Pierre Lecocq, alias Georges Lecocq pour les Rémois, se met en scène depuis quatre ans tous les soirs de l'été place d'Erlon. L'artiste de rue, un Cornichon pur jus, se dévoile le temps d'un café. Rencontre.
"Ça te fait pas bizarre d'être de l'autre côté?", questionne le serveur du restaurant le Gaulois à Reims ce dimanche 2 août. "Si, un peu, concède celui qui se donnait en spectacle la veille jusqu'à 23h passées. Mais je dois dire que ce n'est pas désagréable." Chemise rouge sur les épaules et cigarette roulée au bout des doigts, Pierre Lecocq parle vite. Non pas qu'il soit pressé, mais donner une interview semble le stresser.Si ce nom ne vous dit pas grand-chose, peut-être que Georges Lecocq, ou Georges le clown vous parleront un peu plus. Pas sûr. Derrière ce nom de scène se cache celui qui anime la place d'Erlon à Reims depuis quatre étés. "Il faut une température de minimum 20 degrés, un peu de soleil et c'est tout, énumère l'artiste. Pas de vent. S'il y a du vent, j'ai l'impression que l'attention des gens part avec lui."
Georges, le clown qui travaille la terre
Un prénom que le comédien a choisi pour de multiples raisons. Son cousin Georges tout d'abord, qui le fait "beaucoup rire". Parce qu'il y a quelque chose de grandiloquent dans ce prénom, estime-t-il, et enfin pour son étymologie. Georges, en grec ancien, signifie "celui qui travaille la terre". Cela tombe bien car Georges Lecocq, quand il laisse sa place à Pierre entre septembre et juin, travaille la vigne. Avec un bac littéraire en poche et sans formation de cirque ni universitaire, il alterne entre les fonctions d'ouvrier agricole et d'animateur scolaire en enseignant le cirque lors d'ateliers scolaires. "Le spectacle de rue, ça me fait manger deux mois en été", élude-t-il."Ils te manquent pas trop les Américains?", questionne le serveur, venu lui apporter son arabica. Cette année, crise sanitaire oblige, les touristes étrangers se font plus rares et avec eux, les pourboires. Le jongleur acquiesce. "Mon spectacle fonctionne bien avec les Américains. En plus, je sens qu'ils n'éprouvent aucun problème à me donner de l'argent. Ils voient un artiste qui se produit et le payent, ils ne me voient pas comme quelqu'un qui fait la manche."
Solitaire et réservé
Terre-à-terre et solitaire, Pierre Lecocq s'entraîne quotidiennement pour garder une bonne condition physique, surveille son alimentation et ne boit jamais avant un spectacle. Tous les jours de l'année, il monte sur son vélo et pratique du renforcement musculaire. L'après-midi, il préfère lire et se préserve de toutes les sollicitations jusqu'au soir, comme s'il avait un quota d'interactions humaines à ne pas dépasser. Souvent, il a pensé tout arrêter, mais il s'accroche.Sur les pavés rémois, le jongleur pratique un humour léger. Ses mentors : Charlot et Buster Keaton. Le premier pour son jeu, sa danse, sa maîtrise de la musique. Le second pour son charisme et sa capacité à transmettre des émotions tout en restant stoïque. "Parfois je me dis qu'il faudrait que je cherche de l'humour plus fin, plus délicat, mais c'est la contrainte de la rue, tranche-t-il. Il faut être vraiment dans l'immédiat puisque les gens ne sont pas installés dans un fauteuil et concentrés sur moi. Il faut qu'en un coup d'œil, ils se promènent sur la place et que j'attire leur attention." Un humour simple qui correspond parfaitement au saltimbanque. Le Rémois aime se placer "au niveau des gens, voire en-dessous".Parfois, je suis parfaitement dans le rythme avec la musique, tout se synchronise parfaitement mais rien à faire, les gens s'en fichent. Parfois, c'est l'inverse, je fais tout tomber mais tout le monde m'applaudit. Depuis que j'ai compris que les retours n'ont rien à voir avec ma performance, je vis beaucoup mieux les soirs où cela fonctionne moins bien.
Beaucoup de gens se demandent si je ne suis pas un clochard, si je ne dors pas dans la rue. J'aime partir de ce niveau-là et les emmener avec moi vers autre chose.
Plutôt bien accueilli place d'Erlon, Pierre Lecocq est connu des restaurateurs, qui lui ouvrent leur terrasse pour la plupart. Il s'est aussi constitué une petite base de fans : Pierre et Betty, qui habitent l'île de Ré mais se rendent souvent à la cité des sacres. Amandine et Charlotte, plus jeunes, ou encore "Fifou", dont il ne connaît pas le prénom.
Ce samedi 1er août, la place d'Erlon est agitée, ce qui n'empêche pas Georges de s'attirer les regards ébahis des marmots présents en terrasse. Les parents jettent eux aussi un coup d'oeil. Le clown s'articule, jongle et grimace sur de la musique de fanfare. "Si je sens que l'ambiance est plus paisible, je préfère mettre du classique, dit-il. Je veux que les gens me remarquent, mais je n'ai pas non plus envie de m'imposer à eux. Si je sens que ça ne prend pas, je ne reste pas." Aux mois de juillet et en août, le saltimbanque se donne en spectacle de 19h30 à 23h sur la célèbre rue piétonne rémoise. Quand la météo le permet, il peut prolonger jusqu'en juin ou en septembre et parfois même en hiver.