Nancy : pourquoi les fleurs de lilas sont omniprésentes dans la ville

Une explosion de senteurs et de couleurs. Les lilas du jardin botanique Jean-Marie-Pelt de Villers-lès-Nancy sont en pleine floraison. Il serait dommage de manquer ça. Mais partout dans Nancy, les lilas resplendissent. Savez-vous pourquoi ?

 "On ne se rend pas compte à Nancy, mais il y a des lilas partout" :  Sébastien Antoine, responsable scientifique au Jardin botanique Jean-Marie-Pelt de Villers-lès-Nancy le dit comme une évidence. Et ce sont les visiteurs qui viennent de loin qui s'en aperçoivent et le font remarquer. Souvent d'ailleurs, ces visiteurs savent pourquoi il y a tant de lilas à Nancy. Mais vous, le savez-vous ?

Sébastien Antoine, passionné par son travail de responsable scientifique au jardin botanique, au point d'être, sur son temps libre, membre de la Société centrale d'Horticulture de Nancy, resitue le contexte : à la fin du XIXe siècle Nancy rayonne dans toute l'Europe grâce à son "École". L'École de Nancy est un courant de l'Art Nouveau très spécifique. Ses maîtres d'œuvre, à la fois artistes, artisans et industriels s'inspirent de la nature pour réaliser mobilier, verreries, céramiques, vitraux, maisons, tentures, peintures et l'on pourrait continuer ainsi la liste des matières. De la nature mais plus particulièrement des fleurs. 

Et si les frères Daum, Emile Gallé, Louis Majorelle et tant d'autres ont pu représenter à foison, les fleurs, les arbres et les plantes sauvages, c'est qu'ils bénéficiaient à Nancy d'un terrain d'observation particulièrement propice. Nancy comptait alors sur son territoire de nombreux horticulteurs. Parmi eux, Victor Lemoine, un très grand nom de la botanique, célèbre dans le monde entier.

Le hasard veut que ce fameux Victor soit le voisin d'Emile Gallé, qui a l'âge d'être son fils. Plus exactement, ce sont les ateliers Gallé qui jouxtent les jardins horticoles Lemoine. Les deux hommes s'entendent à merveille et installent une porte commune entre leurs propriétés : ainsi les ouvriers de chez Gallé peuvent se rendre dans les jardins de l'horticulteur pour observer les nombreuses plantes qui s'y trouvent. Inversement, les jardiniers peuvent aller admirer les œuvres réalisées dans les ateliers. Qui a fait rayonner qui ? C'est un peu l'histoire de l'œuf et de la poule.

Hybridation à gogo

Mais ne nous égarons pas et revenons à nos lilas. La plante est connue, c'est un arbuste vivace qui vient du Moyen-Orient. Il est apprécié pour son adaptabilité, sa résistance au froid et son odeur surtout, mais ses fleurs sont petites et ne résistent pas à la coupe. Victor et son épouse ont alors cette idée géniale de tenter d'hybrider des variétés entre elles pour développer la taille, les couleurs et les senteurs des fleurs et surtout sa tenue en vase. Sébastien Antoine s'enthousiasme : "C'est formidable ce qu'ils ont fait."

En plus d'avoir l'idée, ils mettent au point une technique bien à eux, un secret de fabrication bien gardé, pour multiplier les cultivars. Sébastien Antoine s'intéresse à la technique de reproduction développée par l'horticulteur. Et ce qui le frappe c'est que Victor Lemoine savait déjà ce qu'il voulait obtenir avant de commencer; "par exemple il voulait un grand lilas rouge à fleurs simples, et odorantes". Il partait de l'idée de l'arbre et cherchait donc les graines et un support adaptés et effectuait la pollinisation avec les espèces qui lui semblaient appropriées. Là, où un grand nombre d'horticulteurs procèdent à l'inverse, en mélangeant un peu tout et en espérant voir naître quelque chose du chaos.

Victor Lemoine fait sa première tentative avec son épouse en 1870. Il cherche à créer un lilas blanc, vigoureux, à fleurs doubles et odorantes. Avec une patience infinie, madame Lemoine pollinise 700 fleurs, à la main. Sept graines sont obtenues à la fin du cycle. Et en 1876 enfin, des arbustes robustes à fleurs blanches doubles et odorantes sont commercialisés. Un travail de longue haleine.

C'est ainsi qu'au fil des années, le couple d'abord, puis leur fils Emile (tiens, le prénom du voisin) puis leur petit-fils, Henri Lemoine vont perpétuer cette reproduction et créer pas moins de 214 cultivars. Ailleurs dans le monde, d'autres horticulteurs se serviront de leurs arbustes pour en créer d'autres et d'autres encore. On estime aujourd'hui le nombre de variétés de lilas horticoles entre 1.500 et 2.000 hybrides. 

Alors pourquoi autant de lilas à Nancy et alentour ? Simplement donc parce qu'il était simple de s'en procurer, les horticulteurs étant sur place. Et comme les lilas font des rejets, appelés des drageons, il était aisé d'en donner aux amis. Pour aller plus loin, voir un reportage de France 3 Lorraine de 2018, où l'on retrouve le prédécesseur de Sébastien Antoine, Jean-François Gonot, qui explique tout cela. 

La magnifique collection du jardin botanique 

Qui mieux que le jardin botanique Jean-Marie-Pelt pouvait tenter de regrouper l'ensemble des 214 cultivars issus de la maison Lemoine ? Mais l'objectif n'est pas tout à fait atteint. La collection du patrimoine horticole lorrain inscrite au Conservatoire des collections végétales spécialisées (CCVS), compte 150 variétés de lilas Lemoine. Le jardin se félicite toutefois de savoir parfaitement où trouver dans le monde les 64 variétés qu'il ne possède pas encore. Sébastien Antoine se plait à rêver qu'un jour le jardin possédera les 214 lilas Lemoine. "Le travail de toute une vie, voire de mille vies !"

Parmi les espèces plantées dans le parc se trouve l'une des plus rares au monde : un lilas qui vient de Chine qui a été retrouvé dans un jardin botanique de l'est de l'Europe, dont les collections ont été préservées paradoxalement par l'histoire. Ce qui n'était plus à la mode côté occidental, donc arraché, remplacé, est resté en place derrière le Rideau de fer. "Syringa chinensis duplex" trône désormais comme un trésor du jardin.

Si la floraison des variétés les plus précoces est déjà sur sa fin, cette semaine de fin avril est la plus propice à découvrir un maximum de variétés en fleurs. Les plus tardives sont encore en boutons et laissent présager une autre palette de couleurs et de senteurs. Dressé, droit comme un I, vous reconnaîtrez "maréchal Foch".

D'un blanc éclatant vous respirez la belle senteur de "madame Lemoine" et comme notre guide Sébastien, vous serez peut-être sensible à "Mathieu de Dombasle". Les visiteurs lorrains apprécieront à leur juste valeur "Gloire de Lorraine" et "Belle de Nancy", nommés dans l'esprit patriotique et chauvin de l'époque. 

A fleurs simples, doubles ou triples, aux pétales droits ou contournés, aux thyrses plus ou moins grands, aux couleurs allant du blanc aux rouges et passant par des mauves bleutés, il y a en a pour tous les goûts, de toutes les tailles et de toutes les formes. Dans tous les cas, allez les admirer avant le 15 mai.

Dernier détail, éviter de les manger, car sans être toxiques, le lilas faisant partie de la famille des troènes, ce n'est absolument pas recommandé.

Ventes de lilas

Tout ça c'est bien beau, mais ça va vous donner des envies. Des envies de lilas. Or, le jardin botanique Jean-Marie-Pelt, comme tous les jardins botaniques est tenu par une charte qui lui interdit de vendre des plantes. Ses missions de pédagogie, de conservation ne le lui permettent pas de tirer profit d'un patrimoine commun.

Mais l'école d'horticulture de Roville-aux-Chênes, qui travaille en partenariat avec le jardin botanique, n'est pas tenu aux mêmes règles. Et les élèves de l'école, qui s'entrainent à multiplier les plantes, organisent chaque année des ventes des fruits de leur travail dans leur boutique mais aussi lors de Nature en fête au Parc Sainte-Marie de Nancy les 7 et 8 mai 2022. 

Si vous voulez écouter le passionnant Sébastien Antoine, le chef d'orchestre du bon étiquetage des plantes et également responsable technique du jardin de l'évolution et des plantes médicinales, il donnera une conférence pour la Société Centrale d'Horticulture de Nancy sur une autre spécialité des horticulteurs Lemoine : "les pivoines et les pivoines arbustives de la maison Lemoine" le 15 mai 2022 à l'amphithéâtre Lucien Cuénot du Muséum-Aquarium de Nancy. 

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