Immédiatement après la découverte d’un corps mutilé à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle) le lundi 19 septembre 2022, des photos de la scène ont été diffusées sur les réseaux sociaux, notamment sur Snapchat. Quels sont les risques pour les plus jeunes et comment les protéger ? Les réponses d’un pédopsychiatre.
Boucles blondes sur doudoune sans manche noires, Anaïs (le prénom a été changé) hoche de la tête. Oui, elle a bien vu des images sur une application, "mais c’est mon petit frère qui est au collège qui les as reçus sur son téléphone" explique la lycéenne devant un établissement du centre-ville de Nancy. Dans le groupe qui attend de prendre le bus, la plupart des adolescents nient avoir vu les images du cadavre en question : "même moi, j’ai cru que c’était un mannequin, j’ai pas pris ça au sérieux" poursuit la jeune femme. A-t-elle été choquée ? La réponse est négative. Son petit frère ? Silence.
C’est seulement si l'enfant fait des cauchemars plusieurs jours après, et de manière régulière qu’on peut détecter un traumatisme
Docteur Bernard Kabuth, pédopsychiatre, professeur des universités de Lorraine
Pour le pédopsychiatre Bernard Kabuth du Centre Psychothérapeutique de Laxou (CPN), la réception de telles images varie selon l’âge de l’enfant qui les regarde : "les adolescents sont curieux et transgressifs, de telles images peuvent les attirer, surtout qu’ils savent qu’elles ont un goût d’interdit". Le professeur de pédopsychiatrie explique que ces images, violentes, peuvent créer un traumatisme chez l’adolescent, mais surtout si le phénomène est récurrent : "certains adolescents aiment ce type d’images parce qu’ils peuvent les partager, notamment ceux qui sont en recherche de célébrité, ou qui veulent choquer les autres".
En parler avant de consulter
Pour les plus jeunes, encore enfants, la réception est très différente : l’effet de surprise peut les sidérer. "Mais les enfants parlent plus facilement à leurs parents que les adolescents qui préfèrent rester entre eux, et échanger entre ados à ces sujets" poursuit le médecin.
L’entourage, s’il est informé du visionnage de telles images par de jeunes enfants, peut alors intervenir en questionnant : "on peut lui proposer de les regarder ensemble, ou de les effacer. On explique ce qui se passe, on redonne du sens. On peut aussi en profiter pour parler de la vie et de la mort". Il n’y a pas forcément de signes extérieurs qui permettent à un parent de se rendre compte si son enfant a vu une image qu’il n’aurait pas dû ou voulu voir : "c’est seulement s’il fait des cauchemars plusieurs jours après, et de manière régulière par exemple qu’on peut détecter un traumatisme". Dans ce cas, le premier contact est le médecin traitant qui décide de la suite à donner : "inutile de se présenter aux urgences pédiatriques, le médecin de famille est apte à gérer".
Le professeur de médecine compare volontiers la réception de ces images avec la diffusion en boucle de l'effondrement des tours du 11 septembre : "elles passaient sans discontinuer, de telle manière que certains enfants avaient l'impression que toutes les tours du monde étaient en train de tomber. Il a fallu les remettre dans le contexte, et expliquer que c'était terrible, mais que ce n'était arrivé en fait qu'une seule fois".
Bernard Kabuth précise "qu’il est rare que les patients consultent après avoir vu des images choquantes. C’est une violence, mais c’est la répétition du phénomène qui est inquiétante". Il reste rassurant sur les suites de la diffusion de ces images : "certains adolescents, qui regardent et partagent ces images, les diffusent même pour en plaisanter. L’humour est leur arme pour les mettre à distance".
Sanctions en cas de diffusion d'images choquantes
La diffusion de ces images est bien évidemment punie par la loi. L'article 225-17 du Code Pénal "sanctionne toute atteinte à l'intégrité d'un cadavre, par quelque moyen que ce soit. La diffusion d'une image particulièrement dégradante peut en faire partie. La peine encourue peut s'élever à un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende".
L'article 227-24 du Code Pénal sanctionne lui le fait qu'un mineur puisse avoir accès à ce contenu. Les sanctions peuvent atteindre trois ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende : "le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent (…) ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur".