Ce jeudi 24 octobre, le parquet de Reims a fait appel de la relaxe du voisin du petit Tony, mort sous les coups en novembre 2016. Jonathan L. avait été relaxé mardi dernier par le tribunal correctionnel mardi 22 octobre. Il sera rejugé.
L'air hagard, cardigan jaune et gris sur les épaules, Jonathan L. se tient droit à la barre des accusés devant le tribunal correctionnel de Reims. Ce mardi 22 octobre, il est poursuivi pour non-dénonciation de mauvais traitements, à la suite de la mort de Tony en novembre 2016, alors âgé de trois ans. Le garçonnet vivait un calvaire depuis le mois de septembre, régulièrement battu par son beau-père, actuellement mis en examen et placé en détention provisoire. Le président du tribunal a prononcé la relaxe, après une longue audience. "Je suis soulagé, souffle-t-il d'une voix éteinte. Je vais enfin pouvoir repartir de zéro, faire le deuil de ma compagne." Ce jeudi 24 octobre, le procureur de la république Matthieu Bourrette a décidé de faire appel de ce jugement.
Un seul accusé et plusieurs témoins
Une question est sur toutes les lèvres : pourquoi le voisin du dessous était-il le seul sur le banc des accusés ? Toutes les parties civiles, des association de protection de l'enfance aux deux membres de la famille de Tony, se rejoignent sur ce point : Jonathan L. ne devrait pas être l'unique prévenu dans cette affaire. "Si la médiatisation n'est pas à l'origine des poursuites, alors pourquoi ceux que je vais citer {les autres témoins, NDLR} ne sont pas ici présents ?", demande l'avocate de Jonathan L. au procureur lors de sa plaidoirie, évoquant l'interview de Jonathan et sa compagne d'alors à l'émission Sept à Huit sur TF1, quelques jours après la mort de Tony. Séquence longuement évoquée au cours de l'audience. Ou, selon les avocats des parties civiles : "Parce qu'il serait celui, parmi tous les autres, qui en aurait trop fait, trop dit ?"Il faut dire que les témoins étaient nombreux. La mère, qui dit n'avoir rien révélé par peur des représailles de son compagnon, Loïc. La voisine d'à-côté, qui "entendait tout", jusqu'à leurs ébats. Elle a déclaré aux enquêteurs avoir entendu à plusieurs reprises Tony pleurer le matin, de 6h30 à 8h, "avec une voix étrange". Le père biologique, qui voyait son fils "facilement jusqu'au mois de septembre", date de l'emménagement de Loïc V. dans le même domicile que Tony. La directrice de l'école, alertée maintes fois elle aussi. Une amie d'enfance de la maman, qui a vu Loïc V. porter des coups à Tony, et a évoqué avec la mère de l'enfant un possible retrait de la part des services sociaux.
Il n'avait pas prévenu d'autorité judiciaire
Du côté des associations de protection de l'enfance, aucune ne souhaitait de peine exemplaire pour Jonathan L., premier voisin à comparaître pour non-dénonciation de mauvais traitements auprès d'une autorité judiciaire. Car c'est bien là que le bât blesse : le Rémois n'a prévenu ni la police, ni la justice, ni composé le 119, ce numéro vert dédié aux enfants victimes de violences, que sa compagne avait pourtant placardé dans l'ascenseur de l'immeuble. Il clame qu'il s'est rendu au commissariat fermé (vraisemblablement la permanence de quartier et non le commissariat, car celui-ci n'est jamais fermé, note le président de l'audience) et qu'il a prévenu le bailleur social de l'immeuble, ce que la responsable de l'agence nie."Tous les matins à 7h, j'entendais l'enfant courir, on suppose qu'on le tapait, disait la compagne de Jonathan L., décédée depuis, au cours de l'enquête. J'ai failli vous appeler, mais ça allait faire des histoires, il était violent. C'était moi qui avais mis une affiche par rapport aux violences faites aux femmes et aux enfants. J'ai ajouté un numéro par rapport aux enfants." De son côté, Jonathan L. confirme aux enquêteurs qu'il avait entendu Tony "pleurer les matins et le weekend". Qu'il avait entendu le beau-père lui hurler : "j'te mets ta tête dans ta pisse", reprochant à Tony ses pipis au lit.
La mère et le beau-père jugés aux assises début 2020
Beaucoup d'associations de protection de l'enfance ont pointé les failles du dossier et souhaité que Jonathan L. ne soit pas condamné, de peur de faire peur à tout prochain témoin de se prononcer dans des futurs dossiers. Sauf l'avocate de l'association Innocence en danger, pour qui il fallait "trancher sur la culpabilité de l'accusé". Comprendre : pas sur les manquements du dossier, mais bien sur l'attitude de Jonathan L., qui ne doit être "ni un bouc émissaire, ni exemplaire, il doit répondre de sa seule faute : n'avoir rien dit", conclut le procureur dans ses réquisitions.Olivier Chalot, l'avocat du père et de la grand-mère de l'enfant, pointe quant à lui la question de société soulevée par ce procès. "C'est la question du vivre ensemble, de notre devoir à tous de dénoncer les actes de violence (...) Vivre en société, ce n'est pas seulement monter le son de sa télé pour ne pas entendre son voisin hurler sur sa femme." Une question également soulevée par Caroline Rémond, avocate de l'enfant bleu :J'avais espoir que le silence ne soit pas de mise dans ce tribunal. Qu'on pose des questions pour prendre le temps de comprendre… pas pour qu'il s'effondre, mais qu'il comprenne.
- L'avocate de l'association Innocence en danger, pendant sa plaidoirie.
C'est le procès des témoins silencieux. Il faut que ce procès soit celui de dire à tout citoyen de dénoncer tout cas de violence. Cette obligation pèse sur tout un chacun et elle pèse sur nous.
- Caroline Rémond, avocate de l'association l'enfant bleu, enfance maltraitée.
Le procès de la mère et du beau-père de l'enfant n'a pas encore eu lieu, laissant place selon Olivier Chalot à "de grandes frustrations". Selon lui, Jonathan L. aurait dû être jugé en même temps que la mère de la victime, elle-aussi poursuivie pour non-dénonciation de mauvais traitements, (mais aussi pour non assistance à personne en danger, contrairement à Jonathan L.). Et l'avocat d'affirmer : "Quelque part, ce dossier n'est pas mon dossier. Celui que j'attends, c'est celui qui sera traité aux assises. (...) Cela relève presque d'un rendez-vous manqué." Les deux inculpés seront jugés aux assises de la Marne, début 2020.