Le Conseil constitutionnel examinait ce mardi 17 octobre 2023 une question prioritaire de constitutionnalité déposée par les opposants à Cigéo, le futur site d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure. Les avocats se sont affrontés sur la question de pouvoir agir au nom des générations futures.
Le Conseil constitutionnel examinait ce mardi 17 octobre 2023 une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par les organisations, associations et des riverains opposés au projet d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure (Meuse). Cette saisine du Conseil constitutionnel intervient dans la foulée du recours déposé en septembre 2022 pour contester la déclaration d'utilité publique (DUP) du projet de centre de stockage radioactif en couche profonde (Cigéo).
La séance présidée par Laurent Fabius est inédite, car au-delà des questions techniques et de faisabilité du projet d'enfouissement des déchets radioactifs les plus dangereux pour une durée de100 000 ans, les requérants posent la question du droit des générations futures à vivre dans un environnement sain. C'est la base de la plaidoirie de Maitre Stéphane-Laurent Texier : "sur quel fondement asseoir la protection constitutionnelle des générations futures ? Il y a d'abord le principe de fraternité, principe puissant qui ne connaît ni frontière ni temporalité. Il gouverne naturellement les peuples et les générations. Car ne pas polluer, respecter la biosphère et laisser un environnement viable aux générations futures est un devoir de fraternité".
Maître Texier s'est employé à démontrer que l'enfouissement des déchets radioactifs les plus dangereux à moins 500 mètres sous terre est déjà en soi une atteinte grave à l'environnement. En particulier à la ressource en eau aujourd'hui raréfiée et susceptible d'être exposée à une pollution par les radionucléides.
Un droit pour les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Stéphane-Laurent Texier, avocat des opposants à Cigéo.
La question de la réversibilité du stockage, c'est-à-dire la possibilité de récupérer les colis radioactifs en cas d'accident ou de la mise en œuvre d'une technologie future de neutralisation de la radioactivité, est mise en doute par l'avocat : "le principe de réversibilité n'apporte pas de garantie suffisante pour assurer la protection les générations futures. La réversibilité n'est prévue que pour une centaine d'années alors que la dispersion des radionucléides persiste pendant une centaine de milliers d'années. Pire encore, une fois que le site sera définitivement fermé, plus aucune récupération ne sera permise, plus aucune réversibilité ne sera possible pour les générations futures".
Et de conclure : "il vous appartient aujourd'hui de parachever cette construction [du droit des générations futures. N.D.L.R] en posant, via une réserve d'interprétation, un droit pour les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Il vous appartient aujourd'hui de parachever cette construction jurisprudentielle".
Maître Jean-Nicolas Clément défend les intérêts de l'Andra, l'agence responsable de la mise en œuvre de Cigéo. L'avocat a dans un premier temps contesté la réalité juridique de la notion de "générations futures" : "si la référence aux générations futures est une idée altruiste, une idée généreuse, une idée humaine, qui ne souhaite le bonheur de ses enfants ? petits-enfants ? Voire même, un bonheur meilleur que le nôtre ? Cela reste une idée qui n'est pas juridiquement opérante, notamment au plan du contentieux."
Si la Meuse devait revenir à un monde de chaos, je préférerais que les déchets radioactifs ne soient pas facilement accessibles.
Maître Jean-Nicolas Clément, avocat de l'Andra.
Pour enfoncer le clou juridique, l'avocat entend démontrer que la QPC déposée par les requérants est de ce fait sans objet, car les générations futures ne peuvent être une simple projection des générations actuelles. Elles n'existent pas et personne aujourd'hui n'est fondé à agir juridiquement pour elles : "il existe une différence fondamentale entre nous et les générations futures, c'est celle de l'existence. Nous sommes vivants ici et maintenant. Les générations futures sont des éléments qui, peut-être, certes, seront, mais qui au jour de l'action, n'existent pas." En clair, les requérants qui agissent en justice aujourd'hui ne sont pas légitimes pour se substituer à des humains qui n'existent pas encore.
Enfin, concernant la question de la réversibilité du stockage, Maître Clément met en avant l'idée qu'au terme d'un consensus scientifique européen, l'enfouissement géologique en couche profonde des déchets radioactifs reste la solution optimale. La fermeture définitive du site à l'issue de son exploitation dans 100 ans est une garantie de sécurité dans un futur dont on ignore ce qu'il sera : "si la Meuse devait revenir à un monde de chaos, je préférerais que les déchets radioactifs ne soient pas facilement accessibles, plutôt que d'être laissés à la portée du premier venu".
Le Conseil constitutionnel rendra sa décision le 27 octobre.
Pour rappel : Cigéo, mis en œuvre par l'Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), est le projet de centre de stockage souterrain des déchets les plus dangereux : déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) produits par l'industrie nucléaire. Les premiers représentent un volume de 70 000 m³ et les seconds un volume de 30 000 m³. Si le projet est autorisé, le calendrier prévoit une mise en service en 2035-2040 et la fin de l'exploitation en 2150.