Procès de l’esclavage dans les vignes :  "on était 36 personnes entassées dans l'hébergement, à dormir sur le sol"

Le procès pour « traite d’êtres humains » concernant des travailleurs viticoles prenait fin ce vendredi 3 juillet, au tribunal correctionnel de Reims. Le délibéré sera rendu le 11 septembre 2020.

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« Je m’excuse, ce n’est pas ce que je voulais. » La voix étranglée, presque inaudible, Chandrika S. clôture ainsi trois jours d’un procès complexe et technique. Six personnes et trois sociétés sont impliquées. Toutes se sont succédé à la barre réitérant les mêmes excuses, pour les conditions de vie et de travail profondément dégradantes qu'ont subi plusieurs dizaines d’étrangers isolés ayant travaillé dans les vignes.

Les faits remontent à la fin août 2018, dans les cépages de l'Aube et de la Marne. Au fil des audiences, les magistrats du tribunal correctionnel de Reims ont démêlé les relations contractuelles liant les différentes sociétés viticole entre elles. Viti-chenil, Serviti... ainsi qu’un cadre de la maison Veuve Cliquot. Mais au centre, c’est d’abord l’entreprise Rajviti, créée par Chandrika S. et son mari, qui intéresse les juges. C’est pour des faits de « traite d’êtres humains », qu’ils sont tous deux poursuivis; elle comme dirigeant de fait, lui, comme dirigeant de droit. Le procureur a requis à leur encontre respectivement 3 et 2 ans de prison ferme, sans aménagements de peine.
 

De Paris à la Champagne, l'acheminement d'une main d'oeuvre vulnérable

Pour ramener des bras dans les cépages, les deux exploitants incriminés ont envoyé des voitures dans plusieurs villes, loin de la Champagne. Au centre ce système d’acheminement de travailleurs, Paris semble être un point névralgique.

Venue témoigner au deuxième jour du procès, l’une des victimes d’origine afghane confirme. Les mains derrière le dos, pivotant vers son interprète pachtoune, il entame le récit de ses cinq journées dans les vignes. Son calvaire commence dans le quartier parisien de la Chapelle. Un proche lui laisse entendre qu’il y aurait du travail pour lui en Champagne; on lui parle d'une paye de 9,98€ de l’heure, d'une chambre et d'une prise en charge des repas. Pour cela, il doit se rendre au jardin Villemin, à deux pas de la Gare de l’Est. Au milieu de l’après-midi, plusieurs voitures arrivent. Dans chacune, des dizaines de travailleurs en situation irrégulière s’entassent le temps du trajet.
 


Après deux heures de route, ils arrivent à la première habitation, puis change de foyer le lendemain. D’une maison à l’autre, les vendangeurs déchantent. 
 

On était 36 personnes entassées dans l’hébergement. Il y avait une douche sans eau chaude et une toilette pour tout le monde. Il n’y avait pas assez de place pour installer des couchages, on devait dormir sur le sol. 

Une des victimes



Le rythme des journées que cet homme décrit est effroyable : le travail commencerait à 5 heures 30, et sur le terrain, ils ne recevraient pas assez d’eau ou de nourriture. Sur l'insistance de son assistante social - elle lui explique qu’il a besoin d’une preuve qu'il est actif pour conserver sa place en foyer - il réclame un contrat de travail. Jamais il n’en verra la couleur. C’est à la suite de cela qu’il décide de porter plainte auprès des gendarmes, après avoir attendu une nuit dans les champs qu’on le reçoit.

« Dans ce genre de situation, l’emprise se construit petit à petit, explique Violaine Husson, responsable à l’association  de soutien au migrants La Cimade, de la protection de ces derniers. On commence par leur faire miroiter une situation enviable, comme la possibilité d’être déclaré et d’avoir une carte de séjour. Une fois qu’ils arrivent sur place, ils sont totalement isolés dans un territoire qu’ils ne connaissent pas. Ceux qui répandent les fausses promesses, sont des personnes bien implantées en France, qui abusent de gens n’ayant aucun repère. » Juriste au sein du Comité de lutte contre l’esclavage moderne, Annabel Cauzian abonde dans le même sens : « Ce qui est terrible dans ce dossier, c’est que le couple originaire du Sri Lanka qui exploitait ces travailleurs vulnérables savait très bien ce qu’il faisait. Eux-mêmes avaient connu les mêmes galères, et savent comment en tirer profit. »
  

"Je déteste ce mot : esclavage moderne. Parce que la mot esclavage a un sens"

Les témoignages accablants se cumulent aux récits glaçants des gendarmes. Pendant de longues minutes, le président de la chambre correctionnel retrace méthodiquement le rapport d’inspection, pièce par pièce. Toutes aussi insalubres l'une que l'autre, d’après les termes des agents.

En charge de la défense des époux, maître Patrick Berdugo ne se laisse pas abattre. « J’ai l’impression qu’on a entendu un peu trop d’emphase sur l’esclavage du côté des parties civiles », glisse l’avocat dans la salle des pas perdus. Durant les deux dernières heures du procès, il revient longuement sur les conditions de travail des autres coupeurs. Ceux qui avaient rempilé les cueillettes sur plusieurs années, sans se plaindre de leurs conditions de travail. Puis, c’est vers le banc des accusés qu’il se tourne : « Aujourd’hui se pressent dans le banc des accusés des seconds couteaux, aucune des grandes figures du Champagne, alors qu’il s’agit d’un système pyramidal, et que d'autres maisons ont acheté ce raisin. »
 
 

Concernant les accusations de « traite d’êtres humains », il rejette en bloc les arguments de l’accusation : « Je déteste ce mot : esclavage moderne. Parce que le mot esclavage a un sens et repose sur deux principes. D’une part, il renvoie à une personne privée de liberté, du début jusqu’à la fin de sa vie. D’autre part, il doit y avoir une contrainte avérée. Or, toutes les personnes déclarent qu’elles étaient libres de partir. » Me Berdugo demande aux juges d’éviter aux accusés une peine de prison ferme. Les avocats des autres prévenus, encourant des peines moins lourdes, demandent la relaxe pour leurs clients.
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