Laurent Hénart jouait gros dans ces municipales. La mairie, la présidence du Mouvement radical et du coup son avenir politique. Comment en est-il arrivé là et après cette défaite, comment peut-il rebondir ?
21 mars 2010, à 41 ans, Laurent Hénart vit son premier revers politique. A la tête d'une droite soit disant réconciliée, le député et adjoint à la culture de la ville de Nancy s'incline face à Jean-Pierre Masseret dans la conquête de la Région Lorraine. La liste PS-PC obtient 50,02%, le Front national 18.44% et Laurent Hénart 31,54%. Comme dans la grande majorité des régions françaises, la droite parlementaire essuie un échec cuisant lors de ce scrutin. En Lorraine, l'idée d'avoir joué sur le renouvellement avec à sa tête celui que certains surnomment le “Kennedy Lorrain”, n'a pas suffi. C'est un flop.
“C'est vrai que c'est mon premier échec en tant que candidat mais en même temps, j'ai déjà vécu ou ressenti des revers donc ce n'est pas une première” déclare ce soir-là Laurent Hénart presque soulagé de quitter la rue du Faisan à Metz où il avait établi son QG de campagne. Après avoir à peine salué ses rares supporters mosellans présents ce soir-là, direction Nancy. Sur l'A31, à bord de sa petite Lancia, écouteurs vissés à l'oreille, il prend connaissance de ses messages et de ses SMS. “De toute façon, c'était très dur de l'emporter vu le contexte” confie t-il (1). Ces régionales ont viré au référundum contre la politique de Nicolas Sarkozy. L'avenir de Laurent Hénart aurait pu s'écrire à Metz, en Moselle, à l'Hôtel de Région. Changement de cap : retour à la case départ. L'objectif, c'est maintenant la mairie de Nancy. Elle lui a été promise par André Rossinot qui ne disparait pas complètement des radars. André Rossinot quittera la place Stanislas pour devenir président de la métropole.
Echec et mauvais choix
Mais le parcours est chaotique. Deux ans plus tard, retour devant les électeurs et nouvel échec. Cette fois, c'est aux législatives qu'il s'incline face à une inconnue. La socialiste Chaynesse Khirouni crée la surprise et s'impose. Une défaite qui tombe très mal dans l'agenda car la succession d'André Rossinot se profile à grand pas. Un écueil que surmonte Laurent Hénart en 2014 à la tête d'une liste UDI-UMP-MoDeM. Il l'emporte avec 52,91 % des voix face à la gauche, conduite par Mathieu Klein. Le “dauphin d'André” est (enfin) élu maire de Nancy. Laurent Hénart parle alors de “relais en douceur pour proposer aux Nancéiens un renouvellement en confiance.” Pari gagné.2014, une année faste pour Laurent Hénart. Après la démission de Jean-Louis Borloo, en avril, il devient président du Parti radical par intérim puis président du parti. Un mouvement qui, même s'il apparait parfois comme un parti d'opérette, lui confère un rôle sur le plan national et au sein de la droite française.
Très vite, une autre élection se profile : la présidentielle de 2017. Et même s'il ne cesse de répéter qu'il est avant tout maire de Nancy et qu'il n'aspire à rien d'autre, Laurent Hénart s'engage auprès d'Alain Juppé dans la primaire de la droite puis auprès du très libéral François Fillon. “Il est le mieux placé pour être le prochain président et pour rassembler” répète le maire de Nancy qui s'éloigne de plus en plus de sa ville. Problème, personne n'a l'envergure à la municipalité pour le “remplacer” dans la gestion du quotidien. A moins que Laurent Hénart ne souhaite pas déléguer... Difficile à dire mais certaines langues à la mairie le décrivent souvent comme “mal entouré et mal conseillé”. Du coup, à Nancy, rien ne se passe entre le ronron du calendrier culturel et des rendez-vous ratés avec l'écologie, les transports, l'urbanisme... Les Nancéiens, y compris au sein de son propre électorat, commencent à gronder. Laurent Hénart n'entend rien et n'écoute finalement que sa petite cour.
Qui plus est, la présidentielle est un calvaire : l'affaire Fillon, sa mise en examen, le Pénélope gate... Laurent Hénart demande même à François Fillon de se retirer pour laisser la place à Alain Juppé. De quoi brouiller une image qui se décompose petit à petit localement. Pendant qu'il s'enfonce, un autre homme politique émerge, c'est Emmanuel Macron. Tout rapprochait les deux hommes au centre mais Laurent Hénart n'a pas eu le flair ou le courage politique de s'amarrer à La République en Marche. Bilan, une année de plus à digérer la défaite de 2017 et à se repositionner dans le sillage de Macron. Mais il est tard, très tard. Une année de moins consacrée aux Nancéiens alors que l'échéance de 2020 approche à grand pas.
Résultat : une campagne bâclée faute de bilan, une campagne bricolée sur des artifices qui se traduisent par une faible mobilisation des Nancéiens au premier tour. Même si le coronavirus a brouillé le scrutin, Laurent Hénart n'est pas parvenu à convaincre. Durant le confinement, Laurent Hénart se lance alors dans une communication “no limit”. Tout en espérant un sursaut de mobilisation pour sauver son fauteuil, les Nancéiens devront le juger sur sa gestion de la crise plutôt que sur son premier mandat. Là aussi, il n'est pas parvenu à convaincre.“Je peux faire autre chose dans la vie que de la politique”
Aujourd'hui défait, beaucoup d'incertitudes planent quant à l'avenir politique de Laurent Hénart. “Je peux faire autre chose dans la vie que de la politique” confiait-il le 15 juin dernier en apparté d'une conférence de presse consacrée à son plan de relance économique. “Quand j'ai été battu aux législatives en 2012 avec la vague socialiste qui a suivi l'élection de François Hollande, je me suis inscrit comme avocat et j'ai donné des cours de droit. Ça a été quelques belles années de ma vie, ça m'a beaucoup intéressé. Après, je suis passionné de politique. Les gens qui me connaissent le savent et j'aime ma ville. Mon engagement public est à Nancy et pas ailleurs.”
Problème, la droite locale a une occasion rêvée de prendre le leadership de l'opposition sur un centre aujourd'hui en lambeau. “On voit bien aujourd'hui qu'avec la loi sur l'interdiction du cumul entre une fonction exécutive locale et un mandat national, le poste de maire est extrêmement précieux” explique Etienne Criqui, professeur de sciences politiques à l'Université de Lorraine, “un mandat de maire permet d'exister contrairement à celui de député. En raison de la présidentialisation du régime, le parlementaire a l'impression d'être marginalisé. En dehors de la fonction de président de région, seul un mandat de maire dans une grande ville permet d'exister politiquement.”
Laurent Hénart qui perd la mairie, c'est aussi tout le mouvement radical qui risque de disparaître de l'échiquier politique. Ce tremblement de terre pourrait non seulement fragiliser le parti mais le faire disparaître. “Le mouvement radical est une formation très marginale et encore plus depuis l'élection d'Emmanuel Macron” analyse Etienne Criqui, “du temps d'André Rossinot, c'était une force qui comptait. Mais plus aujourd'hui. Que représente t-il encore dans la nébuleuse des partis politiques qui sont à la lisière de la majorité ?”
“Réélu, il aurait pu entrer dans un nouveau gouvernement” ajoute Jérôme Pozzi, maître de conférences à l'Université de Lorraine, “il aurait également toute sa place et en bonne position sur une liste de la majorité aux prochaines régionales mais en étant fragilisé de la sorte, il ne peut y prétendre.”
Laurent Hénart sera donc conseiller municipal comme lors de son entrée à la mairie en 1995. A 51 ans, il repart à zéro ou presque.
(1) A l'époque, France 3 Lorraine réalise un reportage sur les candidats aux Régionales