Ce 10 mai 2021 est la journée nationale des mémoires de la traite et de l'esclavage et de leurs abolitions. L’histoire a surtout retenu Victor Schœlcher mais le combat a débuté 50 ans avant avec l’abbé Grégoire, curé d’Emberménil en Meurthe-et-Moselle, devenu révolutionnaire.
"C’est plus que jamais important de se souvenir de lui", explique François Bier, le fondateur et conservateur du petit musée consacré à l’abbé Grégoire dans son village d’Emberménil près de Lunéville (Meurthe-et-Moselle). "Son combat, c’est pour une humanité. Une seule et véritable".
Dans une période où les batailles pour l’égalité sont à la une et après des semaines de débats sur l’héritage de Napoléon, retour sur la vie et l’œuvre de l’abbé Grégoire, ce curé lorrain fort en gueule, intellectuel et révolutionnaire.
"Il était trop religieux pour les républicain et trop républicain pour les religieux"
"Je commence toujours mes visites en disant : il est inhumé au Panthéon. Il y a moins de cent personnalités qui y sont. Il faut s’interroger sur son importance", raconte Martine Diebold, une des guides bénévoles du musée.
Alors pourquoi l’Histoire de France a surtout retenu l’alsacien Victor Schoelcher, le rédacteur du décret de 1848 qui abolit définitivement l’esclavage en France ? "L’abbé Grégoire avait totalement labouré le terrain avant lui", précise François Bier.
Martine Diebold a son explication : "Il était trop religieux pour les républicain et trop républicain pour les religieux".
Un prêtre au temps des Lumières
L’abbé Henri Grégoire est ordonné prêtre de la paroisse d'Emberménil le 1er avril 1775. Mais il est aussi un intellectuel. Il lit, écrit de la poésie, parle plusieurs langues, est membre de sociétés philanthropiques. Un curé de campagne érudit au caractère bien trempé.
Outre les 340 âmes de son petit village lorrain, il s’intéresse aussi au sort du monde. Ses engagements l’amènent à être élu député du clergé aux États généraux de 1789. Il part pour Versailles. Il sera parmi les premiers prêtres à prêter serment à la Constitution civile du clergé.
À l'Assemblée constituante, l'abbé Grégoire réclame l'abolition totale des privilèges. Ami de Lafayette, il va être un des principaux leaders du courant abolitionniste qui aboutira au décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794) qui abolit l'esclavage. Les esclaves affranchis deviennent des citoyens français.
François Bier explique : "il s’intéressait à énormément de choses, dès avant la Révolution. Quand il monte à Paris, il rencontre des intellectuels avec qui il va former une sorte de club progressiste. Il écrit par exemple : l’homme est plus mal traité qu’un animal. Il doit être rétabli dans sa condition d’être humain".
En habits sous la Terreur
Après avoir prêté serment à la Constitution civile du clergé, l’abbé Grégoire devient évêque constitutionnel. Convaincu par les idées révolutionnaires, il restera malgré tout toujours fidèle au clergé. Élu Président de la Convention, il la présida en tenue épiscopale.
Il refusera toujours de quitter ses habits ecclésiastiques, même au pire de la Terreur quand on le menace de lui couper la tête. Martine Diebold raconte qu’il répond alors : "vous me dites que j’ai déjà monté les deux premières marches de l’échafaud, je peux bien monter la troisième".
Grégoire et Napoléon
Sous Napoléon en 1802, le décret d'abolition de l’esclavage est abrogé. Le commerce des esclaves et les richesses des colonies représentent des intérêts financiers énormes. "C’était comme abattre une montagne", explique Martine Diebold. Notre abbé est alors sénateur. Il continue son combat. "Napoléon l’appelait tête de fer ", ajoute-t-elle.
François Bier détaille : "L’abbé Grégoire reconnaissait en Napoléon un grand homme mais il ne l’avait vraiment pas en odeur de sainteté. Au sujet des guerres napoléoniennes, il a écrit : ce sont 12 millions d’hommes qui, du fond de leur tombeau, crient vengeance."
Comme Napoléon, Grégoire a été à l’origine de nombreux changements dans nos institutions. Il a été le fondateur du Conservatoire national des arts et métiers, du Bureau des longitudes et de l'Institut de France. Il a vécu jusqu’à 81 ans.
Le Musée abbé Grégoire d’Emberménil prépare activement sa réouverture. Il accueillera à nouveau le public tous les dimanches après-midi et jours fériés à partir du 23 mai. La vie de l’abbé Grégoire y est racontée à travers douze vitraux de l’artiste Henri-Charles Gerardin, un peu comme au Moyen-âge où l’on racontait la vie des saints en images.
Le musée fait également partie de la Route des abolitions qui réunit des sites de mémoire dans l’Est de la France.