Coquelicots et pavots, comment ils ont inspiré les artistes de l'École de Nancy

C'est un mouvement artistique qui ne dura qu'une trentaine d'années. Entre 1884 et la Première Guerre mondiale. L'École de Nancy, courant de l'Art Nouveau rassemble un groupe d'artistes, d'artisans et petits industriels autour d'un thème central : la nature. Parmi les arbres, les fleurs ou les animaux étudiés et représentés, voici le temps du rouge coquelicot.

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Coté botanique, le pavot, tout comme son cousin le coquelicot, appartient à la famille de Papaveraceae. Il existe une cinquantaine d'espèces connues comme le fameux pavot à opium dont les vertus soporifiques et narcotiques ne sont plus à démontrer. 

Les artistes de l'École de Nancy sont particulièrement attirés par les plantes simples, celles qu'ils croisent lors de leurs promenades dans leur campagne. Le coquelicot, note écarlate sur fond vert d'herbe ou jaune du blé, attire leurs regards et aiguise leur sens artistique. Les verreries et faïenceries se régalent. Une fois encore, nous avons pu compter sur l'expertise des Musées de la ville de Nancy pour nous aider à repérer les œuvres aux pavots. Au Musée de l'École de Nancy d'abord :

Puis au Musée des Beaux-Arts de Nancy



Ou conservés ailleurs sur la toile. Avec ces quelques exemples d'autres vases. Ou ce Vase Gallé en lien et cet autre encore, on ne s'en lasse pas, catalogués par des hôtels des ventes un peu partout dans le monde.

Les ateliers des frères Daum. Tiens, une colle ! Sauriez-vous dire, au débotté, leurs prénoms ? Comme les soeurs Brontë ou les frères Coen, les fratries perdent en notoriété individuelle ce qu'elles gagnent en inspiration créatrice.

Auguste et Antonin (avec un A comme Amour de l'Art) n'échappent pas à la règle de l'exode de l'Alsace annexée vers la Lorraine bien française. C'est leur père, Jean, qui quitte sa charge de notaire à Bitche (Moselle) et achète à Nancy une cristallerie, alors qu'il n'y connaît rien dans ce métier. Il s'associe avec son fils aîné Auguste pour redresser la barre financière de l'établissement. Bientôt rejoint par le cadet Antonin, qui a suivi l'École centrale des arts et manufactures de Paris. La verrerie, un tantinet traditionnelle, de verres ordinaires, prend un tournant artistique majeur. Dans la lignée d'Emile Gallé, Antonin Daum crée des modèles et s'essaye à des techniques novatrices de travail du verre.

Gruber rejoint l'atelier artistique, et, d'expositions en succès, la renommée des ateliers Daum prend une dimension internationale. Plus tard, les fils d'Auguste feront perdurer le prestige de la verrerie, bien au-delà du rayonnement de l'École de Nancy, en suivant les modes de l'Art Nouveau vers l'Art Déco. Parmi leurs travaux les plus fameux, 90 000 pièces en verre et cristal pour le paquebot Normandie. (Source biographie des frères Daum). Les petits-enfants d'Auguste et d'Antonin feront vivre la verrerie et la cristallerie jusqu'à la mi-temps des années 1980. Ils céderont alors une partie de leur fonds au Musée des Beaux-Arts de Nancy. Il s'agit de la fameuse collection Daum, installée au niveau -1 du musée, dans une salle obscure, mettant en scène l'immense variété de pièces des ateliers Daum dans des vitrines, aux lumières soigneusement étudiées. Un des "spots" incontournables de la ville de Nancy. Enfin, dernier détail, et non des moindres, le savoir-faire des ateliers Daum est inscrit à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France. 

Le travail du verre, passe de la table aux fenêtres, avec cet exemple de vitrail de Gruber. Ou celui-ci, en dessous, toujours de Jacques Gruber.

Ou cet autre vitrail qui se trouve à la CCI de Meurthe-et-Moselle. 

Pour changer du verre, voici un cartonnier en cuir de René Wiener.

Pour le plaisir des yeux, voici quelques trouvailles apparentées à l'École de Nancy, comme ce vase Art Nouveau de la cristallerie du Val-Saint-Lambert en Belgique. Ou cette coupe d'inspiration École de Nancy réalisée aux ateliers Lalique de Wingen-sur-Moder (Bas-Rhin). Ou, si l'on élargit encore plus les références dans le vaste périmètre de l'Art Nouveau, cette affiche ou cette étude de Mucha. 

Ou encore cette vitrine Pavots, cette lithographie de Prouvé, et aussi, avec un petit doute sur la fleur représentée, mais un doute raisonnable, qui me permet de vous présenter ces panneaux d'essayage.

Une parcelle d'architecture

Côté architectural, le pavot devient l'emblème des pharmacies. À Nancy, plusieurs d'entre elles choisissent ce motif pour signaler leur vocation. La pharmacie centrale (ou pharmacie Rosfelder), au 12 rue de la visitation, s'orne d'une frise de pavots qui surmonte la façade recouverte de grès flammés bleu-vert attribués au céramiste Bigot et réalisés aux ateliers Vallin. L'ensemble des céramiques a été récemment restauré par le propriétaire, qui a eu bien du mal à trouver un artisan, qui avait la maîtrise de l'art. Certains carreaux d'origine ont été conservés et replacés autour de la porte du garage pour montrer le contraste avec les carreaux restaurés. 

La pharmacie Jacques, rue de la Commanderie, reprend également le motif.

On peut retrouver à l'angle de la rue Saint-Jean et de la rue Bénie, une frise similaire, mais colorée cette fois, sur la façade de la Graineterie Genin. 

La pharmacie du Point Central est recouverte d'une mosaïque bleue ornementée de quelques fleurs. Vous ne pouvez pas la louper ; même s'il faut préciser que son style s'apparente plus à l'Art Déco qu'à l'École de Nancy à proprement parler.

Il existe aussi une pharmacie entièrement décorée aux couleurs École de Nancy à Commercy, la pharmacie Malard. 

Enfin au 6 ter Quai de la Bataille à Nancy, des balustres aux décors de capsules de pavot. Archiectes Henri Gutton (1851-1933) et Joseph Hornecker (1873-1942). 

Une british digression

Dans les pays du Commonwealth, le coquelicot, appelé "poppy" sert de symbole pour collecter des fonds au profit des soldats blessés ou de leurs familles. Chaque 11 novembre une collecte est organisée, et pour chaque don, une petite broche en forme de coquelicot est accrochée aux vêtements des donateurs, un peu comme le bleuet sert de symbole équivalent en France.

Laissons la dernière touche de rouge à notre illustratrice Florence Houvet

(Article initialement publié le 16 avril 2021)

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