur d'un syndrome du spectre autistique
Comment, dans cette situation, continuer à se battre pour son enfant. "La dernière pédopsychiatre me parlait à moi, explique encore la maman du petit garçon. Ilyès s'ennuyait lorsqu'on y allait. Il faut trouver des psychiatres spécialistes en autisme, mais ils n'ont pas de place. Nous sommes allés chez trois orthophonistes différentes. Ilyès est non verbal. Nous savons que sa capacité à échanger est quasi inexistante, mais il sait compter, chanter pourtant. La dernière orthophoniste nous a dit, moi j'arrête. Tout ce qu'Ilyès a acquis, c'est moi qui lui ai appris. Les après-midi à la maison, il travaille. Je lui fais faire de la lecture avec des livres à son niveau. Il aime les BD par exemple et quand je le sollicite, il réussit à me lire des phrases. Quand nous sommes dehors, il lit les panneaux. Lorsqu'il a les lettres d'un mot, il réussit à les mettre dans l'ordre. C'est comme cela que j'ai su qu'il savait lire".
Les parents du petit garçon autiste ont désormais l'intention de porter plainte "contre l'école et contre l'Éducation nationale. Il y a une loi, celle de 2005 pour l'inclusion des enfants handicapés. Elle n'est pas respectée. L'école ne respecte même pas les préconisations demandées par le Sessad (service d'éducation spéciale et de soins à domicile)".
Plus de vie
Une situation inextricable que vivent nombre de parents d'enfants atteints de spectre autistique. Seuls face aux manques de moyens.
"La plupart des parents partent en Belgique, au Canada, précise Siham, En Tunisie ou en Algérie (pays d'origine des deux parents d'Ilyès), ils ont mis en place des institutions spécialisées pour les autistes. Des pays plus pauvres que la France le font. Je me suis renseignée en Belgique. Il faut faire beaucoup de démarches et surtout, je n'ai pas envie de détruire ma famille, de bouleverser la vie de mes autres enfants. Il faudrait que je parte avec Ilyès m'installer là-bas, mais je ne veux pas séparer les frères. Ils ont grandi ensemble, ils sont comme des jumeaux. Je ne peux pas les séparer".
Et puis Siham est sûre d'une chose. "Je connais Ilyès, et je suis capable de le laisser vivre comme les autres enfants. J'ai appris à lui faire confiance. C'est un enfant qui veut tout découvrir".
Siham et Messaoud accompagneront Ilyès le plus loin possible pour réussir à lui donner une vie "normale". Quant à leur vie, à eux, elle est totalement bouleversée depuis l'annonce par les médecins. Si Messaoud, le père, travaille, Siham, elle, n'a pas le choix. "Je n'ai plus de vie. J'ai tout perdu. C'est Ilyès avant tout et mes autres enfants. Je n'ai plus d'amis, je ne sors plus. Il n'y a plus rien".
Nul n'est censé ignorer la loi, dit l'adage. Mais quand cette loi, celle de 2005 pour l'école inclusive, n'est pas respectée, que peut le citoyen ? Ilyès a 11 ans. Il a été détecté porteur du spectre autistique à l'âge de 3 ans. 8 ans de combat. 8 ans sans issue. 8 ans d'épuisement.
Ce dimanche de janvier, Siham, maman d'Ilyès, petit garçon autiste, nous a consacré une heure de ce temps si précieux. Pour son fils, elle n'arrêtera jamais.