Les réfugiés d'Ukraine face à l’emploi en France : malgré la barrière de la langue, "hors de question de ne pas travailler"

La protection temporaire accordée aux réfugiés ukrainiens leur donne le droit de travailler en France, sans formalité particulière. La barrière de la langue, la non-reconnaissance des diplômes et des qualifications constituent cependant des obstacles dans le parcours vers l’emploi. Exemples en Meurthe-et-Moselle.

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Lorsqu’on l’interroge sur son passé professionnel en Ukraine, Larissa, fer à la main, sourit jusqu’aux oreilles : "en Ukraine j’ai exercé comme agent-comptable pendant toute ma vie. Je n’avais pas d’expérience professionnelle dans le repassage, mais j’ai trois enfants, donc je considère que j’en avais quand même un peu". Elle dispose depuis quatre mois d’un contrat de vingt heures par semaine à la boutique linge de Neuves-Maisons, une activité de blanchisserie industrielle proposée par l’Association Promotion Insertion Chantier (APIC).

Cette structure s’inscrit dans l’économie sociale et solidaire. Elle a été sollicitée pour accueillir la maman originaire de la banlieue de Kiev : "nous lui avons fait passer un entretien d’embauche classique, qu’elle a réussi brillamment. Nous avions des besoins sur ce poste, nous avons pu l’embaucher rapidement. L’idée c’était qu’elle puisse trouver un emploi tout de suite, le temps d’apprendre le français" explique David Leborgne, responsable de l’association. Sur les murs du local où elle repasse des draps, les consignes en langue ukrainienne doublent celles en français au-dessus des bacs à linge.

J’aimerais bien sûr rentrer en Ukraine comme tout le monde, mais tant que je suis en France je veux travailler et m’assumer toute seule !

Helena, réfugiée ukrainienne

L'apprentissage du français avant tout

La barrière de la langue constitue le premier frein à l’emploi des réfugiés Ukrainiens. Même s’ils ont une qualification dans leur pays, et obtenu des diplômes de l’enseignement supérieur, il est très difficile de les valoriser toute de suite sur le marché de l’emploi français. Nataliia, la sœur de Larissa, était professeure d’histoire. En France, elle emballe des œufs dans une petite usine au sud de Nancy. Ce travail, qui ne demande aucune qualification, est difficile de l’aveu même du responsable du site, Elie Coupu : "c’est l’agence d’intérim qui nous a proposé Nataliia, et nous sommes vraiment contents de l’avoir avec nous. Elle s’est très bien intégrée, l’équipe est sympa avec elle. Ce n’est pas un poste facile, il y a beaucoup de turn-over… "

La maman de trois enfants n’a pas hésité une seconde. Deux semaines seulement après son arrivée en France, elle travaillait déjà : "j’ai pris des cours intensifs pendant deux semaines, et à chaque pause j’en profite pour apprendre grâce à mon téléphone et internet. Les collègues sont vraiment sympas avec moi, ils m’aident au quotidien, ils m’apprennent le vocabulaire, ça c’est un balai, ça c’est un carton… et ils font l’effort de me demander des mots dans ma langue, comment on dit bonjour ou merci en ukrainien. J’apprécie beaucoup".

Des emplois en dessous des qualifications

Pas d’autre choix que de travailler : un leitmotiv pour ces femmes qui ont quitté le pays, mais y ont laissé une partie de leur famille, souvent un mari, parfois des fils, qu’il faut parfois aider financièrement. Aucune ne nous le dit clairement, mais nous comprenons qu’elles effectuent régulièrement des virements vers l’Ukraine.

Accepter un poste en dessous de sa qualification ne constitue pas une étape facile. Helena, que nous rencontrons à la terrasse d’un café place Stanislas à Nancy, avoue qu’elle a mis deux mois avant de se résoudre à accepter un poste de femme de ménage : "dans ce café, je nettoyais la salle de six à huit heures du matin. Mais les patrons étaient sympas, ils nous offraient le petit-déjeuner à la fin du travail". Cette maman d’une adolescente était psychologue dans son pays. Helena a amené avec elle toute sa vie professionnelle, qu’elle nous présente pour justifier de sa vie d’avant, et de son statut professionnel perdu. Elle montre ses diplômes, ses attestations d’emploi, son CV, et toutes ses démarches en France: "hors de question de rien faire ! J’entends des Ukrainiens qui me disent qu’ils ne voient pas la nécessité de travailler ni d’apprendre la langue puisqu’ils ne veulent pas rester, mais moi je ne partage pas du tout cet avis. J’aimerais bien sûr rentrer comme tout le monde, mais tant que je suis là je veux travailler et m’assumer toute seule".

Ne pas être une charge pour la société française, ne pas dépendre des aides, au risque de les perdre : ce frein est bien connu des associations qui aident les réfugiés. Le bénéfice d’un logement gratuit ou l’aide alimentaire sont parfois perdus dès qu’on occupe un emploi, "mais je préfère ça, à 100%" conclue Helena.

L'Etat incite mais ne contraint pas

En Meurthe-Moselle, 1700 Ukrainiens ont trouvé refuge à ce jour, dont un millier d’adultes. Beaucoup de femmes, peu d’hommes et de familles complètes : en raison de la mobilisation générale, les hommes de 18 à 60 ans ne peuvent pas quitter le pays, sauf s’ils ont trois enfants ou s’ils sont pères célibataires. Les compagnes et les épouses qui ont fui doivent donc souvent s’occuper des enfants, et même des grands-parents. Dans beaucoup de cas,  difficile de concilier ces activités avec un emploi salarié, comme l’explique Larissa : "je suis content de mon contrat de vingt heures, parce que c’est tout près de ma maison déjà, et aussi parce qu’il me laisse du temps pour mon fils de 12 ans qui est en CM2, et pour ma maman qui a 82 ans. Evidemment je voudrais trouver mieux, mais je dois progresser en français d’abord, ensuite je chercherai un emploi ici qui convienne mieux à mes compétences". 

Dans la majorité des cas, Pôle Emploi a joué son rôle d’aiguillage des réfugiés vers les employeurs potentiels. La Préfecture de Meurthe-et-Moselle a également donné un bon coup de main, de l’aveu même des réfugiés, en organisant quatre forums dans ses locaux, où elle a réuni employeurs, interprètes, et demandeurs d’emplois ukrainiens : "nous avons accueilli des entreprises de restauration, de prestations de services, des boulangeries, de l’aide-ménagère, de la grande distribution… ainsi que des entreprises de l’économie sociale et solidaire" explique Julien Le Goff, secrétaire général de la Préfecture, "les consignes dès le départ étaient de faciliter l’autonomie des déplacés, le statut de la protection temporaire leur donne le droit de travailler, les entreprises ont tendu la main, et ont facilité l’intégration dans la société française".

L'Etat incite fortement les réfugiés à apprendre le français, et à trouver du travail, mais sans aucune coercition. En clair : ceux qui ne s'inscrivent pas dans la démarche de l'apprentissage ou de l'emploi ne verront ni leur statut ni leur aides remis en cause.

La solidarité des entreprises aide à l'insertion

Les gérants du restaurant le Terminus à Neuves-Maisons illustrent parfaitement cette solidarité. Depuis mai 2022, ils emploient Olga, 19 ans, originaire de Lougansk, ville du Donbass aujourd’hui entièrement aux mains des séparatistes et de l’armée russe. Ce soir-là, pour la première fois, la jeune femme est seule aux fourneaux : "elle est arrivée sans expérience mais avec une grande motivation. Nous la formons tous les jours, et petit à petit nous avons fait en sorte qu’elle puisse tenir un service seule en cuisine" explique Sophie Demonet.

Olga, qui enchaîne les plats, prend le temps d’apprendre la cuisson rosée des rognons : "j’adore ce travail, je me lève le matin, je ne suis même pas fatiguée. En Ukraine les derniers temps avant de partir j’étais épuisée. Ici je suis bien, le travail me plaît". Elle effectue au sein de l’établissement son deuxième CDD : "à la fin, il y aura un CDI" promet la gérante, "nous avons été touchée par son histoire, elle nous a été recommandée par des amis, nous n’avons pas hésité à lui donner des responsabilités". La maman d’Olga travaille aussi, dans un petit hôtel de la banlieue sud de Nancy : "mes amis sont aux Etats-Unis ou en Allemagne, je n’ai plus personne à Lougansk, notre maison a été entièrement détruite" explique la jeune cuisinière. Son plat français préféré ? "Plutôt la pâtisserie ! Je suis gourmande, dès que je peux, j’en fais".

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