Depuis vendredi et jusqu’au mercredi 1er juin 2022, les français vivant à l’étranger, notamment au Luxembourg et en Belgique, peuvent voter par internet pour le premier tour des élections législatives. Entre enthousiasme, méfiance et bugs, le vote par internet, est-ce la solution miracle pour lutter contre l'abstention ? L'analyse d'Etienne Criqui, politologue et professeur de Science politique à l'Université de Lorraine.
Les cent vingt-cinq mille français résidant au Luxembourg et en Belgique ont jusqu’au mercredi 1er juin 2022 pour voter par internet au premier tour des élections législatives.
Lors des précédentes élections législatives en 2017, le taux d'abstention avait atteint des sommets au Grand-Duché où près de huit électeurs sur dix ne s'étaient pas déplacés. Le vote en ligne, un remède miracle pour lutter contre l'abstention ?
Pouvons-nous avoir confiance au vote dématérialisé ? Quels sont les avantages et les inconvénients ? Ce sont les questions que nous avons posées à Etienne Criqui, politologue et professeur de Science politique à l'Université de Lorraine.
Peut-on faire confiance au vote par internet ?
C’est une question relativement ancienne, en tous cas pour le vote électronique, puisqu’on confond parfois "vote électronique" et "vote par internet". Les expériences les plus fréquentes, qui existent encore aux Etats-Unis et dans d’autres pays, c’est le vote électronique : c’est-à-dire non pas un bulletin dans une urne, mais dans l’isoloir un vote sur une machine. Ce qui est évidemment autre chose.
Le vote par internet est très peu pratiqué si n’est donc en France pour cette année par les français de l’étranger, en sachant d’ailleurs qu’il n’est pas exclusif du vote dans un bureau de vote avec un bulletin et une urne ou du vote par procuration. C’est une des modalités possible qui s’explique par le fait que les français de l’étranger, notamment dans les grands pays, sont disséminés dans des territoires gigantesques et qu’il est difficile, si l’on veut qu’ils puissent participer, de tous les obliger de venir dans un bureau de vote : ce qui impliquerait des déplacements parfois très lointains, des files d’attente de plusieurs heures, etc.
Cette procédure avait été prévue en 2012, annulée en 2017 et réinstaurée en 2022, principalement parce que dans certains pays, compte tenu des distances, il est vraiment très difficile de se rendre dans les bureaux de vote.
Quels sont les avantages du vote par internet ?
Les avantages de voter par internet, c’est évidemment la simplicité, sous réserve bien évidemment d’être connecté car tout le monde n’est pas connecté. On estime qu’il y a cinq pour cent de personnes en France qui n’ont pas accès chez eux à ce type de connexion, souvent des personnes âgées.
L’avantage, c’est évidement la simplicité, la rapidité et le fait de ne pas être obligé de se rendre au bureau de vote, de se déplacer. Certains estiment aussi que ça serait plus écologique si c’était généralisé, puisqu’on n’aurait pas à imprimer des bulletins de vote, etc. C’est discutable parce que l’empreinte d’une connexion internet, l’empreinte écologique, le bilan carbone n’est pas nul. Si vous avez quarante millions de personnes qui votent par internet, ce n’est pas un intérêt majeur de ce point de vue-là ou une économie majeure en terme à la fois de coût pour l’organisation des élections et en termes d’empreinte carbone.
Quels sont, selon vous, les inconvénients du vote par internet ?
Les inconvénients sont très nombreux et c’est pour cette raison que pour l’instant, notamment pour avoir un système sécurisé, il n’est quasiment pas utilisé. Il y a évidemment tous les risques de piratage, de détournement du vote, de cyber attaque… Le vote à urne peut paraître archaïque, mais c’est vote fiable et qui ne peut quasiment pas être piraté. En revanche, évidemment, le vote par internet, il y a des risques de piratage, même de cyber attaque venant de l’étranger.
Il y a un autre inconvénient qui est celui de s’assurer que c’est bien le citoyen Dupont qui a voté ou la citoyenne Dupont et pas son neveu, son petit-fils… Il faut garantir l’authenticité du vote, c’est-à-dire être sûr et c’est ça c’est très difficile. Quand on le pratique, on reçoit des clefs de connexion, des identifiants, un mot de passe, mais quelqu’un de l’entourage peut très bien se les approprier et voter à la place de la personne : on n'a aucun moyen de vérifier, aucun. Après, il faut qu’on ait la garantie du bon fonctionnement.
La garantie de l’anonymat du vote est un des problèmes du vote par internet
Etienne Criqui, politologue et professeur de Science politique à l'Université de Lorraine
Quand on organise un vote par internet, il faut un prestataire. Il faudrait, la Suisse le fait, obliger le prestataire à rendre public le fonctionnement du système pour s’assurer que le résultat annoncé correspond bien à l’ensemble des bulletins chiffrés, car le cryptage est obligatoire pour garantir l’anonymat du vote. La garantie de l’anonymat du vote est un des problèmes du vote par internet. Quand vous procédez au vote et quand vous allez dire sur une liste je vote pour tel ou tel candidat, ça doit être crypté et puis ensuite, ça doit être déverrouillé globalement. C’est obligatoire pour garantir l’anonymat et là, ça pose souvent des problèmes. C’est extrêmement complexe et la technologie actuelle ne permet pas de s’assurer pour des élections de grande ampleur de résoudre tous ces problèmes : sans compter que vous ne pourrez rien contester avec le vote par internet. Il n’y a aura plus de contentieux de l’élection sauf à mettre en cause le prestataire. Vous êtes pieds et poings liés avec un prestataire qui va vous donner les résultats : est-ce que ce sont les bons résultats ? Qui va vérifier ? Qui va en quelques sortes assister au dépouillement et après quid de recours éventuels ? Il n’y a quasiment pas de possibilité.
Le vote par internet est-il une solution d’avenir ?
Non, ce n’est pas une solution d’avenir proche ou peut-être à long terme, dans vingt ans peut-être, mais à court terme, dans cinq ans, pour de grandes échéances françaises, présidentielles et législatives, ça ne sera pas mis en place, ça pose trop de problèmes. Les économies seraient marginales et en plus dans un pays comme la France, compte tenu de la densité des bureaux de vote, ce n’est pas nécessaire : le nombre de bureaux de vote et tel que chaque électeur est quasiment à moins de dix minutes d’un bureau de vote, sachant qu’il y aussi le vote par correspondance si on est absent.
Le vote par internet est-il une solution au taux d’abstention ?
Non, à priori non pour les expériences qui ont été menées, qui sont ponctuelles, partielles, etc : il n’y a pas eu d’effet sur le taux de participation