Une centaine d'agriculteurs s'est mobilisée ce jeudi en Haute-Marne pour la juste rémunération de leur travail. Parmi eux, Jean-Michel Micault, 58 ans, s'inquiète des prix du lait toujours insuffisants pour la profession et du pouvoir des grandes surfaces dans la fixation de ces prix.
Ils sont une trentaine à s'être retrouvés sur le parking de la zone commerciale du Moulin Neuf de Chaumont, juste devant l'entrée du supermarché Leclerc. Comme à Saint-Dizier et à Langres ce jeudi 18 février, ces éleveurs et producteurs de lait ont décidé d'aller à la rencontre des consommateurs pour les alerter sur leur situation avec comme mot d'ordre : prix serrés, producteurs étranglés, emplois supprimés.
Jean-Michel Micault est venu au volant de son tracteur. Il a mis une demi-heure pour parcourir les dix kilomètres qui séparent son exploitation d'Euffigneix de la grande surface chaumontaise. Un voyage qui en vaut la peine.
"De notre côté, on a fait plein d'efforts, pour le bien-être animal par exemple, et de l'autre côté, on n'a rien en compensation. Le prix du lait n'a pas bougé depuis cinq ans. Le consommateur est roi dans les grandes surfaces. On fait tout pour qu'il paye le moins cher possible."
Si ça continue comme ça, plus personne ne produira du lait ici. On ira chercher du lait en Pologne ou ailleurs, moins cher. Je pense que ça va finir comme ça
Des prix au même niveau qu'il y a trois ans
L'agriculteur de 58 ans a repris l'exploitation familiale en 1982. Il élève ici 55 vaches montbéliardes pour le lait et la viande et cultive également des céréales. Comme son grand-père et son père avant lui, Jean-Michel Micault a vécu avec passion son métier d'agriculteur, mais les temps ont bien changé.
"Il y a quelques années encore, on vivait mieux parce qu'on était moins stressé. Je me souviens de mon père, mon grand-père, ils étaient tranquilles. Ils brassaient certainement moins d'argent, mais ils vivaient mieux. Aujourd'hui, il y a du stress partout. Pour la météo, pour les prix, pour les emprunts... On a moins envie de travailler dans ces conditions-là. Il y a du découragement, c'est sûr."
En 2020, la laiterie qui collecte le lait de Jean-Michel Micault a payé en moyenne 323,05 euros les mille litres. C'est un euro de plus en trois ans. Dans le même temps, le prix des aliments lui n'a pas baissé et les sécheresses successives de ces dernières années ont contraint les éleveurs à acheter plus. En raison de la météo, le maïs ensilage qui nourrit habituellement les vaches n'a pas été de bonne qualité, la production de lait a donc baissé.
Un cercle vicieux que la loi Egalim, votée en 2018, avait pour ambition de contenir. L'idée était de remettre le coût de revient de la production agricole au centre des négociations commerciales entre agriculteurs, transformateurs et grandes surfaces. Pour Jean-Michel Micault, le compte n'y est pas.
"Normalement, cette loi-là, devait permettre à l'agriculteur de faire son prix, en fonction de ses coûts de production, mais ce n'est toujours pas le cas. On devrait dire : ça nous coûte tant, on vous le vend tant. Mais là, c'est pas ça. La laiterie nous dit : on vous le paye tant, et voilà. Et vous n'avez plus qu'à la fermer."
Alors que de nouvelles négociations commerciales sont en cours, les syndicats agricoles ont décidé d'organiser cette semaine partout en France des opérations coup de poing auprès du grand public. Au total dans le département, une centaine d'éleveurs et producteurs laitiers ont répondu à l'appel de la FDSEA, des Jeunes Agriculteurs et de la Fédération départementale des producteurs laitiers pour défendre leur métier et leurs revenus.
Tractage devant les grandes surfaces, affichages de slogans dans les rayons lait et boucherie... Pour Caroline Guillaume, directrice de la Fédération des producteurs laitiers de Haute-Marne, il est impératif de remettre en cause "la toute-puissance des GMS", les Grandes et Moyennes Surfaces.
"La loi Egalim a produit des effets la première année. En 2019, les prix ont augmenté mais ils sont repartis à la baisse dès 2020. Le Covid n'a pas aidé. Les grandes surfaces ont pourtant plus vendu mais maintenant, ils ne veulent aucune augmentation de prix, ils envisagent même des baisses. Ils se cachent derrière la défense du pouvoir d'achat des Français, mais c'est plus leurs marges à eux qu'ils veulent défendre."
Un avenir toujours incertain
Face à ces difficultés, Jean-Michel Micault ne sait pas comment envisager l'avenir. Son fils aurait envie de reprendre l'exploitation familiale, mais l'agriculteur ne sait pas quoi en penser.
"Je n'ai même pas envie qu'il y aille. Ça me fait un peu peur de le voir trimer comme on doit le faire nous. On est dans une vieille installation qui date de 1993. Pour que mon fils reprenne, il faudrait faire de gros investissements, il faudrait se moderniser à fond et ça coûte une fortune. Quand je vois certains jeunes investir 1,5 ou 2 millions d'euros pour des installations neuves... Avec le prix du lait tel qu'il est, je ne sais pas où ils vont."
Un dilemme que se pose une grande partie de la profession depuis de longues années.