PODCAST. De prime abord, prendre une douche nu est un acte banal. Ce geste quotidien prend une toute autre forme au sport, quand il s'agit d'être nu et en compagnie de ses coéquipiers. Rencontre avec des sportifs qui ont sauté le pas et ne reviendraient en arrière pour rien au monde (première publication en 2019).
"La première fois, j'y suis allée en sous-vêtement. J'ai attendu de voir ce que faisaient les autres et quand j'ai vu qu'elles étaient nues, j'ai tout enlevé." Prendre une douche collective après le match ou l'entraînement est un acte banal pour tous les sportifs. Moi la première, je ne me pose plus de question à la fin de chaque séance. La douche sera sans dessous ou ne sera pas.
Au lycée et durant mes études, chaque évocation d'une douche collective suscitait la curiosité de mes interlocuteurs. "Vous êtes à poil?", "vous vous regardez pas?", "est-ce qu'il y en a qui matent?", "et t'as pas peur que certaines joueuses te jugent ?".
"On se lave et puis c'est tout !"
"Pour mettre fin à certaines rumeurs : non, il ne se passe rien sous les douches ! On se lave et puis c'est tout !", clame haut et fort une joueuse de national 3 au Reims Champagne Handball. Tous les joueurs et joueuses que j'ai interviewés sont unanimes : ils ne renonceraient pour rien au monde à la douche d'après-match. "La douche, ça marque la fin de ce qu'on a accompli. Ça permet de fêter la victoire, de débriefer nos actions, des petits bobos…", confie un rugbyman d'Epernay dans la Marne. "C'est relaxant. Comme toute douche, c'est un moment reposant, réconfortant. Après une victoire, ça permet de marquer le coup et après une défaite, on prend une petite douche pour se réchauffer et on s'en va. C'est ce qui fonde la vraie équipe. Une équipe, c'est du trajet, en passant par l'échauffement puis le match jusqu'à la douche", souligne une handballeuse rémoise.
Un moment de fête, de joie en cas de victoire, ou un espace de confidence quand les jours sont moins bons. La douche ne sert pas qu'à se laver : c'est une étape essentielle dans la vie d'une équipe. D'ailleurs, beaucoup d'entraîneurs essaient de l'imposer aux jeunes. "Une fille qui se sent exclue sur le terrain peut même se révéler sous la douche, m'a dit un coach. Sous la douche elle peut trouver une autre place. Elle va apporter quelque chose de différent."
La douche collective pour mieux s'accepter
Se mettre à nu peut également s'envisager comme une thérapie. C'est souvent à l'adolescence que les sportifs compétiteurs prennent leurs premières douches en commun. "Un moment où le corps change, où certains ont plus de poils que d'autres, certains grandissent plus que d'autres", constate un jeune sparnacien. Pour ma part, j'ai dû prendre ma première douche entre copines vers mes 13 ans, alors que je pratiquais le volley-ball en compétition. Avec mon équipe, on a réussi à se qualifier pour les phases finales de Coupe de France minime. Mais qui dit Coupe de France dit aussi trajets beaucoup plus longs que ceux que nous réalisions le week-end en championnat départemental. Comme nous étions une bonne bande de copines, nous avons sauté le pas toutes ensemble.
"J'ai commencé le rugby en même temps que mon frère jumeau, se souvient un trentenaire. Au début on se cachait et puis il a fallu se savonner, alors on a tout retiré. Finalement, on discute, on fait d'autres choses, personne n'est là pour se regarder." Un autre, plus jeune, raconte : "Quand tu passes du jeune âge à l'adolescence, y'a des gens qui ont plus de poils que toi ou inversement, certains disent : «Oh t'es poilu !»"
Ça montre juste la réalité. On est toutes différentes, toutes faites différemment, avec nos complexes.
Une handballeuse rémoise
Pour les filles, ce sont les mêmes interrogations qui surgissent. "Au début, je me demandais ce que les filles allaient penser de moi, se souvient une jeune handballeuse. Ça n'a duré que la première douche. Après la deuxième, troisième, quatrième… on s'y fait et puis, on est là pour se laver ! Et une autre d'ajouter : ça montre juste la réalité. On est toutes différentes, toutes faites différemment, avec nos complexes."
Plusieurs joueuses que j'ai rencontrées partagent le même constat : plus le corps est couvert, plus il suscite d'interrogations et de fantasmes. "J'ai l'impression qu'on critique plus les gens qui portent des vêtements que ceux qui sont nus. Parfois quand on voit une fille habillée on se dit «Wouah elle est bien foutue !», et finalement sous la douche, on se dit que non, ce n'est peut-être pas si beau que ce que l'on pensait vu de l'extérieur, analyse une trentenaire. "J'ai eu un complexe sur ma poitrine au début parce qu'elle n'était pas assez grosse à mon goût. Depuis ça m'est passé parce qu'on voit tous types de femmes, tous types de corps", abonde sa coéquipière.
La réalité loin d'Instagram et des Dieux du stade
Une handballeuse de 17 ans m'a avoué avoir eu du mal à accepter son corps pendant un moment. "On a toutes Instagram, avec des filles qui mettent en valeur leurs formes. Quand j'étais plus jeune, je l'ai mal vécu, j'étais mal dans ma peau. Quand j'y repense, ce doit être le hand qui m'a aidée à m'affirmer."
Au rugby, tous les gabarits sont présents sur le terrain. Des ailiers élancés aux premières lignes plus trapus… Tous se retrouvent sous la même douche. L'occasion de se comparer pour certains. "Avec mon capitaine, qui est un peu plus tracé, dessiné. On se tire la bourre sur ça. On peut comparer avec les copains, se donner des conseils." Pour d'autres, c'est aussi le moyen de prendre de la distance avec le calendrier des Dieux du stade : "Parfois, on prend une balle et on se prend en photo et on rigole en disant «Ah ah, comme les Dieux du stade…» la brioche en plus, les abdos en moins."