C'est une histoire, souvent oubliée, que nous n'avons pas forcément apprise à l'école. Un secret, bien gardé par les armées des Alliés en 1945, mais qu'un intrépide journaliste américain a choisi de révéler. Voici trois bonnes raisons de regarder "Le grand secret".
C'est un pan de l'histoire qui dévoile toutes les subtilités sémantiques et politiques des choses. Qui dévoile aussi les enjeux qui nous dépassent, nous simples citoyens et qui révèle enfin la valeur humaine de certains hommes, qui mettent la liberté de la presse au-dessus de toutes choses afin d'informer le plus grand nombre.
Voici trois bonnes raisons de regarder le documentaire de Christophe Remy Le grand secret
1 - Parce qu'on aime les secrets
Et surtout les secrets d'histoire. Ce n'est pas Stéphane Bern qui nous dira le contraire. Saviez-vous, vous qui commémorez chaque 8-Mai la fin de la Seconde Guerre mondiale, saviez-vous donc, que la reddition allemande avait en réalité été signée le 7 mai 1945 à 2h41 du matin précisément ?Saviez-vous que ce moment historique mondial s'était tenu dans l'actuel lycée Roosevelt de Reims, alors quartiers généraux d'Eisenhower ? J'avoue ne le savoir que depuis quelques années, notamment grâce à ce documentaire du réalisateur Christophe Rémy sorti en 2015, rendu possible par la déclassification des documents des armées après soixante-dix ans.
2 - Parce que le sujet est polémique
C'est une histoire plus célèbre aux Etats-Unis qu'en France, car elle a suscité une vaste polémique Outre-Atlantique. Pourquoi ? Où se trouve le problème ? Un retour en arrière est nécessaire pour comprendre tout l'enjeu de l'acte que le journaliste américain Edward Kennedy, correspondant de guerre pour l'Associated Press à Paris s'apprête alors à faire.Dès janvier 1943, lors de la conférence de Casablanca, les Alliés préparent les conditions de la fin de la guerre. Ils se mettent d'accord pour exiger une reddition sans condition des forces nazies sur l'ensemble des fronts occidentaux et du côté soviétique.
En mai 1945, alors que les troupes nazies subissent les attaques simultanées sur les fronts ouest et est, le suicide d'Hitler met un terme aux veilléités de résistance des derniers officiers du IIIe Reich. L'amiral Dönitz se résigne à signer la reddition. Il envoie son représentant le général Jodl dans un poste avancé des quartiers généraux d'Eisenhower "Supreme Headquarters Allied Expeditionnary Force" établi à Reims, dans un collège de la rue Jolicoeur, devenu Lycée Rossevelt. Il préfère signer avec les alliés occidentaux, les croyants plus faibles que Staline.
17 journalistes, dont Edward Kennedy, sont alors convoqués par le général Eisenhower pour assister à la signature de la capitulation totale des Allemands. Mais Staline veut signer la reddition de son côté pour marquer l'opinion soviétique ; il veut signer cet acte à Berlin et frapper les esprits. Eisenhower accepte donc - à regret - de maintenir l'information secrète et impose aux journalistes présents un embargo de 36 heures, le temps pour Staline d'organiser les conditions de sa propre signature de la victoire.
Ed Kennedy, qui a d'abord accepté les termes de cet embargo, retourne à Paris et s'isole dans sa chambre à l'hôtel Le Scribe à Paris. Au terme de quinze minutes de réflexion, il décide de surseoir à l'embargo qui lui a été imposé. Il estime que le délai de publication n'a été ordonné que pour des raisons politiques, pour l'orgueil de Staline. En son âme et conscience, il décide d'informer son agence et envoie par téléphone un texte de 300 mots annonçant la reddition totale des Allemands signée à Reims. L'Associated Press, qui ne pouvait ignorer l'embargo, décide de la diffuser, malgré tout. L'annonce de ce Victory in Europe Day déclenche la liesse des peuples dans le monde entier.
Le sentiment de libération d'un monde en balance avec la fierté d'un seul homme. Edward Kennedy, lanceur l'alerte ou chasseur de scoop ?
3 - Parce que c'est aussi l'hommage d'une fille à son père
Menacé de cour martiale, insulté par ses confrères qui ont respecté l'embargo, Edward Kennedy retourne aux Etats-Unis. Alors que son prestige de correspondant de guerre - il avait couvert de nombreux front pour l'AP - aurait pu le protéger, alors que le soutien des citoyens américains lui est acquis, le directeur de l'agence le congédie. Il s'exilera à Monterey, Californie, où il devient directeur de la dépêche locale. Il meurt, fauché par voiture en 1963. Bien des années après, sa fille Julia Kennedy-Cochran trouve, parmi les documents laissés par son père, les mémoires qu'il a pris soin de rédiger. Avec émotion, elle les lit et décide de les publier pour réhabiliter le nom de son père. En 2015, elle se rend en France, à Reims au Musée de la reddition et à l'hôtel Le Scribe à Paris. La caméra de Christophe Rémy suit avec pudeur ces moments d'émotion d'hommage d'une fille à son père.
Les témoins interviewés dans Le grand secret, donnent leurs avis et leurs hypothèses sur les raisons qui ont poussé cet homme, cet éminent journaliste à s'opposer à cet embargo. Pour ma part, je le vois avec les yeux de sa fille, comme un homme qui a voulu informer tous les hommes et les femmes victimes de la guerre, que leur supplice avait pris fin, au mépris des conséquences que cela aurait sur lui. Un héros de la presse.