"La nature nous parle, il faut la connaître pour l'écouter", voyage dans un univers botanique microscopique

C'est un voyage étonnant, au cœur d'un monde microscopique. Une autre façon d'observer la nature qui nous entoure. Une autre façon de la décrypter. Une de celles qui ne sautent pas immédiatement aux yeux. Pourtant, si on l'observe avec le "3e œil" de Thierry Mahévas, botaniste du jardin botanique Jean-Marie-Pelt, un nouveau monde s'offre à nous.

Vous l'avez peut-être croisé, au gré de vos balades dans les environs de Nancy; il se promène, carnet à la main, le nez collé à l'écorce des arbres, ou couché de tout son long sur une zone apparemment désertique. Il ne s'agit pas d'un adepte de sylvothérapie, ni d'un passionné de myrmécologie. Non. Cet homme, c'est Thierry Mahévas, botaniste du jardin botanique Jean-Marie-Pelt de Villers-lès-Nancy.

Il est chargé, par la métropole du Grand Nancy, d'effectuer un inventaire, bien spécifique, de la flore de l'agglomération, et pour ce faire, il parcourt les zones urbaines et périphériques, moins urbanisées, de la métropole, pour observer, et éventuellement prélever ce qu'il observe.

Mais que peut-il bien observer et prélever sur le tronc des arbres, des arbustes ou au ras du sol ? Son domaine d'expertise ce sont les mousses et les lichens. A priori un domaine de la botanique pas franchement folichon ou impressionnant, bien moins tendance que les aracées, les plantes carnivores, ou plus localement les lilas et autres plantes d'ornement. A priori seulement, car le voyage dans lequel il nous emmène, est une véritable exploration d'un monde microscopique, à la vue de tous et pourtant ignoré. 

Un inventaire très vert

Le jardin botanique est missionné pour effectuer un inventaire de la flore de la Métropole du Grand Nancy Cet inventaire est réalisé dans le cadre d'un programme d'atlas de la biodiversité de la métropole. Deux fois par semaine de mars à octobre, des botanistes quittent le jardin pour se rendre sur divers lieux de l'agglomération, afin d'observer la diversité locale et de l'inventorier. 

Première chose étonnante, tous les milieux sont étudiés. Thierry Mahévas m'accueille d'un "Vous avez de la chance, on fait de l'urbain aujourd'hui : des arbres d'une avenue et une pelouse calcaire sur le plateau de Brabois !"; nul besoin de l'équipement de randonnée, qu'au demeurant, je n'avais pas prévu. Le botaniste, de bonne humeur, me montre fièrement son équipement ultra technique : "Ça c'est ma valise : un calepin, un crayon de papier et des sachets !". Et nous voilà partis sur les hauteurs du plateau de Villers-lès-Nancy : destination une allée d'arbres le long d'une avenue peu fréquentée, puis juste à côté, une pelouse calcaire, cernée par de la forêt, à l'arrière du CHRU de Brabois. 

Apprendre à voir la nature autrement

Thierry Mahévas est facétieux (Son côté breton, peut-être ?). Il me prend au dépourvu. Arrivés devant l'allée d'arbres plantés entre une route, une piste cyclable et et une zone piétonne, bordée de part et d'autre d'une forêt, il me demande "Vous voyez quoi là ?" "Euh.... Des arbres ?" "Oui c'est un bon début..." tempère-t'il avec un sourire bienveillant. Il continue "Pour tout le monde, il y a la forêt, pour le botaniste il y a de multiples forêts; pour moi, chaque plante que je vois dans la nature, a un nom, je la connais." Connaissances indispensables pour effectuer un inventaire. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. "Il y a plusieurs façons d'observer un paysage" explique-t'il "ici, par exemple, il y a une quinzaine d'espèces d'arbres au bord de cette route : c'est une vision macro. Mais moi je viens ici pour observer d'une façon micro". Entendez par là microscopique.

Thierry s'approche d'un arbre de l'allée, un érable. Il explique "En milieu urbain, la nature nous parle : on peut voir si les milieux sont dégradés; on peut constater le degré de pollution par exemple, grâce à la présence ou l'absence de certains lichens." Il se rapproche d'un arbre. "On a beaucoup de chance aujourd'hui, car après les fortes chaleurs de ces derniers jours, il a plu cette nuit (ndr: la sortie s'effectue le jeudi 21 juillet au matin) : les mousses et les lichens sont déployés". C'est tout de suite mieux pour les observer sinon la chaleur les fait se recroqueviller sur eux-mêmes. 

Les yeux de Thierry s'illuminent : "Vous voyez là ces coussinets duveteux, et ces lichens appliqués ? Vous voyez la différence entre ces lichens et ceux-là ?" Pour être honnête, ça ne me saute pas tout de suite aux yeux. Il s'emballe un peu "Vous voyez cette couleur, là, ce n'est pas la même que celle-là, et ce thalle observez, il n'a pas le même aspect au-dessus et en-dessous". Je commence à distinguer, à travers ses remarques et oui, c'est évident : là une petite touffe qui semble ballante, ici une zone scotchée sur l'écorce, là du bleu pâle, ici du gris, les contours commencent à se révéler.

Du premier coup d'œil, le botaniste est capable de repérer six espèces de lichens sur le tronc de notre arbre et une espèce de mousse. "C'est déjà toute une société, là devant vous !". Vous en êtes toujours à vos tâches grises ou jaunâtres...

Mais il n'a pas dit son dernier mot pour vous amener à mieux regarder. Thierry Mahévas sort son instrument de haute technologie ! Ce qu'il nomme son troisième œil. (En photo tout en haut de l'article).

 Une petite loupe binoculaire de botaniste, 30 ans d'âge, du genre de celle-ci (ceci n'est pas de la pub, c'est juste pour se rendre compte). Une loupe qui grossit 10 fois, que l'on plaque tout contre son œil et qui fait un effet bœuf ! Une vraie porte d'entrée dans un autre monde, un portail de téléportation (Je m'emballe !). "De l'exploration à côté de chez soi", ponctue Thierry. Il faut dire que la loupe se pose au plus près de l'œil, et qu'il faut rapprocher très près de la loupe l'objet à observer afin de faire le point. On est littéralement plongé en immersion dans un autre espace. Un effet waouh garanti. Mon appareil photo ne permettant pas la micro, voici un exemple spectaculaire de lichen à trompettes trouvé sur la toile. 

Je reste aussi sans voix devant la complexité de ce que j'observe, l'impression de découvrir des jardins en mode miniatureet surtout devant les connaissances de Thierry Mahévas : "ce jaune-là c'est Xanthoria parietina, c'est un bon indicateur du niveau de pollution, celui-là c'est Evernia prunastri et celui-ci....." Même pas le temps pour moi de prendre des notes, la liste de noms s'égrène. Le botaniste m'explique : "On a la chance à Nancy, dans les forêts au Nord et au Sud de la ville, d'avoir une espèce très très rare en France, qui se trouve uniquement dans le Nord et le Nord Est, une espèce forestière qu'on a revue pendant les prospections liées à l'atlas. Elle indique des conditions favorables et une gestion douce de la forêt depuis plus d'un siècle." Un bon point pour la biodiversité locale.

Oh ! On a fait une coche !

Thierry Mahévas, botaniste

Devant mon étonnement face à sa capacité à identifier des espèces si petites et si proches visuellement (pour le néophyte que je suis), Thierry m'explique que c'est comme tout savoir, affaire d'observation, d'apprentissage, de mémoire, d'échanges avec les confrères et de vérifications scientifiques. "Mon œil  est habitué, je verrai tout de suite s'il y a quelque chose de différent". Quand un doute existe sur le nom, il est amené à faire un prélèvement pour pouvoir l'analyser en laboratoire. Là, il l'observe à l'aide de microscopes plus puissants puis peut être même amené à effectuer des expériences chimiques pour révéler des éléments spécifiques permettant d'identifier avec certitude les espèces. Rien n'est laissé au hasard. Il faut imaginer que rien qu'en Lorraine il existe près de 2000 espèces de lichens et 750 espèces de mousses. 

Et tout en m'expliquant toutes ces données, je vois tout d'un coup le botaniste se figer, l'œil rivé au tronc "Oh ! On a fait une coche" s'écrit-il. "C'est Pseudevernia furfuracea, une espèce jamais vue ici jusque-là!". Délicatement, il prélève un tout petit morceau du lichen avec son support d'écorce et emballe ça dans un petit sachet en papier au logo du jardin botanique. Puis, comme si l'événement n'était pas exceptionnel, il continue ses explications. 

Un lichen c'est quoi ?

Un lichen c'est un champignon microscopique qui vit en symbiose avec une algue ou parfois deux algues ou une cyanobactérie. Ils n'ont ni racines ni feuilles. On parle aujourd'hui de champignon lichénisé. Ils sont adaptés à tous les milieux, les écorces des arbres, les sols, les roches, le béton, le plastique, le fer, etc. Ils sont partout chezeux, de l'altitude 0 à 5000 mètres. Selon Thierry Mahévas "Un lichen est une microsociété à lui tout seul, qui colonisent tous les milieis non utilisés par les autres végétaux". "Les lichens et les mousses qui sont des organismes très anciens, ont résisté aux trois dernières grandes  extinctions de masse qu'a connu la planète : ils sont résilients".

Le botaniste tient à mettre un terme aux idées reçues qu'on peut avoir sur les lichens comme sur les mousses d'ailleurs : "Non, ils ne poussent pas sur la face nord des arbres ! Comme les mousses, ils prolifèrent sur les coulants d'eau du tronc, car c'est là que toutes les conditions  sont réunies pour leurs besoins physiologiques" Et "Non ce ne sont pas des parasites, comme le gui; les écorces ne sont pour eux qu'un support et leur présence n'a aucun effet néfaste pour l'arbre, il est donc inutile, comme on le voit parfois faire dans les vergers, de gratter un arbre recouvert de lichen".

Savez-vous ce que ça indique, ces lichens-là ? ....... Que les chiens se soulagent souvent ici !

Thierry Mahévas, botaniste

Leur présence ou leur absence sont des indications biologiques qui nous renseignent sur le changement climatique et la pollution. "Regardez ici : des lichens oranges forment comme une ceinture au bas de ce tronc. Au-dessus les lichens sont gris; savez-vous ce que ça indique ? ....... Que les chiens se soulagent souvent ici". En clair, ils font pipi au pied de l'arbre.

"Quant à Parmotrema permatum" ajoute l'expert, "il atteste du changement climatique. Confinée avant dans les régions de l'Ouest, il arrive maintenant chez nous, il s'installe ici car le climat s'adoucit." Il continue d'expliquer "Depuis les portes de la ville jusqu'au centre-ville, on constate un gradian de pollution". Plus on descend vers l’hyper-centre, plus la pollution se fait sentir. Cela se traduit par une perte de la diversité des lichens et des mousses et par le remplacement des espèces par d’autres, qui elles, sont plus tolérantes aux perturbations. Les parcs, comme la Pépinière, restent des zones d'accueil et de refuge dans un environnement pollué.

Bien au-delà de la botanique, c'est toute la biodiversité qui intéresse Thierry Mahévas. En bon naturaliste, il est soucieux du changement climatique, de son impact sur la biodiversité, et il aime à se rendre utile. Il a ainsi participé - avec des confrères allemands et luxembourgeois- à l'élaboration en 2010 de la première liste rouge de la bryoflore lorraine. Sa façon à lui de veiller et de prévenir, en espérant que ses travaux trouveront oreille attentive du côté des pouvoirs publics. 

Et la mousse, qu'est-ce que c'est ?

Thierry Mahévas en fin pédagogue, n'explique pas directement les aspects scientifiques, il amène à comprendre en passant par le contexte : "Les mousses sont des végétaux pionniers qui ne possèdent pas de système vasculaire pour faire circuler l’eau dans les tissus. Pour cette raison, elles sont de toutes petites tailles et très sensibles à la sècheresse. Pour palier à cet inconvénient, elles sont dotées d’une capacité leur permettant de perdre de grandes quantités d’eau pendant les fortes périodes de chaleur et de se mettre dans un état de dormance. Dés le retour de la pluie elles se gorgent à nouveau d’eau et reprennent vie. Ce phénomène est appelé reviviscence. " Et c'est là toute la subtilité du métier, c'est qu'il faut savoir reconnaître la mousse dans son état sec et dans son état humide pour ne pas se faire berner et croire à deux espèces différentes. 

Notre balade continue du côté de la pelouse calcaire. On y rencontre des papillons d'un bleu éclatant :"Ce sont des azurées, les mâles sont bleus mais pas les femelles." Thierry est décidément incollable. Ici, il soulève des pierres et montre des tâches noires sur l'une d'elles ; "Ce n'est pas du goudron, ces tâches, c'est un lichen typique des roches calcaires".

On dépasse la zone de pelouse pour s'enfoncer dans un sous-bois, quand soudain il s'écrie : "Oui je l'ai !", comme un sportif devant sa balle. Une usnée, pas si facile à voir, est là, juste devant lui. L'homme est penché devant un petit bosquet "Ici l'ambiance est assez fraîche et il y a peu de pollution : il y a 1,2,3.... 6  grandes espèces de lichens et une espèce de mousse qui structurent ce groupement. C'est très joli, avec en plus une jeune usnée. Aux portes de Nancy, ce n'est pas tous les jours que l'on voit des usnées !"

 Le botaniste perd quelques instants la parole. J'en déduis qu'il prend des notes dans sa tête pour l'inventaire qu'il continue d'alimenter. Un sourire reste plaqué sur son visage. Quelques nuances d'espoir, peut-être ? Quand on laisse la nature se régénérer toute seule, ou au contraire quand on intervient sur le paysage pour qu'il se maintienne (ex l'éco-pâturage), les effets sur la biodiversité se voient immédiatement. Et c'est peut-être là le cœur du savoir que Thierry Mahévas veut partager : "l'intéressant, c'est que tout le monde sache car on ne protège que ce que l'on connaît". Tiens, il me semble avoir déjà entendu ça de la bouche d'un autre botaniste du  jardin botanique Jean-Marie-Pelt.  

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