Ils ont repris le chemin de l’école. Dans le 1er comme dans le 2nd degré , les parents avaient le choix de remettre ou non leurs enfants en classe. Chronique non pas d’une rentrée, mais d’une reprise très spéciale d’après confinement.
"Mon fils a repris le collège hier. Je n’avais pas d’appréhension, explique Zohr. Je savais que l’établissement avait pris toutes les dispositions. Je n’avais pas peur. Par contre lui était inquiet. Il l’est déjà lorsqu’il faut reprendre après les vacances. Je l’ai rassuré et au retour il était content d’y être retourné".
Ce collégien sparnacien aura cours quatre jours par semaine. L’établissement a aussi remis en route sa cantine, non plus comme un self mais avec un service sur assiette. "Il n’a pas retrouvé tout le monde, seulement 9 de ses camarades sur 28, explique encore Zohr. Certains élèves de sa classe ont été répartis dans d’autres groupes. De toute façon, dans leur protocole sanitaire, ils ne peuvent accueillir que 10 élèves par classe. Ce que mon fils a apprécié c’est qu’ils arrivent avec leur cartable et ce sont les profs qui viennent à eux. Ils restent dans leur classe à la même place toute la semaine. Cela a un côté rassurant". Côté enseignement, les professeurs s’adaptent. En sport, le gymnase étant interdit, ils sont allés en randonnée. "Il fallait que mon fils reprenne, il faut tenter de dédramatiser. Nous parents, on ne peut pas se substituer aux professeurs. C’est un gros travail très très difficile".
Tout le monde a fait un boulot colossal - les profs, les élèves, les parents - il faut que la vie reprenne.
- Zohr, maman d'un collègien sparnacien -
Dans cet établissement, la reprise est sur 4 jours par semaine. Dans d’autres, les élèves n’ont cours qu’un seul jour, ou une semaine sur deux. Autant d’organisation, que d’établissements. "Selon qu'il s'agit d'un gros lycée, d'un petit collège, en milieu rural ou urbain, c’est très variable, précise Célia Vollondat, co-secrétaire académique du Snes de la Marne et professeur de français au lycée Roosevelt à Reims. Et ça prend du sens ou ça n’en prend pas. C’est-à-dire que pédagogiquement, je ne suis pas sûre qu’il y ait beaucoup d’intérêt dans beaucoup d’établissements pour une reprise si tardive et surtout si partielle. Forcément quand on se retrouve au collège ou au lycée avec 36 élèves par classe, des collègues qui ne peuvent pas tous reprendre, certains sont vulnérables ou vivent avec des personnes fragiles, la répartition des élèves ne se fait pas aisément et n’a pas forcément de sens".
Et puis il y a les établissements centres d’examens qui accueilleront les élèves pour les oraux de rattrapage du bac, les concours des classes de prépa aux grandes écoles ou encore les concours de recrutement pour le Capes. Ceux-là fermeront cette fois définitivement leurs portes aux enseignements le 17 juin… "Ce qui se fait dans mon établissement à Roosevelt ne me semble pas aberrant, dit encore Célia Vollondat du Snes. Faire revenir beaucoup plus d’élèves dans ce laps de temps ça ne me semblait pas être très pertinent. Par contre dans d’autres établissements, des collèges, qui continueront jusqu’au 4 juillet, des collègues subissent des pressions pour faire des des cours en vidéo alors qu’ils n’en ont pas les moyens, ou pour enseigner dans des matières dont ils n’ont pas la charge avec des élèves qui ne sont pas les leurs. On arrive parfois à du grand n’importe quoi. Alors que dans d’autres établissements cela se passe tout a fait décemment".
On le sent, les chefs d’établissement font ce qu’ils peuvent pour donner du sens et pour que certains élèves ne soient pas coupés socialement de l’enseignement pendant 6 mois. Ca peut s’entendre mais pas à n’importe quel prix.
- Célia Vollondat, co-secrétaire académique du SNES
"J'avais peur que l'école ne soit pas bienveillante"
"Mon fils est en classe de 1ere et il retourne au lycée demain (mercredi 10 juin), annonce avec plaisir Fatou Nguyen. Nous avons reçu de l’établissement une explication sur le protocole sanitaire donc nous n’avons pas trop d’inquiétude. Sur le papier ça à l’air bien ! Mais on a besoin qu’il nous raconte quand il rentrera". Ce que regrette cette maman c’est le manque d’informations de la part de l’établissement. "Pourtant je fais partie du conseil d’administration, mais nous avons les informations au compte-gouttes. Nous aurions aimé savoir le nouvel emploi du temps de mon fils et comment les enfants seront répartis dans les classes". "Depuis le début de la crise, nous avons remonté les craintes des familles, explique Béatrice Lutz, présidente de la PEEP, fédération des parents d’élèves de l'enseignement public de la Marne. Nous avons reçu énormément d'appels de parents inquiets. Nous avons ce devoir de les rassurer, et eux-mêmes doivent rassurer leurs enfants. Je dois dire que nous avons bien travaillé avec le rectorat et l’académie en toute transparence et avec bienveillance. C’est ce que la crise aura au moins permis".
Dans le second degré, tous les collèges et les lycées ont rouvert, mais seuls 25 % des collégiens sont revenus en classe et 10 % pour les lycéens, précise le rectorat. Quant au 1er degré, toutes les écoles n’ont pu rouvrir et en moyenne 40% des élèves sont accueillis, « avec de grandes disparités selon les écoles (effectifs des classes, surface et disposition des locaux, disponibilité des enseignants), explique encore le rectorat. Nous espérons accueillir rapidement encore plus d’élèves, notamment grâce au dispositif 2S 2C (sport, santé, culture, civisme) qui permet d’accueillir un plus grand nombre d’élèves sur le temps scolaire en leur proposant des activités éducatives assurées par d’autres personnes que leurs professeurs".
"Alors nous notre crainte c’est de voir externaliser ces matières qui sont indispensables aux apprentissages. Donc on sera vigilant à cela", explique Irène Déjardin, co-secrétaire Snuipp de la Marne, en réponse au dispositif 2S 2C. Institutrice en maternelle à l’école Charles Péguy de Reims, elle se dit : "très heureuse d’avoir retrouvé mes élèves". Dans cette école en zone d’éducation prioritaire, l’école a repris le 18 mai dernier. Habituellement en charge d’une classe de moyenne et grande sections de 30 élèves, 8 ont fait leur rentrée. "Pour moi ça été « facile » parce que j’ai accueilli, avec d’autres collègues, les enfants des personnels prioritaires pendant deux mois. Il n’y avait aucune appréhension pour moi à reprendre les élèves mardi dernier. L’appréhension que j’avais c’était de faire appliquer le protocole sanitaire. Il est très stricte ce qui est normal. Ce n’est pas l’école dont on a l’habitude et ce n’est pas non plus l’école que l’on veut".
Garder ses distances en maternelle, une grande première pour ses enseignants. "Il n’y a pas de distanciation avec nos élèves et c’est difficile de la faire respecter, explique Irène Déjardin. Et c’est encore plus difficile de la faire respecter entre eux. J’avais peur que l’école ne soit pas bienveillante. Mais les élèves s’adaptent, ils trouvent cela rigolo. Heureusement ils prennent les choses bien, cela ne les perturbe pas plus que ça. Du coup c’est facile, on arrive à faire garder les distances, plus ou moins mais on y arrive, à leur faire se laver les mains 15 fois dans la journée... on joue avec l’eau. Dans la cour de récréation, comme ils ne sont pas nombreux, ils ont un vélo alloué pour toute la journée".
Il va falloir apprendre à s’en méfier mais à vivre avec pour que l’école continue.
- Irène Déjardin, Co-secrétaire du Snuipp Marne -
Les choses s’organisent donc bien avec les élèves et la vie reprend son cours à peu près normalement… Les enseignants sont masqués et tout est désinfecté en permanence. "Mais ce que je déplore c’est le peu d’élèves qui revient. Il va falloir retourner à l’école malgré tout, dit encore cette maîtresse. Beaucoup de parents ont les moyens de garder leurs enfants et il y a une crainte qui est légitime, l’épidémie n’est pas terminée loin de là, il faut être extrêmement vigilant".
« A l’école maternelle, ils ont bien géré, chapeau »
La petite fille de Déborah a repris l’école le 25 mai dernier. A trois ans et demi, elle est accueillie tous les jours car sa maman est infirmière. "Nous avons reçu un mail nous expliquant les conduites qui seraient tenues. Globalement, cela nous a rassuré, explique Déborah. L’école nous a envoyé un lien pour regarder une vidéo expliquant le port du masque notamment et ça a rassuré ma fille. Et nous lui avons expliqué qu’il ne fallait pas mettre les mains à la bouche, se laver les mains souvent… mais c’est très compliqué. A l’école, les enseignants y mettent vraiment beaucoup d’énergie".
Les maîtresses sont rassurantes et sereines malgré toutes les responsabilités qu’elles ont.
- Déborah, maman d'une petite fille en maternelle -
"En tant qu’enseignant, on se doit de protéger les élèves. On a ça chevillé au corps, reprend Irène Déjardin, co-secrétaire du Snuipp Marne. On fait respecter le protocole, mais on ne peut le faire que si se sont de petits groupes. Vouloir ouvrir les vannes en gardant le même protocole, c’est impossible. On ne fera pas rentrer plus d’élèves dans une classe en sachant qu’il faut qu’ils aient 4 m2 chacun. Si le protocole est allégé effectivement on pourra accueillir plus d’élèves et tous les jours. Mais il y a des écoles qui se trouvent confrontées à la difficulté de dire aux parents : écoutez votre enfant est accueilli deux jours et bien on ne peut plus le prendre qu’une journée. Parce que il y a trop de groupes. Les directeurs et directrices d’écoles sont obligés de changer leurs organisations toutes les semaines ».
Que les « experts » de l’école puissent donner leur avis
Seule l’autorité médicale peut décider d’alléger ou pas le protocole sanitaire. A l’heure de la préparation de la rentrée scolaire 2020-2021, les inquiétudes se font sentir côté professionnels comme côté parents d’élèves. "Il faudrait que le ministère comprenne que ceux qui sont les plus à même à préparer cette rentrée, c’est nous, précise Irène Déjardin. Il faudrait vraiment qu’il fasse appel aux organisations syndicales pour l'organiser dans les meilleures conditions. Et pas nous lancer des choses qui ne sont pas organisables sur le terrain. Si on veut correctement faire la rentrée de septembre, il faut la préparer maintenant. Tables-rondes, réunions pour que les experts de l’école puissent donner leurs points de vue".
"Il y a la crainte que la reprise ne puisse pas se faire de façon ordinaire, explique Céline Vollondat du SNES. Avec des classes entre 35 à 38 élèves de seconde, première et terminale, il n’est pas du tout certain que nous puissions reprendre. On a beaucoup de postes en lycée qui ont fermé. Au lycée Roosevelt on en a 7 en moins par exemple. Il y a donc pas mal d’appréhension. Dans l’urgence on a tâché de ne pas laisser nos élèves dans la nature. Ca été compliqué. Si ça doit se reproduire, il faudra déjà qu’on ait du matériel fourni, on ne peut pas le faire éternellement en comptant sur les moyens du bord".
La crainte des enseignants est aussi que la rentrée de septembre se calque sur la reprise d’après confinement c’est-à-dire en mode garderie…
2S 2C, le dispositif qui inquiète
"Si cela continue avec 10 élèves par classe, ce ne sera pas possible, dit encore Zohr maman d’un collégien. Au collège de mon fils, une 6e a été supprimée l’an dernier et donc ils sont plus nombreux dans les classes". "Mon fils passe en terminale, reprend Fatou, j’espère que les établissements seront prêts pour septembre, encore plus que maintenant". "Mis à part créer des classes supplémentaires et recruter des enseignants, je ne vois pas comment ils pourront continuer à respecter le protocole actuel avec tous les élèves", imagine Déborah.
A moins que le dispositif 2S, 2C : sport, santé, culture et civisme continue durablement. Les syndicats d’enseignants ont déjà exprimé leurs craintes avant même le confinement. Irène Déjardin du SNUIPP pense qu'à la rentrée de septembre, il y aura "du présentiel toute la journée mais pas d'apprentissages les 6 heures habituelles. Ce qui semblerait se profiler c’est un accueil, pendant le temps scolaire de 8h30 à 16h30, à la fois pour les apprentissages mais aussi en périscolaire dans des structures à côté, pour qu’on ait moins d’élèves en classe. Encore faut-il que les municipalités aient les moyens de le faire. Il faut avoir des locaux pour cela, du personnel".
Il ne faudrait pas, en organisant une autre rentrée, qu’on en profite pour nous retirer des matières essentielles aux apprentissages.
- Irène Déjardin, co-secrétaire du Snuipp Marne -
L’important serait aussi d’avoir du "personnels spécialisés, des infirmières scolaires, des psychologues, des enseignants en plus pour aider tous les enfants qui n’auraient pas trop bien vécu cette période difficile. Mais on y arrivera et que l’on nous fasse un peu confiance. On nous parle de l’école de la confiance mais ce n’est qu’un mot !", termine Irène Déjardin.
"Vacances apprenantes"
Le rectorat de Reims dit ne pas savoir comment la rentrée de septembre se passera. Tout cela dépendra de l’évolution de la pandémie et des décisions de l’ARS. Mais en prévision de cette rentrée, un dispositif sera mis en place pendant les vacances d’été. « Vacances apprenantes »,c’est son nom, se déroulera de trois façons différentes à partir de la première quinzaine de juillet et sur la base du volontariat. Il vise à « offrir un droit aux vacances plus important aux enfants, lutter contre les retards scolaires et contre le décrochage », précise le rectorat. Avec « L’école ouverte », dispositif existant déjà pour les quartiers prioritaires de la ville désormais étendu sur tout le territoire, « L’école ouverte buissonnière » et «un accueil de loisirs apprenant » en lien avec le CNED, le ministère de l'Education Nationale espère soutenir les élèves les plus en difficulté.
Depuis le 11 mai, les reprises scolaires s’échelonnent et se poursuivent. Elèves de maternelles et d'élémentaires, collégiens et lycéens : quelque soit leur niveau de classe, les enfants sont contents de retrouver leurs copains, leurs professeurs. Les syndicats d’enseignants, eux, espèrent que septembre sonnera l’heure d’une rentrée sous le signe de l’équité et de l’engagement pédagogiques. Même si personne n’oubliera, il faut que la vie reprenne ses droits.