L’avenir du délégué CGT de la boulangerie industrielle Neuhauser du groupe InVivo, à Folschviller en Moselle, est incertain. Si l'inspection du travail et les prud'hommes ont invalidé le licenciement de Christian Porta survenu fin avril pour "harcèlement moral", son entreprise, elle, refuse toujours de le réintégrer.
Le boulanger industriel Neuhauser, une filiale du géant agricole français InVivo, compte 280 employés dans son usine de Folschviller en Moselle et produit des pains et des viennoiseries pour la grande distribution, notamment Lidl. Christian Porta, salarié et délégué CGT au sein du site mosellan, a été licencié fin avril 2024 pour "harcèlement moral" contre sa direction et plusieurs employés. Depuis, différentes procédures judiciaires ont invalidé son licenciement mais l’entreprise refuse de réintégrer le salarié. Le bras de fer entre les deux parties, qui dure déjà depuis plusieurs mois, semble parti pour durer.
Je ne suis toujours pas réintégré et je ne peux pas exercer mon mandat syndical
Christian Porta, délégué CGT et salarié chez Neuhauser
Ce matin du mardi 23 juillet 2024 à Forbach (Moselle), plusieurs dizaines de soutiens de Christian Porta sont au rendez-vous pour exiger la réintégration du cégétiste. Deux nouvelles audiences ont lieu dans la journée, la première à 10h30 devant les prud'hommes de Forbach dans le but d'invalider la nouvelle procédure de licenciement de l'intéressé, l'autre à 15 heures devant le tribunal judiciaire de Sarreguemines visant à préserver les mandats syndicaux du cégétiste. "J’ai été mis à pied le 7 février 2024 et licencié le 23 avril, malgré les premières décisions du tribunal judiciaire de Sarreguemines et de l'inspection du travail en ma faveur. Je ne suis toujours pas réintégré et je ne peux pas exercer mon mandat syndical", déplore Christian Porta, par ailleurs militant à Révolution Permanente. Affaire à suivre, le délibéré des prud'hommes est attendu le 2 août.
Une figure médiatique du syndicalisme en Moselle
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Depuis la mise à pied de leur collègue, plusieurs salariés de Neuhauser à Folschviller ont entamé une grève reconductible pour le soutenir et protester contre son licenciement, notamment en paralysant la production par le biais d'opérations "usine morte". Pour cause, Christian Porta est l’une des figures médiatiques du syndicalisme en Moselle. Salarié depuis 2015 dans cette usine, il y a monté dès 2016 une section syndicale CGT. "Nous nous sommes fait connaître dans le territoire pour notre lutte contre les licenciements économiques, notre combat pour l’augmentation des salaires, l'obtention des 32 heures hebdomadaires payées 35 et la redistribution à des associations de denrées encore aptes à la consommation que l’entreprise voulait jeter pendant le Covid", se félicite le cégétiste.
La justice nous a donné raison lors de toutes les audiences
Maître Elsa Marcel, avocate de Christian Porta
Preuve de "la confiance qui s’est instaurée en huit ans avec les salariés, une personne sur trois est syndiquée dans cette usine (un ouvrier sur deux) et la CGT a obtenu 74% lors des dernières élections syndicales", rapporte Christian Porta. Pourtant, depuis sa mise à pied pour "harcèlement moral" envers sa direction et certains de ses collègues, le feuilleton judiciaire n’en finit pas pour le syndicaliste. Malgré les différentes décisions judiciaires rejetant son licenciement, InVivo refuse toujours l’accès au site de Neuhauser au salarié syndicaliste. "La justice nous a pourtant donné raison lors de toutes les audiences mais InVivo s’oppose toujours à la réintégration de Christian Porta et refuse de reconnaître ses mandats syndicaux", fustige Maître Elsa Marcel, son avocate.
?[DIRECT] Christian Porta aux Prud’hommes contre la procédure de licenciement de InVivo
— Révolution Permanente (@RevPermanente) June 21, 2024
« La direction veut donner un mode d'emploi à tous les patrons de France pour licencier leurs salariés » explique Christian Porta à la sortie de l'audience contre la direction, qui a relancé… pic.twitter.com/7AZtqusgPi
Nous avons reçu une vingtaine témoignages de salariés qui témoignent de cas de harcèlement de la part de Christian Porta
Sébastien Graff, DRH du groupe InVivo
La direction du groupe InVivo maintient pourtant sa position. Elle accuse toujours Christian Porta de harcèlement moral et reproche entre autres au syndicaliste d'avoir "commis des faits d’intrusion dans l’entreprise" après son licenciement. Si Christian Porta rejette ces accusations en indiquant "accomplir simplement son travail de syndicaliste", son employeur n'est pas du même avis.
"L’inspection du travail n’a pas effectué correctement son travail d’enquête et a invalidé l’accusation de harcèlement moral. Pourtant, il y a bien eu plusieurs menaces et intimidations sur la direction et les employés. Nous avons reçu une vingtaine témoignages de salariés qui décrivent des cas de harcèlement de sa part. On veut protéger ceux qui ont témoigné et qui craignent d’aller au travail. Il y a des gens qui ne dorment plus, qui se sentent menacés. Nous sommes très professionnels dans l’approche de ce dossier, nous ne pouvons pas le réintégrer dans ces conditions", soutient Sébastien Graff, le directeur général en charge des ressources humaines, de la communication et des projets stratégiques du groupe InVivo.
Le géant agricole "assume" l'éviction du syndicaliste
Le caractère "inédit" de cette affaire a transformé le duel entre Christian Porta et InVivo en une bataille d'ampleur nationale. Une tribune publiée fin mai 2024 sur Mediapart, titrée "Tentative de licencier un syndicaliste malgré le refus de l'inspection du travail : défendons les droits syndicaux", a ainsi été cosignée par plusieurs organisations syndicales, inspecteurs du travail, avocats et juristes. "On demande simplement que les décisions de justice soient respectées. Selon moi, c’est une démarche idéologique de la part d'InVivo. C'est un problème démocratique majeur, symptomatique de la vague de répression syndicale dans le pays", regrette Me Elsa Marcel. Dans ce contexte tendu et face "aux atteintes à l’exercice du droit syndical" de Neuhauser-InVivo, "le tribunal judiciaire de Sarreguemines a décidé fin mai 2024 de transmettre les éléments de la procédure au procureur de la République, en application de l’article 40 du code de procédure pénale".
Nous sommes prêts à négocier avec lui et à lui permettre une sortie par le haut pour qu’il parte et évite d'entraîner des conséquences désastreuses pour l’usine
Sébastien Graff, DRH du groupe InVivo
De son côté, InVivo ne compte pas céder. "Nous n'avons aucun problème avec les autres syndicalistes présents dans le groupe, nous sommes ouverts au dialogue. Christian Porta n'est pas un simple syndiqué. C'est un militant extrêmement virulent qui exerce une pression sur les autres employés. Il se vante, entre autres, d’avoir "viré plusieurs directeurs". Il a mis à mal le bon fonctionnement de l'entreprise, notamment avec des grèves à répétition, et a intimidé plusieurs salariés. Aujourd’hui, il est surtout soutenu par l'extérieur et a de moins en moins de soutiens internes. Par ailleurs, il s'inscrit clairement et publiquement comme un ennemi d’InVivo, alors que nous faisons vivre des milliers de personnes. Nous sommes prêts à négocier avec lui et à lui permettre une sortie par le haut pour qu’il parte et évite d'entraîner des conséquences désastreuses pour l'usine de Folschviller et ses 280 employés", insiste le DRH du groupe InVivo.
Le gars pour des raisons purement politiques encourage la destruction de l’entreprise qui l’emploie avec des milliers d’autres. Aucune mais aucune connaissance des enjeux agronomiques. Juste faire converger les luttes (petit manuel d’ agitprop appliqué à la lettre) Nous nous… https://t.co/aYozm7xW37
— Sébastien Graff (@SebastienGraff) July 21, 2024
Fin juillet 2024, plusieurs procédures judiciaires sont encore en cours dans le cadre de cette affaire. Le géant InVivo est l'un des premiers groupes agricoles européens (il possède notamment Gamm Vert, Jardiland, le groupe agroalimentaire Soufflet). Cette union de coopératives agricoles annonce 12,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploie plus de 14.000 personnes sur 90 sites répartis dans 36 pays.