Comme vous, nous avons arpenté de long en large, les allées et les salons de la 41e édition du Livre sur la Place à Nancy. Trois jours, du 13 au 15 septembre pour écouter et pour échanger avec les auteurs, les lecteurs ou les simples curieux. Morceaux choisis.
Ce qui frappe quand on regarde les nombreuses publications sur les réseaux sociaux, c'est la diversité des posts. Les selfies avec les auteurs, mais aussi les portraits de toutes les personnalités croisées. Les lieux, les instants. A chaque visiteur, son propre festival. Il y a tellement d'entrées possibles. Alors nous ne résistons pas à vous proposer un tout petit aperçu de votre Livre sur la place. #livresurlaplace
Nos instants choisis
Vous peut-être pas, mais moi quand je décide de me rendre sur un festival, je potasse le programme et je me fais mon petit parcours plaisirs. Je veux rencontrer Untel, je veux voir Bidule, et surtout je ne louperais pour rien au monde Trucmachinchose, l'auteur-chanteur-réalisateur que je "kiffe" grave. (Ça, c'est pour rajeunir le public de mon article!).Mon florilège en poche, je suis bien décidée à passer trois jours de dingue à cette 41e édition du Livre sur la place. Il y a des choix cornéliens -il fallait le placer celui-là- à faire: irai-je écouter Mazarine Pingeot débattre avec deux autres auteures des nouveaux combats des femmes après la période #metoo ou tenterai-je la dictée pour les nuls? Les deux se déroulant peu ou prou à la même heure, il faudra bien trancher.
Parfois, les choix s'imposent d'eux-mêmes: Enki Bilal est malade. Il ne sera pas présent. Dommage. Je n'irai, nous n'irons pas à sa rencontre.
Vendredi, c'est parti
C'est le jour des discours et les bla-bla-bla ne sont pas connus pour rameuter les masses.Les jeunes, en revanche sont là. Ils déambulent sous le chapiteau et interpellent les auteurs qui attendent sagement derrière leurs stands. L'ambiance est -on ne peut mieux dire- bon enfant. D'autres jeunes, dans une bonne humeur partagée, disputent la Battle de Stan sous la houlette de Daniel Picouly et son jury. Ça présente, ça gueule, ça bafouille. C'est drôle et animé.
Je suis curieuse, de découvrir ce que mes goûts littéraires disent de moi. Comme ce monsieur, interrogé par la journaliste de France Bleu qui lui demande ce qu'il attend de cette rencontre :
Première erreur. Non, ces professeurs ont un discours beaucoup plus érudit et les théories qu'ils sont venus nous délivrer sont bien plus générales. Transmission, générations, ringardisation et consommation. De gros mots en ion qui n'ont rien à voir avec la lectrice que je suis. Ce n'est pas ici que je me rencontrerai !Moi ? je viens me chercher moi !
- Un spectateur de la causerie
Il est vrai que nous étions un vendredi 13: "a bad luck day*", nous disait notre prof d'anglais au lycée. Une explication comme une autre. Mais je ne suis pas fille à me laisser abattre. Je rempile samedi. Vous aussi?
Samedi, une journée sous le signe du soleil
Il est là, le soleil au-dessus de la place. Mais pas uniquement. Il sera le fil jaune de toute la journée.Mon premier rendez-vous est avec Michel Bussi. Le Grand Salon de l'Hôtel de ville est plein à craquer. Beaucoup de femmes ont répondu à la même annonce apparemment. Je ne serai pas seule au rendez-vous. Le public dans son ensemble, hommes et femmes, est sous le charme discret de l'auteur. L'homme est souriant, détendu. Il apprécie d'être là, il a la parole aussi facile que sa plume est limpide. Il évoque son dernier livre "J'ai dû rêver trop fort" (Presse de la Cité), sa méthode créative, qu'il voit comme une pierre qu'il dégrossit puis sculpte de plus en plus finement. Son leitmotiv: la fluidité et la simplicité, qu'il façonne au gré des relectures successives de ses pages. Il ne boude pas son plaisir d'être là car:
Après toute la période de création en mode solitaire, c'est bien aussi de venir prendre sa dose de compliments à Nancy.
- Michel Bussi, écrivain
Les organisateurs s'assurent que tout le monde sort bien d'une rencontre avant de faire rentrer le public de la rencontre suivante. Il ne faudrait pas que certains petits malins squattent leur place la journée durant, en se cachant dans les toilettes par exemple, entre deux entretiens.
A midi et demi, c'est la rencontre inattendue. La bien mal nommée. Car très attendue au contraire. Quand Abd Al Malik rencontre Laurent Joffrin pour échanger sur leur idée de la France, c'est passionnant. L'un, éditorialiste et directeur de publication de Libération vient présenter son livre historique "le Roman de la France" chez Tallandier, tandis que l'autre, chanteur, auteur, réalisateur et romancier évoque son dernier ouvrage "Méchantes blessures" chez Plon. Le premier, tendance gauche parisienne a beaucoup en commun avec le second, étiqueté bien trop vite jeune de banlieue Strasbourgeoise. Les deux hommes partagent l'amour de leur pays et de la liberté qui y règne. Ils l'expriment chacun à leur manière. Poétique, rapide, enflammée pour Abd Al Malik, posée, éclairée et truffée d'anecdotes historiques pour Laurent Joffrin.
Sacré programme. Il parle d'empathie, de bienveillance et dans sa bouche les mots prennent tout leur sens. Il parle de protéger les plus faibles, d'être leurs voix. On ne doute pas qu'avec sa tranquille attitude, l'artiste solaire -pour reprendre le terme de Pascal Salciarini, qui anime la rencontre- mènera sa mission à bien. En commençant par allumer une petite bougie. Car la liberté, le débat d'idée, le mélange des cultures pour lui c'est une histoire de lumière. L'assistance vibre avec le musicien. Et comme au concert, les phrases qui font mouche sont applaudies. L'homme dégage quelque chose qui nous le rend accessible et malgré les consignes pour quitter la salle, nombreuses sont les personnes à rejoindre la scène pour lui parler, le prendre en photo. Il quitte l'hôtel de Ville en continuant de signer des autographes et donner ses coordonnées à un monsieur insistant. Hallucinant de proximité et d'humanité. A tel point qu'il prend toute la lumière face au pourtant brillant éditorialiste, connu aussi, pour son humanité.J'ai écrit "Méchantes blessures" pour sauver le monde et pas seulement ce qu'il en reste
- Abd Al Malik, chanteur, réalisateur, romancier
Suite logique, après le soleil, les étoiles. Quoi de plus fascinant que les étoiles ? Alain Cariou, directeur de la revue Ciel et Espace ("Les hommes de la lune" au Seuil), et Trinh Xuan Thuan ("Vertige du Cosmos" chez Flammarion), astrophysicien de renom ont la tête dans les étoiles. Ils nous ont embarqués dans leur univers en expansion. À la manière de Buzz l'Éclair, "vers l'infini et au-delà". Comprendre pourquoi la nuit est noire, avoir une notion de ce qu'est l'infini, nommer des sortes de fantômes qu'on ne voit pas, qu'on ne connaît pas et qu'on explique pas -comme l'énergie noire- voici quelques notions qu'ils ont partagées avec nous. Éblouissant.
Quand vous savourez la noirceur de la nuit, dites-vous que c'est grâce au Big Bang.
-Trinh XuanThuan, astrophysicien.
Quant à Alain Cariou, difficile pour lui de donner une meilleure définition de la beauté du ciel. Il y ajoute enfin et surtout la beauté de l'émotion, toujours renouvelée.La théorie de la relativité générale d'Einstein, c'est magnifique comme une cantate de Bach.
- Trinh Xuan Thuan
Je vous l'avais dit, même à l'intérieur des grands salons, cette journée était lumineuse et ensoleillée. Peut-être avez-vous plus profité de la chaleur de notre astre sur la place Stanislas ou à la pépinière? Le soleil n'était pas avare de ses bienfaits ce samedi à Nancy.
Dimanche, le pouvoir du silence et l'émotion des paroles
Aujourd'hui, mes choix m'emmènent vers des rencontres plus difficiles en termes d'émotions.Trois auteures, trois romans qui parlent de viols deux ans après l'affaire Weinstein. Viols de femmes et viol d'enfant. Terrible. Angoissant. Trois séduisantes femmes qui nous glacent. "À mon corps défendant", voilà le thème de cet échange.
Karine Tuil a suivi de nombreux procès de viols avant d'écrire son livre "les choses humaines" paru chez Gallimard pour mieux en comprendre la réalité (en lice pour le Femina 2019). Ce qui la frappe chez ces femmes de tous âges, agressées :
C'est le courage de la victime pour aller jusqu'au bout du procès et faire reconnaître leur histoire.
- Karine Thuil, auteure
Mazarine Pingeot, elle, vient présenter son roman "Se taire" paru chez Julliard. Le viol est aussi au coeur de son ouvrage. Son héroïne, agressée, est subtilement incitée par sa famille, en vue, à se taire. L'idée de l'auteure:
C'est de voir comment le silence métastase à travers le temps.
- Mazarine Pingeot, auteure
Pouvoir libérateur de la parole versus pouvoir dévastateur du secret. Choisissez votre camp.
Enfin la troisième auteure a fait peser un silence intense sur la salle. Le roman d'Isabelle Desesquelles "UnPur" (Belfond) est en lice pour le Femina 2019. Il traite d'un enlèvement et du viol d'un enfant.
Comme les personnages de ces trois romans présentés par trois femmes de lettres et de caractère, le public et moi quittons la salle dans un état second. Un peu sidérés d'avoir partagé des choses aussi intenses, à cette heure matinale dominicale.
Point d'orgue
Trois places sont réservées au premier rang. Celles d'André Rossinot, président du Grand Nancy, de Carole Granjean, députée et de Laurent Hénart, maire de Nancy. C'est dire si l'auteur que nous allons rencontrer a de l'importance.L'homme que nous sommes venus écouter est un survivant de l'attentat de Charlie Hebdo. Philippe Lançon a raconté, dans son livre "Le Lambeau" -paru chez Gallimard et Prix Femina 2018-, ce dont il se rappelle de l'attentat et surtout sa longue reconstruction physique. Et sa vie dans "ses" hôpitaux, comme Verlaine.
Ce n'est pas une renaissance, c'est une naissance
- Philippe Lançon, journaliste
Il nous dit l'importance de l'humour, de cette forme de bienveillance désespérée qui était sa seule position possible. Il nous dit les liens avec les soignants. Sa difficulté à écrire et les contraintes qu'il s'est imposées pour y parvenir. Enfin il nous explique comment Bach -Tiens, encore lui !- et ses variations Goldberg l'ont emmené entre ciel et terre, selon qu'elles étaient interprétées par Kempff ou Gould.
Il nous dit qu'il n'a pas de colère contre les imbéciles qui ont fait ça:"ils sont morts".
Il regrette "cet état de bienveillance qu'il avait à l'époque et qui s'amenuise petit à petit". Nous n'avons pas senti que sa bienveillance s'amenuisait.
Au terme de l'heure d'entretien, la salle entière s'est levée pour applaudir l'auteur, le survivant d'un attentat traumatique pour une nation entière, l'homme "non consolidé" selon la dénomination médicale, l'homme tout court.
"Qu'est-ce qu'on peut faire, après ça ?" dit la chanson de Goldman.
Plus rien, pour ma part, le Livre sur la Place 2019 se terminera là. Mais vous pouvez, vous, revoir l'émission spéciale France 3 France Bleu "Nancy, au coeur des Livres" réalisée en direct ce samedi 14 septembre.
*un jour de malchance