Avec plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde, l’application TikTok est un des plus gros succès dans la catégorie réseaux sociaux sur internet. Pourquoi intéresse-t-elle tant les politiques en France ? Nous avons posé la question à Samuel Nowakowski, maître de conférences à l'université de Lorraine et chercheur au LORIA.
Chaque jour, 9,5 millions d'internautes français passent par TikTok. 14,9 millions d’utilisateurs actifs mensuels en France. 72,2 % des utilisateurs ont moins de 24 ans. Parmi eux, 39 % ont entre 18 ans et 24 ans.
TikTok, the place to be, certains jeunes passent leur temps sur la plateforme chinoise, captés par de courtes vidéos percutantes. L’application est devenue l’objet de toutes les attentions depuis quelques jours.
Le succès de Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national avec 1,6 million d'abonnés, a donné le tournis et l’envie à beaucoup d’autres. Pourquoi TikTok intéresse-t-il tant les politiques ? Nous avons posé la question à Samuel Nowakowski, maître de conférences à l'université de Lorraine et chercheur au LORIA (Laboratoire lorrain d'informatique et ses applications).
Pour lui, aucun doute, TikTok est l’endroit où les politiques vont trouver une cible qu’ils ont du mal à toucher, les jeunes adultes. Et en particulier ceux qui ne se déplacent pas pour aller voter. "Si on veut toucher cette population, c’est un endroit où il est important d’être." Pour autant, ajoute le chercheur, il est difficile d’en tirer des conclusions. Il n’y a pas d’études qui montrent un impact sur le lien entre TikTok et le vote de ces jeunes."
Jordan Bardella y cultive son image depuis longtemps auprès des adultes comme auprès des adolescents. Il en maîtrise parfaitement les codes."On est dans un monde dans lequel la logique du nombre de vues fait autorité." C’est la notoriété et l’image que vise une telle stratégie.
L’algorithme de TikTok en question
L’algorithme TikTok est une "formule propriétaire", qui personnalise ses recommandations. Aucun utilisateur ne verra la même combinaison de vidéos. Pour déterminer les vidéos qu’il vous propose, l’algorithme analyse des milliers de signaux, tels que les likes, les commentaires, les abonnements et la durée passée sur une vidéo, son type. "L'algorithme analyse les traces de tous vos usages. S’il trouve un intérêt commun avec un autre utilisateur ou un groupe d’utilisateurs, il en déduit ce qui peut vous faire rester en ligne. Son seul objectif est de vous garder captif le plus longtemps possible. C’est un calcul de probabilités."
Un calcul de probabilités en temps réel et à grande échelle. On peut se voir proposer des contenus postés sur des comptes auxquels on ne s’est pas abonné. "Tout cela s’appuie sur des techniques d’apprentissage machine qui relèvent de l’intelligence artificielle. Par exemple si vous aimez de la musique, en particulier le groupe Metallica. L’algorithme va observer chez les autres personnes passionnées de Metallica ce qui les intéresse et vous le proposer. L’objectif est toujours le même : vous garder connecté."
New York Passes Law to Protect Kids from Addictive Social Media Algorithms
— OfficeGiggleBox (@xlhacoo) June 21, 2024
"New law in NY to keep kids from falling down the TikTok rabbit hole. 🐰📱 Now if only they could do something about my Netflix addiction... #SocialMedia #ParentingWin" pic.twitter.com/j7LBJfRS3w
L’algorithme surveille, aussi, les tendances populaires et peut recommander des vidéos liées à des défis viraux ou à des sujets d’actualité. En cela, TikTok va plus loin que d’autres réseaux sociaux.
TikTok peut-il influencer la campagne électorale en cours ?
Samuel Nowakowski n’est pas convaincu que TikTok à lui seul change la donne. "Les réseaux sociaux peuvent influencer, mais ne sont pas forcément déterminants. Il a été montré que ce n’est pas suffisant dans des études menées par Dominique Cardon, sociologue, directeur du Médialab de Sciences Po et d’autres sur les élections américaines. Quand on ramène aux chiffres, le contenu qui a été partagé, c’est minimal." Pour lui, ce qui est déterminant, c'est l’état de la société. "C'est la façon dont les individus contribuent ou pas au monde démocratique. Pourquoi ils sont inquiets. Pourquoi ils n’acceptent pas les règles et vont se tourner vers des gens qui fonctionnent uniquement à la notoriété plutôt que sur le fond. Le réseau social sert de porte-voix dans ce cas. Il n’en est pas nécessairement la cause."
Les écrans plus que les réseaux
Le constat mené par plusieurs études dont celle de l’IFOP en 2023 semble montrer que certains jeunes sont plus vulnérables à la mésinformation et aux thèses complotistes : "seul un jeune sur trois (33 %) estime aujourd’hui que "la science apporte à l’homme plus de bien que de mal", alors qu’ils étaient plus d’un sur deux à le penser il y a cinquante ans (55 % en 1972). D’autres études ont montré que les jeunes peuvent passer la journée sur les réseaux sociaux. "Leur programme leur propose des produits consommables facilement."
Pour autant, pour l’universitaire, l’essentiel n’est pas forcément là : "On a tendance à focaliser sur l’impact des réseaux sociaux. Les médias ont bien plus d’influence. Cyril Hanouna est beaucoup plus grave et plus destructeur que ce qu’ils vont trouver sur TikTok."
Les études ont été menées par l’observatoire des politiques culturelles montre que si les jeunes ne sont pas devant la télévision, mais devant des écrans d’ordinateurs ou de smartphone. "59 % des 15-24 ans regardent quotidiennement des vidéos sur Internet, en dehors de la télévision", indique une enquête publiée en mars 2024.
Pour Samuel Nowakowski, "Dans le paysage actuel, les jeunes ont un usage quotidien de ces outils. Ils ne sont pas si peu armés qu’on ne le pense. Une de mes collègues de l’université de Lorraine a travaillé sur le sujet. Ils sont bien plus critiques qu’on ne l’imagine. La cible la plus fragile la génération précédente."
Campagne numérique ?
Alors que la campagne pour les législatives, après la dissolution de l’Assemblée nationale, par le président Emmanuel Macron, bat son plein, avec chaque jour son lot de surprises, pourrait-on dire qu’une autre campagne a fait son apparition, une campagne numérique ? Samuel Nowakowski estime que : "La campagne numérique n’est qu’une dimension de la campagne classique. Elle a ses codes." Et toutes les parties prenantes ou presque tentent de s’y glisser. Le scientifique précise que "l’extrême droite a depuis longtemps une vraie stratégie d’occupation de cet espace". Le travail d’une de ses étudiantes a mis en évidence de fortes connexions entre des événements de rue et leur pendant numérique chez l’extrême droite allemande. Cette dernière aussi a investi depuis très longtemps ce terrain.
En France, la gauche a une autre logique d’utilisation du numérique. "On le voit en ce moment, il est proposé par la gauche de participer à la création d’affiche. Il y a plus une offre participative."
Dans un article, dans The Conversation du 20 juin 2024, Tristan Boursier, Docteur en Science politique à Sciences Po, explique : "Jordan Bardella a adopté la plupart des codes de ces influenceurs. Contrairement à Manon Aubry (LFI), qui se concentrait sur son programme et ses idées, Bardella s’est mis en scène dans des activités quotidiennes anodines (boire une bière, manger des bonbons, etc.). Cela lui a permis de créer un lien parasocial avec les électeurs. Ses contenus sont également fréquemment repris par des chaînes sympathisantes, amplifiant leur viralité.
Ce type de contenu séduit particulièrement les 18-24 ans, ce qui s’est traduit en termes de vote : aux Européennes, le RN a recueilli le plus de voix de moins de 25 ans. (…) La focalisation autour de la présence de Jordan Bardella sur TikTok n’est que la face émergée des dynamiques de politisations qui s’opèrent en ligne."
TikTok a dépassé le milliard d’utilisateurs dans le monde en seulement 5 ans.