La scopa, le jeu de cartes traditionnel italien, revisité par un jeune graphiste d'Hayange, "en mémoire de mes grands-parents avec qui j'y jouais pendant les fêtes"

Petit-fils d'immigrés italiens venus travailler dans la sidérurgie lorraine, Matteo Falone a décidé de redessiner le célèbre jeu de cartes en l'enrichissant de son histoire familiale. L'artiste a mis deux ans à réaliser son projet, qu'il distribue aujourd'hui partout en Lorraine et au-delà.

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Autour du cou, une croix, en or. Mais la sienne a deux branches : celles de la croix de Lorraine. Le jeune homme porte le marcel blanc et d’élégantes lunettes de soleil rondes. Le soleil commence à cogner sur les pavés messins, le graphiste installe son stand devant une librairie spécialisée. Mateo Falone présente son travail, mais surtout se tient prêt à dédicacer sa dernière œuvre : un jeu de scopa qu’il a entièrement repensé et redessiné à sa sauce.

La scopa comporte des éléments ésotériques que je tenais à explorer

Matteo Falone, artiste autodidacte

"Contrairement à ce qu’on pense, la scopa n’est pas d’origine italienne, ce sont les Espagnols qui l’ont importé sur la péninsule, et c’est pour ça qu’on retrouve le jeu aussi bien au nord qu’au sud, et même jusqu’au Maghreb" explique ce petit-fils d’immigrés italiens, arrivés à Hayange (Moselle) dans les années 60 pour graisser les laminoirs du groupe sidérurgique De Wendel, "j’ai pratiqué avec mes grands-parents maternels, qui venaient de Sicile, c’était un rituel pendant les fêtes, on était nombreux, on jouait sans fin… ça fait partie de mon héritage".

Du Metz underground à la Sicile

Après une prépa Hypokhagne à Metz, où il s’est beaucoup ennuyé, le natif de la vallée de la Fensch a embrayé sur des études de cinéma. "Je dessine depuis toujours, mais c’est à la fac que je m’y suis mis sérieusement, j’avais du temps pour ça et surtout j’ai plongé à fond dans le milieu musical de la ville, je trainais tout le temps à la Face Cachée le fameux disquaire, au Château 404 (un squat aujourd’hui évacué) et à la Chaouée (bar concerts)" se souvient le Mosellan. "Du coup je me suis mis à dessiner des affiches pour les concerts, des pochettes de disque pour les groupes, surtout des groupes de doom, pourtant je ne suis pas un fan du genre" rigole-t-il. Son univers graphique est peuplé de créatures étranges, de monstres ésotériques, de propagande libertaire et d'apocalypse nihiliste.

Aujourd’hui, Matteo termine un master en projet éditorial à Bruxelles, "péniblement" reconnait-il dans un sourire, "j’ai 24 ans, moins deux ans de Covid". Les confinements ont emporté ses grands-parents maternels. Le projet de revisiter la scopa est né de ces deux événements. "Je me suis retrouvé de retour chez mes parents au Konacker, enfermé" explique-t-il, "le projet a germé petit à petit en 2020, et s’est concrétisé en mai 2022 avec la sortie du jeu à 500 exemplaires".

Le travail de documentation a été long, "il n’existe pas beaucoup de données écrites, la culture est orale", mais le graphiste tenait à mener une étude ethnographique, pour comprendre l’arrière-plan du jeu : "sur chaque carte on trouve des éléments étranges, qui n’ont a priori rien à faire là… comme ce chien par exemple". Matteo interroge ses connaissances, et livre ses découvertes dans un petit livret glissé dans le jeu de cartes, en français et en italien. Il détaille le sens caché des cartes, "même s’il n’est pas utilisé dans un but divinatoire, il comporte des éléments ésotériques que je tenais à explorer". Et notamment parce que l’artiste a entièrement redessiné les cartes "à la plume et à l’encre de Chine". Il a incorporé son histoire familiale dans le jeu, ainsi que ses convictions : "j’étais embêté par les rois… comme je suis un anarchiste j’ai trouvé la solution, je les ai dessinés avec la tête coupée !".

La scopa, une tradition familiale

Sa famille est désormais dans le jeu, "j’ai relu les textes de ma grand-mère, j’ai récupéré les outils que mon grand-père s’était fabriqués quand on a vidé la maison, tout ça a nourri mes dessins".

Etrangement, le jeune homme n’était pas familier du monde de l’édition, ni même de l’informatique dédiée au graphisme : "j’ai tout appris pour l’occasion, à me servir de Photoshop, à comprendre les contraintes des imprimeurs, et maintenant j’apprends la distribution auprès du public".

Présenter sa version de la scopa en Sicile

Matteo a reçu le soutien d’une association de la vallée de la Fensch, le Berceau du Faire, qui a soutenu l'édition. Ses bénévoles ont aussi aidé à couper et plier les 500 jeux. Entre deux chapitres de son histoire, il prend le temps de dédicacer ses jeux à des passants motivés, qui sont venus spécialement pour l’acheter et en parler. Le rituel est le même : "d’où tu viens, tes parents ils sont d’où ? Tu connais les règles ?". Pour chacun, l’artiste redessine une carte, celle que l’acheteur a choisie : "j’ai oublié mon compas, alors je ne peux pas dessiner des soleils, je ferai des citrons, ça te va ?".

Comment beaucoup d’enfants d’immigrés de la vallée, Matteo reconnait qu’il fantasme largement son pays d’origine : "c’est pour ça que je veux retourner en Sicile pour présenter mon jeu, pour confronter l’idée que je me suis faite avec la réalité contemporaine". S’il cultive volontairement la nostalgie de ce qu’il n’a pas vécu, c’est avec des convictions chevillées au corps. Son travail n’a rien d’une quête identitaire aux relents nauséabonds. A Hayange où il a grandi, l’anti-fascisme n’a pas dit son dernier mot.

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