On a appris le mardi 24 janvier que les créateurs de la Pairdry, une boisson imaginée dans la Marne et fabriquée à base de mirabelles lorraines, arrêtaient leur aventure entrepreneuriale débutée en 2020. Du fait de certaines taxes relatives aux boissons alcoolisées, ils ne pouvaient plus rentrer dans leurs frais.
C'était une boisson qui avait tout pour plaire. Mais cette belle aventure initiée en 2020 vient de prendre fin pour ses deux inventeurs, les débrouillards Thibault Petitpas et Charles de Bohan.
On a appris le mardi 24 janvier 2023 que les deux compères de Reims (Marne) allaient tourner la page. Leur boisson à base de mirabelles lorraines, la pairdry (prononcer comme l'oiseau, perdix : pér-dri), ne peut compenser les coûts induits par les changements de la législation fiscale.
France 3 Champagne-Ardenne a contacté Charles, qui garde le sourire. "La situation est à la fois compliquée et simple. Des lois sont passées récemment", lois qui les ont mis dans la panade, on peut le dire (voir leur explication donnée sur Facebook ci-dessous).
Les taxes en cause
Factuellement, la boisson a été imaginée en 2019, créée en 2020, et commercialisée en 2021. Elle est légèrement alcoolisée, ce qui a son importance. "À partir du moment où vous produisez de l'alcool et que vous le vendez en France, vous êtes soumis à accise [ou taxe; ndlr] douanière." Même s'il s'agit d'une entreprise française qui ne vend pas à l'étranger : la taxe s'applique au moindre pourcentage d'alcool. C'est une manière particulièrement pratique pour l'État de remplir les caisses (il y a aussi des accises sur le tabac ou le pétrole, par exemple, et certains pays taxent le café).
La législation prévoit à l'époque différents niveaux de taxation selon la catégorisation des différents produits alcoolisés. "Vous avez la bière, le cidre, les vins, les spiritueux... Nous, notre objectif était d'être sur le marché de la bière et du cidre : légèrement alcoolisée, facile à boire, pétillante, fraîche. Mais qui ne soit ni de la bière, ni du cidre. On voulait vraiment quelque chose de nouveau, fait avec des fruits français locaux."
La pairdry rentre donc dans une catégorie bien particulière, celle des "autres produits fermentés, puis qu'il y a une forme de fermentation dans notre boisson". Rapportée à chaque bouteille de 33 centilitres, la taxe, de quelques centimes, est jugée supportable par la petite entreprise. "Six mois après, soit mai 2021, on nous a dit qu'on nous changeait de catégorie fiscale. On est toujours dans les autres produits fermentés, mais en plus de ça, on nous ajoute à la taxe des pré-mix."
Une boisson alcoolisée sucrée
Ce type de boissons correspond à des mélanges d'alcools et de jus de fruits, de sodas, bref : de liquides fort sucrés permettant de masquer le goût de l'alcool. L'exemple emblématique, c'est le rosé-pamplemousse. "Comme on n'est pas du vin, de la bière, du cidre, les autorités ont considéré qu'on faisait du prémix. Elles taxent depuis quelques années tous les spiritueux distillés qui sont mélangés avec du soft [boisson sans alcool en anglais; ndlr]. Pour prévenir l'alcoolémie chez les jeunes." Le cas typique est la cannette de whisky-coca, ou la bouteille de vodka-orange.
"À la base, c'était pour éviter que soient vendus trop facilement ces alcools très forts mélangés à des softs. La loi a ensuite évolué pour intégrer les autres produits issus de la fermentation, quand ils sont mélangés à des softs, à cause de la mode des vins au pamplemousse." Comprenant la pairdry, issue de la fermentation des mirabelles...
"Notre procédé de production, c'est séparer notre jus de mirabelles en deux. Faire infuser la première partie dans une cuve. Faire macérer le deuxième jus dans une autre cuve, pour jouer le rôle d'exhausteur de goût. On rassemble les deux jus, on refait macérer en cuve, et on met en bouteille." Ainsi, l'État "a considéré qu'on mélangeait un alcool avec un soft. Alors que c'est le même jus."
Tentative de négocier
"On leur a dit qu'on ne comprenait pas, puisque nous utilisions une même base, un même jus. On le travaille juste de deux manières différentes. On a essayé d'avancer, on a écouté leurs recommandations. On a donc modifié la recette pour infuser et fermenter en même temps, pour qu'on ne puisse plus nous reprocher de le faire à part." En soi, ce n'est plus un mélange, puis que c'est déjà mélangé à la base (quand bien même il s'agit du même jus de mirabelles).
"On a mis un an à retravailler dessus. Pendant ce temps, les taxes s'accumulaient. On reversait tout l'argent qu'on gagnait aux douanes... On a présenté une nouvelle recette au bout d'un an. On en avait profité pour descendre à 35 grammes de sucres par litre au lieu de 41 parce que l'État nous l'avait demandé. Sachant qu'on n'a aucun sucre ajouté : c'est celui naturel de la mirabelle."
Avec cette nouvelle recette en main, une nouvelle demande d'exonération pour cette taxe pré-mix est déposée au mois d'avril 2022. Le couperet tombe en août. "Ça ne leur allait toujours pas." Une histoire compliquée de sucres invertis, plutôt que de sucres par litre. "Les sucres invertis, c'est la capacité de la boisson à évoluer dans le temps dans sa concentration en sucres, via une réaction chimique naturelle. Selon la température de la pièce et le degré d'acidité de la boisson, elle devient plus sucrée."
Fin d'une aventure, début d'une nouvelle
"Évidemment, on n'en veut pas aux douanes. Elles font ce qu'on leur dit. Et la loi est là pour éviter l'alcoolisation des mineurs. Ce qui nous frustre, nous perturbe, c'est qu'on exige de petites entreprises comme nous un niveau d'exigences digne d'une multinationale. Sachant qu'on était sur un produit naturel, à base de pur jus local, sans rien ajouter." À l'exception d'une fleur tenue secrète.
"On voulait faire travailler les circuits courts. On imprimait les étiquettes à Cernay-lès-Reims, les bouteilles venaient d'une verrerie à côté de Strasbourg, tous nos ateliers se trouvaient entre la Marne et la Lorraine... On travaillait pour avoir un produit 100% Grand Est, et français par la même occasion..." (voir la carte ci-dessous)
"On avait un produit naturel, mais ce niveau de taxes tue ce genre de produits." L'aventure s'arrête donc pour ces deux golden boys de la mirabelle. "On a redemandé une exonération aux douanes en décembre 2022, pour un temps limité. Parce qu'économiquement, on ne tenait plus." Mais ça n'a pas abouti. Ils pouvaient s'estimer heureux s'ils percevaient un seul quart du prix de vente d'une bouteille (avec la TVA, les taxes représentent un tiers du prix), selon lui. "À moins d'être Coca-Cola et de vendre des milliards de bouteilles... Ça nous a coupé les pattes." Par-dessus le marché, le prix du verre des bouteilles avait augmenté avec la guerre en Ukraine. Et pas que. "Le prix de tout a flambé : verre, carton, étiquettes. Et l'énergie pour chauffer le jus."
"On a mis toutes nos économies là-dedans." Un investissement à 150.000 euros, avec des prêts à la banque à rembourser. "C'était une question de temps. Il fallait s'arrêter avant la banqueroute : c'était un vrai coup dur de prendre cette décision après trois ans de travail acharné. Et on n'allait pas non plus enlever l'alcool, ou délocaliser..."
Un repreneur
"On travaille avec une coopérative qui regroupe une centaine de producteurs de mirabelles. Ce sont les premiers déçus dans cette histoire. Notre marque leur permettait de valoriser la mirabelle." Même celles qu'on dit moches, dont personne ne veut sur les étals des supermarchés. "Ça permettait aussi de la moderniser un peu, de communiquer sur ce fruit auprès d'un plus jeune public : les 20-35 ans. C'est donc une grosse déception, car c'est toute une annexe de développement qui est tombée. On a donc trouvé un accord avec eux pour qu'ils puissent poursuivre la marque après nous."
Un accord a été trouvé le lundi 30 janvier. "On va continuer à en trouver en magasin [tout un réseau existe; ndlr]." La coopérative pourra développer des variantes sans alcool, et peut-être mieux défendre la version alcoolisée face aux accises que la petite entreprise de Thibault Petitpas et Charles de Bohan.
Ces derniers, à présent, "cherchent justement de nouvelles opportunités. On est tous les deux ouverts." Les deux amis d'enfance auront en tout cas eu coeur à faire valoir le terroir local. Et ne regrettent pas ce qu'ils ont bâti : la marque demeurera. "Tout n'est pas tombé à l'eau non plus. On a hâte de voir ce qu'ils vont faire de la marque : ça reste notre petit bébé." Qui, peut-être, grandira encore.