Réalisé par la cinéaste et militante Carol Sibony, le documentaire "S'ils touchent à l'un d'entre nous" relate la lutte des ouvriers de la boulangerie industrielle Neuhauser, en Moselle, pour imposer la réintégration de leur représentant syndical, face au groupe Invivo. Une projection suivie d’un débat, en présence de Christian Porta et d’ouvriers l'usine, est prévue ce jeudi 14 novembre 2024 à Metz.
Des projections du documentaire "S'ils touchent à l'un d'entre nous" s’organisent dans plusieurs villes de France. Réalisé par la cinéaste et militante à Révolution permanente, Carol Sibony, le film retrace le combat des ouvriers de la boulangerie industrielle Neuhauser, en Moselle, pour imposer la réintégration de leur représentant syndical, face au géant agricole Invivo. Une séance suivie d’un débat, en présence de Christian Porta et d’ouvriers de Neuhauser, est organisée jeudi 14 novembre 2024 à Metz, dès 19 heures, dans le foyer pour jeunes travailleurs Étap'Habitat.
Un regard sur le monde ouvrier
Le bouche-à-oreille prend de l’ampleur. Le film, sans distributeur pour le moment, est diffusé dans plusieurs cinémas, locaux syndicaux et universités de France. Fin avril 2024, Christian Porta, salarié de l’usine Neuhauser à Folschviller et figure médiatique du syndicalisme en Moselle, est licencié par sa direction pour "harcèlement moral" contre sa direction et plusieurs employés. Plusieurs de ses collègues entament alors une grève reconductible pour le soutenir et protester contre son licenciement, notamment en paralysant la production par le biais d'opérations "usine morte". Malgré plusieurs procédures judiciaires invalidant le licenciement du délégué cégétiste, l’entreprise refuse de le réintégrer. Le bras de fer va durer plusieurs mois.
De telles victoires sont rares, c’est une bataille exemplaire dans le monde ouvrier
Carol Sibony, réalisatrice de "S'ils touchent à l'un d'entre nous"
À travers le documentaire "S'ils touchent à l'un d'entre nous", la réalisatrice et militante à Révolution permanente Carol Sibony propose un regard sur le monde ouvrier actuel, dans un secteur confronté à la désindustrialisation. "Nous avons lancé ce processus de tournage collectivement, au moment de la première mise à pied de Christian Porta. Nous voulions montrer sa lutte, sans savoir qu’on en ferait un long-métrage. Très vite, nous avons compris que cette bataille était en train de prendre une ampleur particulière. Nous avons continué de filmer, jusqu’en août 2024, quand le conseil les prud’hommes et le tribunal judiciaire ont condamné InVivo à réintégrer Christian Porta et à lui verser plus d’un demi-million d’euros d'astreintes. De telles victoires sont rares, c’est une bataille exemplaire dans le monde ouvrier. Mais la lutte continue", insiste la cinéaste.
Notre lutte a dépassé le cadre de Neuhauser, des centaines d’ouvriers, partout en France, se reconnaissent dans notre combat
Christian Porta, délégué CGT et salarié chez Neuhauser
Après plusieurs mois de grève et à l’issue d’un long feuilleton judiciaire (encore en cours car InVivo a fait appel), le représentant syndical CGT Christian Porta, a pu reprendre le travail. "Début septembre, j’ai repris mon poste mais je suis bien surveillé. Plusieurs salariés ont peur, il y a une politique de terreur dans notre entreprise. Ce qui nous aide à tenir, c’est toute la solidarité autour de nous. Notre lutte a dépassé le cadre de Neuhauser, des centaines d’ouvriers, partout en France, se reconnaissent dans notre combat. Ce film parle de notre vie, très peu de films le font. Il y a une vague de répression syndicale énorme en ce moment, c’est un outil nécessaire", alerte le représentant syndical.
Demain à Metz, projection du film "S'ils touchent à l'un d'entre nous" qui relate la lutte victorieuse des Neuhauser autour du syndicaliste @Portac57. Un film qui donne espoir et envie de lutter car il porte un message : il est possible de gagner contre les patrons voyous ! pic.twitter.com/aWIE0IkFwV
— Charlotte Leduc (@CharlotteLeducV) November 13, 2024
Quatre autres ouvriers licenciés
Une victoire teintée d’inquiétude pour les soutiens de Christian Porta. Depuis la réintégration du représentant syndical, d'autres ouvriers ont été licenciés. "Joseph, Guillaume, Jean-Michel et Micka : en l'espace de deux semaines, quatre de nos collègues ont été licenciés. Trois d'entre eux sont d'anciens grévistes, accusés d'avoir commis des fautes ridicules, comme s'être trompé dans les ingrédients. Clairement, ils sont visés pour avoir fait grève en solidarité avec Christian Porta, de la même manière qu'ils ont convoqué plusieurs de nos collègues pour entretien disciplinaire pendant le conflit. Aucun des faits reprochés à nos collègues n'a jamais servi à un licenciement", pouvait-on lire dans un communiqué de la CGT Neuhauser, publié le 25 octobre 2024.
Après la victoire obtenue devant les prud'hommes et le tribunal judiciaire grâce au combat des salariés, l'employeur fait preuve d'un revanchisme agressif
Maître Elsa Marcel, avocate de Christian Porta
Un point de vue que partage l’avocate de Christian Porta, qui dénonce une tentative d’intimidation. "Après la victoire obtenue devant les prud'hommes et le tribunal judiciaire grâce au combat des salariés, l'employeur fait preuve d'un revanchisme agressif. Suppression des CSE d'établissement, augmentation des intérimaires pour anticiper les remplacements en cas de grève et surtout quatre licenciements et sept convocations : c'est énorme. Ce qu'ils veulent à tout prix effacer, c'est cette fierté ouvrière que l'on voit dans le film et qui est un exemple de résistance à la répression syndicale", estime Maître Elsa Marcel, l’avocate de Christian Porta.
Nous appliquons simplement le droit disciplinaire, comme sur tous nos autres sites
Sébastien Graff, DRH du groupe InVivo
De son côté, la direction d’Invivo réfute toute tentative d'intimidation ou de répression syndicale. "Nous n’avons pas vu ce film et nous considérons que c’est une œuvre de communication politique qui n’intéresse pas l’entreprise. Quant aux quatre licenciements qui ont eu lieu récemment, nous appliquons simplement le droit disciplinaire, comme sur tous nos autres sites", soutient Sébastien Graff, le directeur général en charge des ressources humaines, de la communication et des projets stratégiques du groupe InVivo.
L’usine Neuhauser, filiale du géant agricole français InVivo, compte 280 employés dans son usine de Folschviller et produit des pains et des viennoiseries pour la grande distribution, notamment Lidl. InVivo, l'un des premiers groupes agricoles européens, possède notamment Gamm Vert, Jardiland et le groupe agroalimentaire Soufflet. Cette union de coopératives agricoles annonce 12,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploie plus de 14 000 personnes sur 90 sites répartis dans 36 pays.