Une forte mobilisation est attendue jeudi 19 janvier 2023 contre la réforme des retraites. Il existe une particularité française dans le domaine des luttes sociales et des manifestations. Jérôme Pozzi, chercheur en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine nous explique les raisons de cette spécificité.
Une forte mobilisation est attendue jeudi 19 janvier 2023 en Lorraine pour la manifestation contre la réforme des retraites. Depuis 1945, une dizaine de réformes majeures se sont succédées entrainant à chaque fois des mobilisations massives. En décembre 2019, 10.000 manifestants avaient battu la pavé à Nancy et autant à Metz. Jérôme Pozzi est enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l'université de Lorraine. Il nous explique les raisons de cette spécificité française.
Les manifestations contre les projets de réforme des retraites font toujours descendre beaucoup de personnes dans la rue. Comment expliquer ces mobilisations massives ?
De tous les sujets qui font débat et qui peuvent entrainer une mobilisation dans la rue, la réforme des retraites est une question qui mobilise parce que ça touche chaque citoyen notamment dès qu’il est question de bouger le curseur sur l’âge de départ à la retraite. Ça ne veut pas dire que cela se traduit par de la manifestation car beaucoup de personnes peuvent être contre une réforme sans pour autant passer le cap de la mobilisation dans la rue.
Quelles particularités peut-on observer dans la composition des manifestations ?
Quand on regarde les cortèges, toutes les catégories d’âges sont représentées. En revanche, les retraites mobilisent plus de secteurs que d’autres. La fonction publique est très représentée alors qu’il y a moins de monde du secteur privé. Cela tient au taux de syndicalisation plus important que dans le privé. La question intéressante est celle des jeunes. En 1995, au moment de la réforme des retraites portée par Alain Juppé, les étudiants s’étaient beaucoup mobilisés. C’était également le cas en 2016 au moment de la loi travail, dite loi El Khomri. Il y a tout un enjeu pour savoir si ce sera le cas le 19 janvier prochain.
La manifestation contre la réforme des retraites peut-elle agréger d'autres mécontentements ?
La question des retraites est peut-être la goutte d’eau qui fait déborder le vase et agréger d’autres mécontentements comme le problème du pouvoir d'achat avec l'irruption de l’inflation par exemple. Nous sommes dans un contexte explosif depuis les Gilets jaunes. Ça peut jouer le rôle de catalyseur. C’est d’ailleurs ce que craint le Gouvernement.
Depuis 1945, les retraites ont été l'objet d'une dizaine de réformes majeures. Elles ont toujours fait massivement descendre les Français dans la rue. Comment expliquer cette spécificité ?
En France nous sommes à la pointe de ce type de combat. En Italie ou en Allemagne la réforme vient d’en haut. Il y a quelques manifestations mais au final ça passe. La spécificité française tient à son histoire syndicale. Les luttes sociales font partie de son ADN depuis le début du XXème siècle.
Nous constatons l'irruption de collectifs informels qui se mobilisent dorénavant hors syndicats comme les contrôleurs SNCF en décembre 2022. Comment expliquer ce phénomène ?
L’irruption de ces collectifs tient au fait que, dans certains secteurs, comme à la SNCF par exemple, les personnes sont de moins en moins syndiquées. Elles pensent que l’on peut de mobiliser sans passer par la sphère syndicale. C'est aussi le signe d'une perte de confiance dans les organisations syndicales. C’est l’idée que l’on peut les contourner car ils ne reflèteraient pas toujours l’opinion de la base.
L'union syndicale annoncée pour la manifestation du 19 janvier est aussi une façon de retrouver du crédit auprès des salariés, de la base ?
Cette union syndicale, on ne l'avait pas vue depuis une dizaine d’années, c’est la nouveauté. Les syndicats vont essayer de canaliser le mouvement ce qui n’est pas facile car nous sommes dans une société avec les réseaux sociaux et que j’appelle effervescente. L'émergence de collectifs informels n’est pas bien vu par les syndicats car ces mobilisations individuelles peuvent déraper, dégénérer. C’est aussi un problème pour le pouvoir car lorsqu’il faut sortir de la crise et se mettre autour d’une table, c’est beaucoup plus difficile d’avoir des interlocuteurs en face.