La PMA pour toutes devait être une priorité de l'agenda politique d'Emmanuel Macron. Finalement, elle est sans cesse reportée depuis 2017. Entretien avec Juliette Ledru, présidente de l'antenne rémoise d'Exaequo, association LGBT de Reims, qui a eu recours à une PMA en Belgique.
Le candidat à la présidentielle 2017 Emmanuel Macron voulait en faire une priorité. Il aura fallu attendre deux ans pour que le texte de loi visant à ouvrir la PMA (procréation médicalement assistée) à toutes les femmes, lesbiennes et célibataires, soit débattu devant l'Assemblée nationale fin septembre prochain, a annoncé le Premier ministre Edouard Philippe.
Lors de sa campagne, le 16 février 2017, Emmanuel Macron montrait sa volonté d'ouvrir la PMA à toutes les femmes dans ce tweet :
Le fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une discrimination intolérable. #CausettePrésidente
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 16 février 2017
Les débats devaient commencer, après plusieurs reports successifs, en janvier 2019. Finalement, une date butoir semble être convenue, sauf déconvenue de dernière minute. Pendant ce temps, les femmes voient le calendrier parlementaire s'arrêter, tandis que le leur, biologique, continue de filer. Pour Juliette Ledru, présidente de l'association Exaequo à Reims, "il est temps d'arrêter de faire de cette question un enjeu politique".
Les députés devaient aborder le sujet de la PMA en janvier 2019. Ils ont finalement repoussé l'échéance à juin, puis à septembre. Comment vivez-vous cette situation ?
"En tant que femme lesbienne qui a envie de continuer à fonder une famille, je le vis mal, avec beaucoup de frustration. On nous porte la question du calendrier parlementaire alors que nous sommes plutôt dans un calendrier biologique. Surtout, on a l'impression que la question de la PMA est sujette à des enjeux politiques et électoraux qui n'ont rien à voir avec notre condition féminine et humaine. On se sent comme des citoyens de seconde zone, parce qu'on n'a pas les mêmes droits.""En tant que femme, je milite en faveur de la PMA et de l'accélération du calendrier. En tant que présidente d'Exaequo, j'exprime ces mêmes frustrations. Au sein de l'association, nous voulons porter ces revendications sur la place publique et dire : "Stop." Il est temps d'arrêter de faire de cette question un enjeu politique. Il est temps de nous entendre."
Pour vous, le plus blessant est de passer au second plan…
"Oui, et d'avoir l'impression d'être un pion sur l'échiquier politique. Ce n'est pas une véritable écoute des femmes, une écoute des citoyennes. C'est une question à problème. Est-ce qu'on y répond maintenant ? On nous répond : "Oui oui…", et puis finalement, comme c'est une question qui est quand même gênante, on va la reporter… ça va, ça vient, on a le sentiment qu'on s'en fiche des femmes."A force de reporter les débats, l'horloge tourne et il faut trouver des alternatives. Ce que vous avez fait. Avec votre femme, vous avez eu recours à la PMA en Belgique. Comment cela s'est-il passé ?
"Dans la mesure où avoir un enfant par PMA n'est pas encore légal en France, avec mon épouse, nous sommes allées en Belgique. On a dû consulter une psychologue, qui nous a donné son accord. Il nous a posé des questions à toutes les deux, nous étions vraiment considérées comme un couple. Mon épouse a eu toute une batterie d'examens à passer en France, comme c'est le cas pour toutes les PMA. Une fois passés, nous les avons envoyés en Belgique, où le médecin nous a dit que nous pouvions nous lancer dans le processus d'ovulation. On a eu la chance que ça prenne la troisième fois."Combien coûte une PMA en Belgique ?
"Cela dépend, mais déjà, l'insémination coûte 500 euros. Il faut y ajouter les différents rendez-vous chez l'obstétricien, la psychologue, les allers-retours, la nuit d'hôtel… sans compter que tout se fait au dernier moment. Du jour au lendemain, on vous dit qu'il faut partir. On a de la chance d'habiter Reims, à trois heures de la Belgique.""Quand en Belgique on nous a dit qu'il fallait voir un psy… au début, on l'a mal pris. On a mal pris le fait d'être auscultées, alors qu'un couple hétéro ne doit pas consulter pour concevoir un enfant. Finalement, on a été ravies en sortant. Il faut savoir que c'est bienveillant. En Belgique, ils font cela depuis tellement longtemps que c'est sympa d'être reçues comme un couple "classique"."
"Et puis, la psychologue nous a posé des questions qui nous ont fait réfléchir. Par exemple, sur la question du parent. Au début, on pensait être maman Marjo et maman Juliette et en fait non, ça ne fonctionne pas comme ça. Elle nous a donné un exemple, quand le bébé appelle la nuit et qu'il demande un câlin et qu'il appelle maman et que ce n'est pas la bonne maman qui vient… Finalement, moi c'est "Malo". C'est ça, savoir identifier le parent. Sans ce rendez-vous, je n'y aurais pas pensé toute seule."
Quelles sont les conséquences psychologiques ?
"La personne qui veut porter fait ses tests d'ovulation et une fois qu'il est bon, vous appelez la clinique et le personnel vous dit qu'il faut être là le lendemain à 9h. Je suis professeure à la fac, il faut que je déplace des cours, pour Marjorie poser une RTT. Et puis il faut anticiper le déplacement, être dans les bouchons… ce ne sont pas des conditions optimales pour ovuler et être inséminée dans le plus grand confort. C'est crevant. Et puis vous avez votre vie, avec son lot de stress quotidien…""En France, on aurait quand même eu ce stress, mais moins fort, car il y a toute la logistique du voyage en moins. Maintenant, le nouveau stress psychologique, c'est de savoir ce qu'on fait de notre enfant quand on se déplacera en Belgique. Est-ce qu'on laisse notre fille chez la nounou ? Et s'il nous arrive quelque chose ? Est-ce qu'on la prend avec nous ? Cela fait quand même six heures de route aller-retour… c'est fatiguant, surtout quand on sait qu'il y a un centre PMA à Reims."
"Enfin, c'est aussi ce côté hors la loi. Je ne me sens pas hors la loi dans la mesure où je fais quelque chose qui est légal dans un autre pays. Je ne suis pas une hors-la-loi mais quand même, on nous renvoie qu'on fait quelque chose d'illégal. C'est très désagréable. On paie nos impôts, on est citoyennes comme tout le monde. Ce n'est pas un caprice. On a un désir de maternité. On connait aussi des amies qui sont seules et qui veulent faire une PMA et qui sont obligées d'aller à l'étranger. Ce n'est pas "un caprice de nana qui veut jouer à la maternité, à la famille hétéro de base".
Les désirs de femmes sont souvent assimilés à des caprices…
"Oui, ce n'est pas forcément renvoyé du côté de la société civile institutionnelle. C'est renvoyé par la famille aussi. "Vous avez eu le mariage, maintenant il vous en faut encore plus ?", "n'en demandez pas trop non plus…" On n'est pas là pour jouer à la famille Ken et Barbie version Barbie et Barbie. Au-delà d'être un couple lesbien, nous sommes des femmes. Il faut toujours se justifier, sans cesse."Une fois le bébé arrivé, c'est un deuxième combat administratif qui commence…
"Une fois que nous sommes revenues de Belgique, nous avons reçu un second livret de famille. Quand ma femme a accouché, on a appris qu'elle aurait un second livret de mère célibataire, que notre fille ne pourrait pas apparaître sur notre livret de famille. Déjà, "mère célibataire", ça pique. Surtout quand depuis quelques mois, la CAF vous réclame votre dossier avec vos revenus.""Donc d'un côté, on vous demande vos revenus, et de l'autre, on vous dit : "Ah bah non, ce n'est pas votre enfant, puisque c'est une mère célibataire". Ce double statut a été très difficile à vivre pour ma femme, et pour moi aussi. Puisqu'on me ramenait à mes devoirs envers l'administration mais pas à mes droits. Puis au moment du rendez-vous avec la CAF, "l'accueil de l'enfant" n'est stipulé à aucun moment. Les PowerPoint étaient remplis des mots "congés paternité" alors que ce sont des congés "parentalité" depuis 2013. Je leur ai dit que ce serait bien, qu'en tant qu'institution, ils se devaient d'être à jour."
"Il y a aussi le fait qu'à chaque déplacement, je prends toujours les deux livrets de famille. Parce que s'il arrive quoique ce soit, il faut que je puisse prouver avec les deux livrets que j'ai un lien avec l'enfant. J'ai obtenu l'adoption plénière il y a peu, mais tant que je n'avais pas reçu les papiers, je n'avais pas de droit véritablement."
"A Perpignan, deux mamans ont amené leur enfant aux urgences, et malgré l'adoption, un membre du personnel a demandé à la deuxième maman de sortir de la pièce. Malgré les papiers juridiques, les gens nous renvoient leur conservatisme."