Les jardins botaniques ont parmi leurs missions la pédagogie et la transmission des connaissances. Le Jardin Jean-Marie Pelt travaille en étroite collaboration avec l'université de Lorraine. Concrètement ça donne quoi ?
C'est une relation qui ne saute pas immédiatement aux yeux. Quels peuvent être les liens qui existent entre un jardin botanique et une université ? Le jardin botanique Jean-Marie Pelt est le seul exemple français de cogestion à la fois par une collectivité territoriale et une université. Son site internet a beau nous expliquer que depuis 1996, il est cogéré par la métropole du Grand Nancy et par l'université de Lorraine, en dehors d'une histoire de terrains, de personnels, de gestion administrative et de gros sous, il est difficile d'appréhender les rôles de chacune de ces entités.
La toute première chose à noter, c'est que l'accès au Jardin botanique est gratuit pour tous les étudiants et plus largement pour tous les jeunes de moins de 26 ans. Quoi de mieux, comme entrée en matière ?
Et pour comprendre les multiples interactions entre les enseignements universitaires et le jardin, un petit tour s'impose en compagnie de Marie-Noëlle Vaultier, enseignante chercheuse à l'université lorraine et directrice scientifique du jardin botanique (sa double casquette lui permet d'assurer le lien) et de Katia Astafieff, directrice adjointe du jardin pour découvrir les liens actifs entre ces établissements.
Une mission pédagogique
C'est la toute première chose que les deux scientifiques évoquent : les visites du jardin. Il s'agit de sortir les étudiants de leurs salles de cours et de rendre concrets et dynamiques les enseignements. Rien de tel pour donner envie de comprendre, que l'observation en feuilles, en fleurs et en tiges. Un contact direct qui vient ludiquement conforter les connaissances théoriques.
Ainsi, chaque année, avec ses deux collègues, Marie-Noëlle Vaultier emmène ses étudiants en deuxième et troisième année de pharmacie prendre l'air au jardin, dans le cadre d'un cours de botanique. Elle aime observer les réactions des jeunes. L'enseignante s'amuse : "ils ont plus l'habitude d'aller dans des parcs comme la Pépinière à Nancy et certaines étudiantes viennent ici en ballerines ! Tous s'étonnent : Mais madame, on peut marcher sur la pelouse ?" Un rapport un tantinet délicat avec la nature.
Mais madame, on peut marcher sur la pelouse ?
Des étudiants en visite au Jardin
Oui, on peut et c'est même conseillé si on veut observer de près les plantes exposées dans les différents espaces. A commencer par l'espace des plantes médicinales autrement dit les plantes utilisées en phytothérapie ou également les plantes sources de molécules utilisées dans les médicaments.
Les étudiants en pharmacie vont devoir les observer attentivement, retenir leurs particularités, connaître d'abord les feuilles au printemps puis revenir voir les fruits à l'automne. Avant de répondre à un test de reconnaissance portant sur une centaine d'espèces en fin d'année. Plantes phytothérapeutiques, plantes toxiques, c'est 1.200 espèces qui sont présentes au jardin botanique. Que les étudiants se rassurent, l'examen ne porte pas sur autant d'espèces.
Lors des visites découvertes, les étudiants se rendent aussi dans les serres. Sauf l'année dernière, où cette partie des visites a été annulée, la faute au Covid. Mais les étudiants, qui en ont été privés, sont revenus à la charge cette année pour pouvoir les découvrir, même si ça ne fait pas partie de leur nouveau semestre. C'est dire l'intérêt qu'ils portent à ces visites. Comme je les comprends.
Une réserve d'échantillons à ciel ouvert
Marie-Noëlle Vaultier, qui ne déroge pas à la règle observée jusqu'à maintenant chez les experts du jardin, allie connaissances et modestie. "Je ne suis pas une vraie botaniste, déclare-t-elle, en revanche, tout ce qui relève de la botanique appliquée aux études de pharmacie, ça va."
Pourtant, au fil des espaces que l'on traverse, les plantes phyto, le jardin de l'évolution, les plantes des sorcières, elle égrène leurs noms aussi naturellement que vous le feriez avec le contenu de vos placards, les plantes toxiques, les plantes digestives, les grandes découvertes, les plantes qui soignent et celles qui provoquent même quelques effets-dont-on-ne-doit-pas-trop-parler; sans oublier le petit clin d'œil aux plantes citées dans Harry Potter, enfin au moins pour celles qui existent pour de vrai.
Et le parallèle avec votre placard n'est pas si bête, puisque dans les plates-bandes du jardin, l'enseignante vient prélever les échantillons qui serviront aussi bien aux tests de connaissances des étudiants, qu'aux analyses pour ses collègues des laboratoires de l'Université Lorraine. Ses collègues de la fac des sciences également y font leur marché de gymnospermes, de mousses et de fougères entre autres pour les travaux pratiques (TP) effectués en salle avec les étudiants. Le jardin, vu comme un fournisseur de matières à connaissance. "Son matériel frais", dit l'enseignante.
Madame Vaultier tient à modérer toutefois le cadre des connaissances présentées au grand public : il s'agit bien d'observer et expérimenter les particularités morphologiques des plantes, de connaître les molécules qu'elles développent, mais en aucun cas de fournir un petit mémo des plantes qui soignent ou des recettes de grand-mères. Ce n'est pas le rôle du Jardin. Et d'expliquer que chaque année, des imprudents s'intoxiquent voire meurent après avoir confondu des plantes -ou des champignons, l'autre spécialité scientifique de Marie-Noëlle Vaultier." Ce n'est pas parce que c'est naturel que ce n'est pas dangereux", répète-t-elle à l'envi.
La scientifique, non sans malice, fait également remarquer que la plupart de ses collègues enseignants finissent leur année en avril avec la session des partiels, tandis qu'elle alterne les périodes sans enseignement (mais de travail au labo), dû au repos végétatif hivernal des plantes, des périodes de cours pratiques, et des périodes de prélèvements et d'observation et au gré des saisons. Un métier au rythme de la nature.
Si la première qualité des étudiants et des scientifiques qui viennent au jardin c'est de s'intéresser aux végétaux et à leur diversité, il n'y a pas que la botanique pure qui est étudiée et présentée aux étudiants dans les différentes filières universitaires : la présentation des adaptations des plantes aux différents climats, en milieu humide ou en milieu sec, leur système de transpiration, la détermination des échanges gazeux des plantes. Ainsi des feuilles de lauriers roses sont ramenées en salle de travaux pratiques pour faire découvrir leurs célèbres cryptes pilifères permettant à la plante de climat chaud d’éviter de trop transpirer et donc de mieux résister à la chaleur et à la sécheresse. Une plante qui a de l'avenir.
Il y a les enseignements récurrents d'une part, comme ceux de pharmacie et de sciences, mais d'autre part les projets scientifiques.
Le projet lilascope
Des caméras ont été installées par des chercheurs du laboratoire Silva (université de Lorraine - AgroParisTech - INRAE), pour filmer la collection des lilas du Jardin du début du printemps jusqu'à l'automne. L'objectif est de collecter des données pour étudier les variations de périodes de floraison en fonction des années et du climat.
Dix années d'enregistrement sont d'ores et déjà archivées et n'attendent plus qu'un étudiant se penche sur les données collectées pour en tirer des observations et des statistiques relatives aux évolutions de périodes de floraison en fonction du climat. Un domaine essentiel au vu des modifications de climat que la terre subit dans cette ère anthropocène. Avis aux studieux amateurs.
Le bassin d'aquaponie
Sous la houlette de Fabrice Teletchea, enseignant chercheur à l'université de Lorraine, est né il y a quatre ans, un projet visant à promouvoir l'aquaponie sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, où les terres agricoles ne sont pas expansibles. En bref, et pour faire simple, l'aquaponie est un mode de culture de plantes, associé à un élevage de poissons : les plantes puisent les nutriments dont elles ont besoin dans les excréments des poissons. Quel rapport entre le jardin botanique l'aquaponie et l'archipel d'Amérique du Nord ? Aucun a priori. Si ce n'est que les étudiants de l'IUT de Nancy-Brabois, lancés dans le projet, ont voulu reproduire eux-mêmes un système d'aquaponie.
Le directeur du Jardin botanique, Frédéric Pautz, leur a proposé un espace dans l'Orangerie pour y installer leur structure et a financé les matériaux. Les cinq étudiantes, avec l'aide précieuse du grand-père de l'une d'entre elles ont conçu et construit manuellement une structure de culture en aquaponie.
Par effet "boule de neige", comme le dit monsieur Teletchea, le projet est présenté d'abord dans un collège de Dombasle-sur-Meurthe. Puis, cette année 2022, il est repris, dans le cadre du programme Perciponie, par d'autres étudiants qui vont le présenter devant des élèves de cinq écoles de la région appartenant au Réseau éducatif la main à la pâte. Le jardin botanique sert de vitrine pour ce projet scientifique. Toutes ces classes vont venir en visite pour découvrir cette méthode de culture dans l'eau. Un exemple parfait de pédagogie, de coopération et de transmission de la science.
Les petits plus du Jardin
Le Jardin s'enorgueillit de former chaque année des étudiants à la médiation scientifique : qu'ils viennent de géologie, de pharmacie, de botanique (c'est plus rare, car les cursus de botanique pure se raréfient), le Jardin leur apprend à vulgariser leurs connaissance pour guider les visiteurs dans les méandres du parc. Une expérience pour ces jeunes gens qui fait toujours son petit effet sur un CV. Ce qu'on fait par exemple les étudiantes du projet aquaponie en créant des panneaux explicatifs, mais ce que d'autres étudiants en thèse d'exercice de pharmacie, ont fait également sur d'autres panneaux pédagogiques répartis dans les plates-bandes de la collection médicinale. Une stagiaire en muséographie a elle aussi contribué à la réalisation de panneaux pédagogiques. C'est dire toutes les interactions possibles entre les différentes filières d’études qui trouvent un point de convergence au Jardin botanique.
Le master orienté environnement et forêt de l'Université Lorraine (master AETPF) vient aussi travailler au Jardin botanique. Dans de cadre d’enseignements et de projets avec l'Arboretum et des scientifiques de l’INRAE et d’AgroParisTech. Afin d'étudier en physiologie végétale, l'adaptation des arbres au froid ou à la sècheresse par exemple. Et puis il y a l'ENSAD, l'école des Beaux-Arts de Nancy qui vient chercher des modèles de plantes à dessiner et qui organise chaque année des expositions. Il y a l'ENSTIB, l'école du bois d'Epinal qui réalise les défis du bois chaque année et qui a cédé ensuite quelques cabanes au Jardin.
On peut encore citer le lycée Stanislas et ses goûters solidaires, sans oublier le lycée d'horticulture de Roville-aux-Chênes qui organise régulièrement des visites à thèmes avec ses classes.
Une panoplie d'exemples d'écoles, de filières universitaires, d'étudiants, de chercheurs qui bénéficient de l'implantation d'un Jardin botanique à proximité, véritable outil et richesse pédagogique, où l'envie de mieux connaître la nature s'ajoute à celle de la préserver.