Nancy : la perspective dans les tableaux de Jan Van Eyck, une énigme élucidée par un scientifique lorrain

Un scientifique lorrain révèle que le peintre flamand Jan Van Eyck (1390-1441) utilisait une machine à représenter l’espace au plus près de la vision humaine. Il s'agit d'un dispositif très sophistiqué avec quatre œilletons. Une petite révolution pour l'Histoire de l'Art. 

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L’Histoire de l’art est sans doute passé à côté d’une information de premier ordre. Le peintre flamand Jan Van Eyck (1390-1441) utilisait une machine à perspective très perfectionnée pour représenter l’espace tel que l’œil humain le perçoit. Au moment où les peintres italiens travaillaient la perspective "artificielle ", lui inventait la perspective "naturelle".

Une découverte pour l’Histoire de l’art, que l’on doit à un scientifique nancéien, Gilles Simon, maître de conférences à l’Université de Lorraine et chercheur au laboratoire d’informatique LORIA (CNRSInria, Université de Lorraine). Il a réalisé une analyse probabiliste de cinq tableaux peints par l’artiste entre 1432 et 1439 et a révélé, grâce à des méthodes de vision par ordinateur, que le peintre était en réalité très en avance sur son temps.

Une machine à perspective

Gilles Simon est un scientifique spécialisé dans l’informatique, en particulier la réalité augmentée depuis de nombreuses années, mais aussi un passionné d’art. Il explique dans une vidéo réalisée avec le Loria à Nancy : "On pensait jusque-là que Jan Van Eyck abordait la perspective de manière purement empirique. C’est-à-dire qu’il essayait de restituer au mieux ce qu’il était en train d’observer au moment où il peignait. Ce que j’ai découvert, c’est que bien au contraire la plupart de ses tableaux présentent une perspective très précise. Une telle précision ne peut pas être obtenue sans l’aide de ce qu’on appelle une machine à perspective".

Dans une étude présentée en août 2021 à SIGGRAPH (Special Interest Group on Computer GRAPHics and Interactive Techniques), Gilles Simon fait la démonstration de la thèse qu’il avance. On peut trouver un article qu'il a rédigé pour "The conversation", vulgarisant sa découverte. Il y présente aussi cette vidéo : 

Des résultats surprenants 

Gilles Simon a procédé à une analyse des points de fuite. Pour cela, il a utilisé des outils mathématiques. "Habituellement utilisé pour détecter les points de fuite dans une photographie, le modèle a-contrario est une technique clé de la vision par ordinateur. Je l’ai adaptée aux spécificités de la peinture et couplée à un critère de consistance probabiliste" explique Gilles Simon dans un article de l'Université de Lorraine. Les résultats sont surprenants. Il n’y a aucune place pour le hasard, car ce qu’il découvre est commun aux cinq tableaux du peintre qu’il a analysés. "Quatre points centriques régulièrement distribués le long d’un axe incliné et un schéma en arête de poisson.

Un dispositif optique à 4 œilletons

Grâce à une reconstruction en 3D des tableaux, le scientifique peut décrire la façon de peindre de Jan Van Eyck. Il peut même savoir s’il était assis ou debout. "Il semble que le peintre ait également voulu tenir compte de la vision stéréoscopique humaine dans ses tableaux." Pour Gilles Simon, "ces résultats montrent que le peintre a inventé la perspective polyscopique naturelle avec un dispositif optique comportant quatre œilletons, pour représenter la scène depuis différents points de vue en introduisant le moins de distorsion possible de la perspective. Ces analyses prouvent ainsi que Jan Van Eyck avait créé une machine à perspective polyscopique révolutionnaire au moment même où les peintres italiens inventaient la perspective artificielle monoscopique. Et ce, 70 ans avant que Léonard de Vinci ne découvre une version simplifiée du procédé. Cette découverte réfute ainsi toutes les théories établies depuis 100 ans à propos du système perspectif de Jan Van Eyck et ouvre de nouvelles perspectives en Histoire de l’art."

"Dans le dessin de Léonard, le peintre, détoure les objets visibles à travers une vitre, le regard immobilisé derrière un œilleton. Plus élaboré, le dispositif de Jan comportait quatre œilletons répartis équitablement (à l’instar des points de fuite) le long d’un axe de visée incliné. Jan peignait son tableau bande après bande (œilleton après œilleton) de bas en haut ou de haut en bas. La vitre, probablement un miroir, pouvait elle-même être déplacée dans son plan, afin de raccorder au mieux, compte tenu de la parallaxe, le bord de la bande précédemment dessinée à la réalité perçue depuis l’œilleton suivant." écrit Gilles Simon dans "The conversation". Il ajoute : "cette étape cruciale permettait au peintre d’obtenir des transitions douces entre les bandes, difficilement décelables à l’œil nu. De surcroît, elle anticipait de plusieurs siècles le principe de la réalité augmentée".

Une signature pour authentifier les tableaux de Van Eyck

Les analyses de Gilles Simon permettent de déterminer ce qui pourrait être une sorte de signature abstraite du peintre. Il travaille maintenant  avec un historien sur d’autres tableaux de peintres flamands de cette période car il reste quelques énigmes à résoudre. 

 

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