L’incroyable succès des boîtes à livres : "c’est une pratique qui dépasse les institutions et parfois les perturbe"

Depuis 2017, le nombre de boîtes à livres a été multiplié par cinq en France. Plus de 10 000 seraient disséminées sur tout le territoire, principalement dans les centres-villes où elles sont installées majoritairement par des particuliers ou des associations. Pour le sociologue lorrain Claude Poissenot, leur développement est significatif de nos nouveaux modes de vie.

Le principe de la boîte à livres est simple. On vient y déposer ses bouquins, et on peut en prendre d’autres. L’accès est gratuit, et s’affranchit des horaires. Une envie de James Ellroy à trois heures du matin ? Avec un peu de chance, un polar se trouve dans la boîte en bas de chez vous.

"L’une des conditions pour que ça fonctionne, c’est qu’elle soit située dans un endroit résidentiel", explique Claude Poissenot, "les usagers ne veulent pas transporter les livres, qui sont lourds, sur de longues distances. C’est pour ça qu’à Nancy, celle de la place Saint Epvre est très fréquentée, mais celle de la place Charles III, qui est plus passante, marche moins bien".

Chez les utilisateurs des boîtes ayant le bac ou moins, 37 % n’empruntent jamais en bibliothèque, 6 % n’achètent jamais de livres neufs et 18 % ne font ni l’un ni l’autre ou seulement très rarement

Claude Poissenot, sociologue du livre et de la lecture

Selon l’enseignant-chercheur, l’initiative des boîtes à livres repose en grande majorité sur des particuliers, et quelques associations : "une partie du succès repose sur leur capacité à s’adapter à la façon dont les gens veulent vivre aujourd’hui". On y vient quand on veut, avec qui on veut. "Il y a une similitude avec le développement du téléphone portable, une impression de gratuité, sans contraintes", précise le sociologue nancéien, spécialiste du livre et de la lecture.

L’un des enseignements principaux de son enquête menée avec Jean-Philippe Clément, c’est que l’implantation des boîtes influe directement sur l’usage qu’en font les lecteurs : "la surreprésentation des urbains est largement un effet de composition de population. Les urbains sont plus diplômés et ont donc davantage tendance à s’emparer des boîtes. Et comme ils sont probablement dans des logements plus exigus, ils se servent davantage des boîtes pour « faire de la place ». Les boîtes ne sont donc pas l’apanage des petites communes, au contraire et leur image provient peut-être du fait qu’elles sont souvent installées dans des parcs et jardins des villes".

Un public composé de diplômés du supérieur

Sans surprise, les publics qui font vivre les boîtes à livres sont ceux qui cumulent déjà de nombreuses pratiques culturelles : "plus des trois quarts des utilisateurs des boîtes à livre ont fréquenté au moins un établissement d’enseignement supérieur, soit plus de deux fois la proportion observable dans la population française. Comme ils s’emparent aussi davantage des bibliothèques et des librairies, les plus diplômés s’approprient aussi davantage ce dispositif", écrit Claude Poissenot dans son article déjà lu 75 000 fois sur le site The Conversation.

Mais elles jouent quand même un rôle dans la "démocratisation de l’accès au livre", puisque le chercheur observe dans son étude de 2023 que "chez les utilisateurs des boîtes ayant le bac ou moins, 37 % n’empruntent jamais en bibliothèque, 6 % n’achètent jamais de livres neufs et 18 % ne font ni l’un ni l’autre ou seulement très rarement. C’est donc près d’un usager sur cinq parmi ceux n’ayant pas fréquenté l’enseignement supérieur qui entretient un rapport à la lecture à travers ce cadre".

La chasse aux prédateurs

Claude Poissenot observe que la grande majorité des usagers jouent le jeu : "il y a bien sûr des prédateurs qui viennent se servir pour revendre les livres. Mais ils sont peu nombreux et sont vilipendés par les autres, qui les rejettent". Le succès des boîtes, qui repose sur le bénévolat et la bonne volonté des participants, n’a pas échappé aux appétits du marché. Ainsi, des entreprises proposent désormais à des collectivités des boîtes clés en mains, à installer où bon leur semble !

Avec les boîtes, les bibliothèques ont perdu le monopole de l’accès public au livre. D’ailleurs, leur fonctionnement et leur rapport aux usagers ont considérablement changé depuis une dizaine d’années : élargissement des horaires, nouveaux services, développement d’une offre en ligne pour réserver ses ouvrages ou même les lire directement sur un ordinateur…

L’arrivée du numérique et sa concurrence, les nouveaux usages et modes de vie poussent les institutions à s’adapter à la vie moderne, qui se veut immédiatement accessible et sans entraves. "Mais les boîtes ne sont pas une menace pour les bibliothèques, elles sont une source supplémentaire d’accès au livre", conclut le chercheur. Parfois les deux mondes se confondent, comme au sein de la Boussole à Saint Dié. La médiathèque vosgienne a installé dans ses locaux… une boîte à livre.

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