Un collectif de jeunes sans-papiers de Nancy a manifesté jeudi 4 août pour demander la régularisation de leur situation. A cause du non renouvellement de leur titre de séjour, ils ne peuvent plus travailler. Pourtant ils ont suivi des études en France et ont souvent commencé une activité professionnelle. Cinq jeunes hommes témoignent.
Ils s'appellent Ahmed, Alassane, Mohamed, Djamal et Tarek. Ces jeunes hommes sont majeurs, sans-papiers et habitent Nancy. Ils ont suivi des formations qualifiantes et commencé leur activité professionnelle dans la métropole. Mais leurs demandes de renouvellement de titre de séjour, effectuées auprès de la préfecture de Meurthe-et-Moselle, traînent depuis plusieurs mois ou n'aboutissent pas. Hors, sans titre de séjour, impossible pour eux de continuer à travailler en France. Jeudi 4 août 2022, avec une centaine de camarades dans des situations similaires, quelques militants associatifs et des soutiens, ils ont manifesté pour leurs droits de la place de la République à la place Stanislas à Nancy.
"Les boîtes d’intérim n’arrêtent pas de me contacter. J’ai beaucoup d’offres de travail. Mais je leur dis 'non, je ne peux pas travailler pour vous' parce que je n’ai pas de titre de séjour", se désole Ahmed. Ce jeune homme de 22 ans, originaire d'Egypte, est arrivé à Nancy en 2016. Il a appris le français, suivi un CAP électricien en alternance et obtenu son bac professionnel en juillet 2022.
Une situation "incompréhensible"
Ahmed a eu trois titres de séjour ces quatre dernières années. Son dernier a expiré en novembre 2021. Il a donc demandé un renouvellement mais son dossier est "bloqué depuis 7 mois", se désespère-t-il. "On m’a donné l’opportunité de faire des études. Et maintenant que je veux travailler, je ne peux pas. C’est incompréhensible", souligne le jeune homme.
"La préfecture reconnaît la validité des documents d'identité, puis au moment du renouvellement, dit qu'il y a un problème. C'est aberrant !", estime l'avocate Brigitte Jeannot, spécialisée dans la défense et le droit des étrangers. Elle dénonce "un durcissement", depuis 2020, de la politique de délivrance des titres de séjour aux mineurs étrangers isolés devenus majeurs. D'autant plus que "la situation n'est pas identique dans toutes les préfectures. En Meurthe-et-Moselle, c'est particulièrement dur. Le droit n'a pourtant pas changé", observe l'avocate.
En janvier 2022, Julien Le Goff, secrétaire général de la préfecture démentait l’existence d’une telle politique : " depuis le 1er novembre 2021, vingt-neuf dossiers ont été instruits. Douze ont été régularisés (soit 40 %), huit n’ont pas fait l’objet d’une délivrance de titres de séjour, ni d’un arrêté d’expulsion et neuf ont fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF )".
Vérification de l'authenticité des documents
Djamal, le colocataire d'Ahmed, a 21 ans. Lui aussi est électricien. Ce jeune Tchadien vient tout juste d'avoir son bac. Après deux ans de titre de séjour, il a effectué une demande de renouvellement en novembre dernier. Il a obtenu un récépissé, c'est-à-dire un document provisoire de séjour qui lui permet de séjourner régulièrement en France durant l'examen de son dossier. "Là, je peux travailler, mais seulement jusqu’au 21 octobre", précise Djamal.
"La préfecture m’a demandé l’original de mon passeport pour l'envoyer à l'ambassade du Tchad [afin de vérifier l'authenticité] du document. Mais on ne sait pas si c’est vrai. L’ambassade me dit qu'ils n'ont pas mon passeport. La préfecture m'a dit que ça prendrait deux semaines si je le donnais. Ça fait six mois…", relate-t-il.
"La préfecture annonce avoir envoyé le passeport à telle ambassade, mais quand on interroge les ambassades, à chaque fois, elles nous disent qu'elles n'ont rien reçu. C'est une pratique déloyale de la préfecture", s'insurge Me Brigitte Jeannot. Selon l'avocate, "la préfecture évoque le caractère irrégulier ou inauthentique des papiers de ces jeunes mais sur des motifs la plupart du temps fantaisistes. C'est un énorme problème !"
Selon Julien Le Goff, "chaque situation est examinée au regard du droit au cas par cas et en fonction du degré d'intégration des demandeurs. En tout état de cause, la préfecture refusera de délivrer un titre de séjour à des personnes qui auraient présenté des faux papiers".
"Je suis chef d'entreprise mais sans-papiers"
Tarek, de son côté, peut travailler en tant qu'auto-entrepreneur. En 2021, ce jeune Libyen a créé sa société de nettoyage de véhicules alors qu'il bénéficiait encore d'un titre de séjour. Sa récente demande de renouvellement a cependant été "classée sans suite". "Je suis chef d’entreprise mais sans-papiers", résume-t-il, conscient de l'ironie de la situation.
"J’attends qu’ils me donnent mon titre de séjour. Mais ils me demandent mon passeport, que je n'ai pas. Et l’ambassade libyenne à Paris me renvoie au consulat libyen de Marseille, qui ne veut rien me donner", explique celui qui est arrivé en France en 2015, où il a suivi une filière générale avant de s'inscrire en fac de sport.
Mohamed, jeune guinéen de 21 ans, a obtenu un CAP réparation des carrosseries et a commencé à travailler avant de devoir tout arrêter. "J'ai signé un contrat de travail de six mois. Mon patron l’a renouvelé mais je n'ai pas pu le terminer parce que j’ai reçu un courrier d'OQTF", relate Mohamed.
L'OQTF (obligation de quitter le territoire français) est une décision prise par le préfet, notamment en cas de refus de titre de séjour ou de séjour irrégulier). Défendu par son avocate et son patron, Mohamed a déposé deux recours. "En juin l’OQTF a été annulée. Et j’ai fait une nouvelle demande de titre de séjour mais je n'ai toujours pas le droit de travailler", ajoute le jeune homme. "Ma vie est ici, pas ailleurs", insiste Mohamed.
"J'étais bouleversé"
Alassane, 19 ans, est aussi originaire de Guinée. Arrivé en France en 2019, il a, comme tous, appris le français. Et il a entamé un CAP dans le BTP. En 2020, il a signé un contrat d'apprentissage, bloqué par le covid. Lui aussi a vu sa demande de titre de séjour refusée. "J'étais bouleversé quand je l'ai appris", confie-t-il. "Cette année, je dois passer mon diplôme. Mon avocat m’a dit de continuer de suivre ma formation. On ne peut pas continuer de me donner le contrat jeune majeur si je ne fais pas d’études ou si je ne travaille pas."
Ces cinq jeunes, et des dizaines d'autres, sont dans la même situation : dans l'impossibilité de travailler après leurs études car non détenteurs d'un titre de séjour. "C'est une technique pour les décourager alors que ce sont des jeunes qui ont fait plein d'efforts. A leurs 18 ans, ils sont face à un mur. C'est particulièrement injuste et choquant", dénonce Brigitte Jeannot.
"On se soutient les uns les autres, on se mobilise. Tout ce qu'on demande aujourd'hui c'est d'avoir des droits dans un pays de droits", résume Alassane. "On cherche à s’intégrer, à faire quelque chose. On est tous là pour travailler. Notre objectif est d’avoir un titre de séjour", appuie Ahmed.