Dans les vallées usinières de la Fensch et de l’Orne résonne un drôle de groove, qui sent le soufre et la rouille : celui de plusieurs musiciens qui puisent leur inspiration autant au milieu des ruines industrielles environnantes que dans les marais du Mississipi.

Bernard Lavilliers avait comparé la vallée de la Fensch au Colorado, évoquant la violence des rapports sociaux des années 70 dans ce bastion historique de la sidérurgie française qui entamait son long déclin. Le Stéphanois se trompait de climat, à peine. Une poignée de musiciens voient aujourd’hui leur berceau comme le pendant lorrain des bayous de la Louisiane, à renfort de guitares bricolées et de country punk poisseuse.

Dans les années 50, on parlait de la Lorraine comme du Texas français 

Olivier Pupilli, alias one shot hank

La météo est raccord. 34 degrés à l’ombre, l’orage guette. Pour capter une empreinte sonore de son projet, Olivier Pupilli, alias one shot hank nous emmène dans la forêt de Moyeuvre. A deux pas du centre-ville de l’ancienne cité sidérurgique et minière, on s’enfonce sur un petit chemin à flanc de colline. Dix minutes pour arriver au pied d’un immense convoyeur de minerai de fer encore debout, mangé par la rouille et la végétation. "Il servait à alimenter les hauts fourneaux voisins" explique le costaud quadra.

La mine Orne a cessé son exploitation à la fin des années 60. Elle reste dans la tête d’Olivier, fils de sidérurgiste, petit-fils de mineur de fer. Casquette de base-ball vissée sur la tête, il avoue "être tombé dans la culture américaine à l’adolescence, avec le basket, la NBA… et puis la première guitare à 17 ans pour reprendre des titres de Nirvana".

Educateur spécialisé auprès d’adultes handicapés dans le civil, il voue son temps libre à la musique… et à l’exploration des anciennes mines de fer. Il connaît chaque entrée de galerie, et remarque même celle qui se cache aujourd’hui juste derrière une maison au bord de la route.

Ainé

Après avoir écumé les groupes de la vallée de l’Orne, en tant que guitariste de The Kieffs notamment, il s’est lancé il y a quelques années avec un projet solo, un one-man-band. En français : un homme orchestre qui se cache sous le nom de one shot hank.

Dans les doigts une guitare cigar box qu'il a lui-même fabriquée, grosse caisse au pied droit, caisse claire sur le gauche, micro qui le masque. Au pied du convoyeur, armé de son ampli à piles, il envoie un boogie punk abrasif, au groove implacable.

"Je suis aussi fan de surf music, j’ai eu un label, on a sorti beaucoup de vinyles" se régale Olivier. A presque 45 ans, il tient le rôle de l’ainé à côté des deux frères du groupe Détruits Bâtards : "ils sont super motivés, à travers eux je retrouve de l’énergie, la même que j’avais à leur âge". Même dans le décor fracassé de la vallée de la Fensch, les frangins détonnent à dix kilomètres.

Baptiste, le guitariste, porte santiags et short en jean. Tatoué de la tête aux pieds de motifs "inspirés des vieilles bousilles françaises, le style des taulards des années 20".

Rock boueux

Sa veste sans manche est cousue d’un patch "amps speak better than words (les amplis parlent mieux que les mots)", slogan du groupe sludge américain Eye Hate God. Le sludge, un des nombreux mots pour traduire le mot « boue » en anglais, est un dérivé du métal, lent, lourd, qui fait la part belle aux larsens et aux riffs poisseux. A mille miles des groupes policés et propres sur eux.

Musique du désespoir ? Difficile de le croire à l’épreuve de l’activisme des frangins adeptes du DIY (do it yourself : fais le toi-même). Ils se produisent et s’enregistrent eux-mêmes, impriment leurs t-shirts, conçoivent leur graphismes, et ont même lancé leur atelier de couture à base de recyclage. Ils ne refusent jamais une occasion de jouer. Raph, en bottes malgré la canicule, assume le port de la moustache. Ses bras sont encrés dans la même veine. Il joue de la batterie dans un autre groupe, Noir Mécanique, du drunk n’roll, rock bourré ?

On a eu une maison à Marspich pendant un temps avec mon frère, donc on s’est installé dans la vallée de la Fensch, mais en fait on vient de Metzeresche, où je suis retourné vivre il y a quelques temps. C’est depuis là que je cultive mon personnage de glorieux bouseux

Baptiste, alias 666mokey

Glorieux bouseux 

C’est le nom de leur label qui privilégie les cassettes, et les splits (un groupe sur chaque face). En solo, Baptiste est 666mokey. Dans la même configuration qu’Olivier, son one man band débite un country punk énervé, ironique et drôle. 666mokey ? La fumée et le chiffre du diable, deux éléments incontournables des musiques du bayou. La Louisiane compte autant de groupes que de chansons à la gloire de la weed. Sur l’ancien site de la Société Métallurgique de Knutange, où il prend la pose pour nous, les herbes folles ont remplacé l’acier.

La dernière cassette de 666mokey est justement avec… one shot hank. "Comme on a le même équipement ou presque, on propose aux organisateurs de nous faire jouer ensemble" précise Olivier. Ce week-end, celui de la fête de la musique, ils joueront dimanche dans la Meuse, "un super lieu, dans un ancien moulin. Je suis allé filer un coup de main hier, on a fauché des orties d’un mètre cinquante à l’italienne" rigole le natif de Rombas.

Baptiste/666smokey s'est produit à Maron à côté de Nancy samedi 19 juin 2021.

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