Jeunes, sans expérience dans le milieu de la restauration… des Rémoises ont vécu une très mauvaise expérience avec le gérant d'un snack situé place d'Erlon à Reims. Elles lui reprochent des propos et gestes déplacés.
Premier juillet 2020. Camille* a 19 ans. L'été vient de débuter et la jeune femme dépose des CV un peu partout place d'Erlon, afin de trouver un job d'été. C'est alors qu'elle rencontre le gérant d'une enseigne de restauration rapide. "Il m'a proposé de travailler pour lui parce que j'étais une fille. Il m'a dit qu'avec une fille comme moi au comptoir, ça allait cartonner", raconte Camille au téléphone, qui malgré ses vacances loin de Reims, semble encore sous le choc.
Cette mésaventure, Camille a moins honte de la partager aujourd'hui que lorsqu'elle servait au snack. Il y a moins d'un mois, elle pensait que le comportement de son employeur "était de sa faute à elle", que "c'était elle le problème" et refusait même d'aborder le sujet avec ses parents. Depuis le samedi 25 juillet, tout a changé.
Ce qui m'a le plus choquée, c'est quand il m'a vue avec la tenue du snack. Il m'a regardée avec des yeux qui brillaient… sur le moment, je me suis dit que ce n'était pas normal, que c'était mon patron.
Ce jour-là, Mia, 21 ans, dénonce les agissements de l'entrepreneur dans un tweet. Elle y met en garde celles qui, comme une de ses amies, ont eu affaire à lui, expliquant qu'il "propose aux femmes pendants [sic] les entretiens d’embauche d’être son escorte et pose des questions sur leur sexualité". En deux jours, elle récolte plus d'une dizaine de témoignages allant dans le même sens : celui d'un patron insistant auprès de la gent féminine, des jeunes pour la plupart, parfois tactile, souvent entreprenant. D'après de nombreux témoignages que nous avons recueillis, il n'hésitait pas à leur proposer un emploi de serveuse sans que celles-ci n'aient postulé.
Des propositions d'emploi à des clientes du snack
A certaines, il aurait offert un travail dans son prochain bar, le Coyote Girls, en référence à un film américain mettant en scène une jeune femme travaillant dans un bar dansant, où les serveuses sont vêtues de manière sexy. C'est le cas de Chloé*, 19 ans. Un soir de juillet, elle se rend au snack avec une de ses amies mineure. Venue commander à manger, Chloé assure que le patron aurait tenu des propos déplacés. "J’ai pris mes frites et il m’a dit qu’il cherchait une serveuse. Au début, je pensais que c'était pour le snack, puis il m'a parlé d'un bar qu'il allait monter, le Coyote Girls en référence au film. Je me suis dit pourquoi pas, mais là, il m'a montré les photos des filles qu'il avait engagées. Elles étaient vraiment dénudées, limite à poil. En voyant les photos, j’ai dit non je ne peux pas faire ça."Sur le moment, la jeune femme assure s'être sentie en insécurité. "Il était tactile. Il nous a offert des frites en nous disant qu’il prenait soin de ses employés", se remémore la jeune femme en tirant nerveusement sur sa cigarette. Après ce moment de malaise, "la première chose que j’ai dite c’est plus jamais. Plus jamais je vais là-bas."Il m'a dit : "Je te vois bien dedans, t’as le corps. J’ai pas encore de blonde comme toi."
Depuis le tweet de Mia, Camille et Chloé savent qu'elles ne sont plus les seules à avoir subi les remarques et les gestes déplacés du gérant. "Aujourd'hui, ça me fait du bien de savoir que je n'étais pas la seule. Mia a eu beaucoup de courage, je n'aurais jamais osé faire ça", observe Camille. Par "crainte des représailles", elle n'a ni porté plainte, ni déposé de main courante. "Il avait mon CV et donc mon adresse, j'avais peur", justifie-t-elle. "Plus grand et plus costaud", l'homme est physiquement impressionnant. "Je n'avais pas le droit de parler à mes collègues, raconte la Rémoise. Une fois, j'ai demandé de l'aide et il m'a engueulée. Pour eux aussi, ça n'a pas dû être facile."
Plainte pour diffamation
Interrogés durant leur service, les employés affirment ne pas avoir croisé cette jeune fille pour des raisons de planning. Ils déclarent également ne pas avoir assisté à des situations de harcèlement ni de remarques misogynes depuis le début de leur contrat il y a quelques mois. Interrogé également, le dirigeant du snack "conteste formellement les allégations portées contre [lui] et [a] chargé [ses] avocats de rétablir [son] honneur". Mais devant moi, le gérant semble troublé et affecté, voire choqué par toute cette affaire. Il a également porté plainte pour diffamation.Concernant son nouveau bar, l'entrepreneur assure que tout se déroulait dans les règles. Lors de notre rencontre, il s'est emparé de son téléphone qu'il a placé sur haut-parleur. Au bout du fil, une des serveuses qu'il aurait embauché pour son bar. Elle affirme être danseuse professionnelle à Paris. C'est elle qui se chargera des tenues, "shorts et chemises, rien de plus", confirme-t-elle.
Ce 29 juillet, le tweet de Mia a été repartagé plus de 5.000 fois et recueillis plus de 3.000 mentions "j'aime". Une publicité à laquelle l'étudiante en psychologie était loin de s'attendre. Dépassée par les événements, elle tente comme elle le peut de modérer certaines réactions. "Je sais que les gens veulent répondre par la violence ou le harcèlement, constate-t-elle. Je ne veux pas du tout que ça parte dans ces choses-là. Si ça commence à dégénérer, je me dédouane totalement de ça. Je veux juste que justice soit rendue. Que ces femmes soient entendues et écoutées et qu'elles ne restent pas dans le silence."
Après un tel emballement, la Twittos de 21 ans s'est rendue au Mars (France victime 51), une association d'aides aux victimes de violences. Le rôle du Mars n'est pas de qualifier la nature des faits reprochés au gérant du snack. En revanche, grâce à ses connexions avec le palais de justice, les femmes qui la sollicitent sont accompagnées dans leurs démarches. Nazha Chtany, la présidente conseille aux internautes qui témoignent de ces agissements de venir se faire connaître au sein de l'association. "Si on ne sait pas quoi faire, il y a le réseau France victime. Dès lors qu'elles pensent être victimes, elles peuvent nous solliciter. Notre rôle est alors de les accompagner. Elles peuvent venir seules ou ensemble pour essayer d'obtenir un maximum de droits. On peut porter plainte, proposer une prise en charge psychologique, le tout en fonction de la demande de la victime."
Porter plainte pour que la justice puisse enquêter
Même son de cloche du côté de la justice. Le procureur de la république de Reims, Matthieu Bourrette, encourage vivement les internautes à "lui écrire, déposer une plainte au commissariat, ou être accompagnées par une association d'aide aux victimes". Même si une enquête peut être ouverte à la suite de tweets, il sera beaucoup moins chronophage pour la justice que les plaignantes se manifestent d'elles-mêmes. Et le magistrat d'ajouter : "J'avoue préférer qu'on vienne dénoncer des faits dans un cadre où l'on peut enquêter et défendre les droits des victimes et du mis en cause."De son côté, Mia encourage également celles qui ont témoigné à déposer une main courante. "Je leur ai même proposé de les accompagner ou de les mettre en contact avec d'autres pour éviter qu'elles y aillent seules, ajoute-t-elle. Car c'est ça aussi qui leur faisait peur, c'est qu'elles se sentaient seules. Elles ne savaient pas si ça allait être pris en compte. Chez certaines, je sens qu'il y a encore de la crainte."
Effectivement, les femmes que nous avons interrogées nous ont fait part de leurs craintes ou de leur méconnaissance des procédures à suivre dans ce genre de situation. Chloé le concède, elle a failli alerter la police une fois partie du snack, avant de se dire "que le tweet suffirait à alerter la police". Camille, en vacances loin de la cité des sacres, pense solliciter Mia à son retour et déposer une main courante.
Pour contacter le Mars (réseau France victime 51), composez le 03 26 89 59 30.
*les prénoms ont été modifiés