Nancy : pourquoi l’Art Nouveau fait-il de plus en plus recette ?

Les 10, 11 et 12 juin 2022, la Ville de Nancy organise un week-end riche en découvertes autour de l'Art nouveau. Un style dont l'ancienne capitale du duché de Lorraine est devenue le berceau à la fin du 19e siècle. L'engouement ne faiblit pas. Explications du phénomène avec Maître Sylvie Teitgen, commissaire-priseur et spécialiste.

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La date du 10 juin est décrétée Journée mondiale de l’Art Nouveau depuis 2012. Elle se traduit par une grande journée de fête, non seulement à Nancy, mais à travers l’Europe pour honorer le génie des grands créateurs de l’Art Nouveau. La Ville de Nancy prolongera les festivités aux deux jours suivants.

Au regard du prix des objets au style typique de l’École de Nancy, un piano demi-queue Érard de 1903 de Louis Majorelle et Victor Prouvé a récemment été estimé entre 200.000 et 300.000 dollars chez Christie’s à New York, rencontre avec la commissaire-priseur, Sylvie Teitgen, spécialiste de l’École de Nancy, sur les raisons de cet engouement.

Que pensez-vous de l’estimation du prix du piano Majorelle/Prouvé vendu chez Christie’s à New York ce mardi ?

(Sylvie Teitgen) Ce n’est pas très cher. Il y en a eu très peu de réalisé, quatre ou cinq. Cela ne paraît pas très élevé, mais est-ce qu’ils auront la clientèle ? C’est-à-dire, ce sont quand même des choses qui sont très spéciales, qui sont presque des pièces de musée. Peut-être que seul un musée ou une fondation pourrait acheter. Moi, je pense que ça pourrait faire beaucoup plus : ça pourrait monter jusqu’à 500.000 ou 600.000 euros.

Pourquoi à votre avis la vente a-t-elle été retirée ?

Il y a peut-être un musée qui a fait une proposition. Aux Etats-Unis, c'est possible.

A partir du moment où ça devient très rare : c’est très cher

Maître Sylvie Teitgen, commissaire-priseur

Pourquoi l’Art Nouveau fait-il de plus en plus recette ?

C’est le cas depuis très longtemps. Finalement, depuis les années 90, le prix de l’Art Nouveau ne cesse de monter. Il y a deux catégories d’Art Nouveau : il y a l’Art Nouveau haut de gamme, qui a été fait pratiquement sur commande, comme ce piano par exemple dont nous parlions, comme des pièces exceptionnelles de Gallé, de Daum, qui ont été faites à très peu d’exemplaires et qui sont recherchées par le monde entier. C’est vrai que maintenant, les Américains, les Coréens aussi recherchent beaucoup ce genre de pièce et donc, celles-là, elles vont continuer à monter encore. Je pense que ça ne va pas s’arrêter. C’est exponentiel. Ça ne va pas s’arrêter parce qu’elles deviennent de plus en plus rare sur le marché. Et puis vous avez l’Art Nouveau qui a été fait pour tout le monde : c’était déjà la philosophie de cet Art Nouveau, c’est-à-dire que l’on créait des objets pas seulement pour les gens riches, mais pour tout le monde et ces objets-là sont plus courants sur le marché : les vases Gallé ou Daum industriels, par exemple. Sur le marché, il y a eu beaucoup de production parce que Gallé est mort en 1904, mais la production a eu lieu jusqu’en 1930 : vous voyez un petit peu le nombre de vases qui sont sortis, mais ils continuent à avoir une certaine valeur parce qu’ils représentent une partie de notre histoire, mais ils en ont un petit peu moins. Donc, le prix montera beaucoup et, comme dans tout finalement, comme dans toutes les parties de l’art, ce marché reste stable. Surtout, surtout, les prix montent pour les pièces importantes comme cette pièce que nous venons de rentrer : une pièce de Majorelle et Daum que nous passerons à la rentrée avec des tulipes en forme de magnolia. C’est exceptionnel ! Il y en a très peu sur le marché. C’est la première fois que je vois ça dans ma carrière. A partir du moment où ça devient très rare : c’est très cher. Cette pièce est estimée entre 150 et 200.000 euros, mais je pense que ce n’est pas une estimation très élevée.

Qu’est-ce qui fait que les gens aiment cette époque et ce style ?

Dans un premier temps, ce sont les Japonais qui ont vraiment apprécié cet art parce que l’Ecole de Nancy est influencée au départ par l’art japonais, par l’art de l’Extrême-Orient. Les Japonais ont reconnu cette influence et du coup, ça leur a beaucoup plu parce que c’était vraiment dans leurs gènes. Ils ont donc beaucoup acheté dans les années 80, 90 et depuis, il y a beaucoup de personnes qui collectionnent en France et en Europe. On va dire que la qualité de fabrication est exceptionnelle, mais il y a aussi le fait que la nature y est représentée principalement et que nous sommes dans une vague un peu écologiste : on revient à la nature. Finalement, c’est proche de ce qu’on recherche aujourd’hui, des choses simples : les plantes, la nature, des insectes… Voilà, c’est tout ça qu’on recherche actuellement. Il faut savoir aussi que la période Ecole de Nancy était très particulière. C’était une période d’expansion de la ville qui n’avait jamais été aussi riche : une époque exceptionnelle pour tout. Peut-être y a-t-il une nostalgie de  cette période riche, peut-être un peu plus insouciante ? Après, il y aura la guerre qui arrivera. Ce début du 20e siècle était un peu euphorique.

Qu’est-ce qui a succédé à l’Art Nouveau ?

Ensuite, on va avoir l’art déco, qui va être tout à fait le contraire de l’Art Nouveau. On va prendre la nature, mais on va la styliser complétement. On va s’y référer, mais de loin. Tout va devenir géométrique. L’art déco dans les années 50, 60 à Nancy, c’est Jean Prouvé qui est issu de l’Ecole de Nancy : son père faisait partie de l’alliance Ecole de Nancy. Jean Prouvé recherchera le modernisme, quelque chose de très épuré. On part de quelque chose de naturaliste vers quelque chose de beaucoup plus épuré, de beaucoup plus géométrique, de beaucoup plus fonctionnel et ça, ce sont les années 50, 60, 70, 80 : les années industrielles. Maintenant, on est en train de s’apercevoir que ces années-là ont été un peu euphoriques pour certains, mais pas pour tous et puis finalement, on revient à des vraies valeurs.

Diriez-vous que l’art déco a tenté de maitriser la nature ? 

Voilà, on a tenté de maitriser la nature, mais finalement on se rend compte que la nature est plus forte que nous et que si on veut la conserver : il faut la préserver.

La Ville de Nancy vous donne rendez-vous pour ses Journées de l'Art Nouveau, les 10, 11 et 12 juin 2022.

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