Coronavirus : "la Syrie en paiera le prix comme elle a payé le prix de la guerre" prédit le médecin messin Raphaël Pitti

Officiellement, aucun cas de coronavirus n’a été déclaré en Syrie ce mercredi 18 mars 2020. Malgré la propagation du virus chez ses voisins. En pleine crise humanitaire, le pays saura-t-il faire face à cette pandémie? Le point avec le Dr Raphael Pitti, souvent intervenu dans le pays.
 

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Le risque d’une apparition du Covid-19 en Syrie est particulièrement préoccupant. La raison? Pendant 9 ans –depuis mars 2011- l’ensemble des infrastructures sanitaires du pays a été la cible de plusieurs bombardements par l’armée du régime et les troupes de son allié russe.
Le professeur Raphaël Pitti, est médecin humanitaire et anesthésiste réanimateur. Le spécialiste a beaucoup travaillé en Syrie ces dernières années comme médecin de guerre. Lors d'un échange, mardi 17 mars 2020, il nous a donné son point de vue sur le système sanitaire syrien.

Crise humanitaire

Officiellement aucun cas de Covid-19 n’a encore été signalé en Syrie, alors que tous ses voisins, Liban, Irak, Turquie, Jordanie et Israël sont touchés, pensez-vous que le gouvernement syrien cache la vérité?
- Bien évidemment, mais ce n’est pas seulement qu’il a caché la vérité, c’est que aussi, compte tenu de la situation, c’est-à-dire l’effondrement de leur système sanitaire, le régime n’a certainement pas les moyens de réaliser les tests de diagnostic du coronavirus. Aujourd’hui, le système sanitaire syrien, dans son ensemble, est complètement détruit et qu’il ne peut absolument pas faire face à une situation épidémique comme celle-ci qui se surajoute à la crise sanitaire qu’il y a déjà.

Selon l’ONU, la situation actuelle en Syrie, représente la "plus grosse crise" humanitaire dans le monde. En cas d’apparition de cas de coronavirus dans le pays, pourrait-on parler d’une nouvelle catastrophe humanitaire?
- Oui. Elle se surajoute. Surtout dans une population qui est complètement dans une situation de précarité, de dénouement total. Ce sont ces millions de personnes qui sont déplacées le long de la frontière turque en particulier et exposées de surcroit aux intempéries. Il fait extrêmement froid et donc tout cela est de nature au contraire à faciliter la propagation du virus. Elles (les personnes déplacées) sont entassées, très proches des unes des autres dans des conditions qui sont extrêmement difficiles. Oui il y a un risque épidémique, non seulement le virus de coronavirus, mais aussi la rougeole et toutes les maladies saisonnières que l’on connait.

La région d’Idleb est la zone la plus touchée ces derniers mois –depuis décembre 2019- à cause des combats entre le régime syrien et le régime turc. Pensez-vous que c’est la région la plus vulnérable à la pandémie et comment pourrait-on y faire face ?
- Oui c’est la région la plus exposée, la plus vulnérable face au Covid-19. Et je pense que c’est inimaginable que l’on puisse mettre en place un certain nombre de dispositions pour y faire face. Surtout le confinement. Cette population, tous les jours, sort pour essayer de trouver à manger. Tous les jours, elle fait la queue pour essayer d’obtenir des soins ou de la nourriture. C’est une population qui est extrêmement exposée.

"Une population abandonnée par la communauté internationale"

Aujourd’hui, le monde entier fait face à la propagation du Covid-19. Le monde vit au ralenti. C’est la quarantaine partout à travers le monde. Tous les pays, notamment les grandes puissances, luttent contre la progression du virus. Que pourrait faire la communauté internationale pour aider la Syrie en cas d’apparition et de propagation de la pandémie ?
- La communauté internationale n’a rien fait pour la population syrienne en 9 ans. Celle-ci a subi toutes les exactions possibles et inimaginables, des crimes de guerre, tous les délits de droit international. Je ne crois pas aujourd’hui que la communauté internationale va se préoccuper de la situation sanitaire en Syrie. Elle ne s’en est pas préoccupée jusqu’à maintenant, elle ne s’en préoccupera pas plus aussi. Elle a détourné son visage de ce qui se passe en Syrie, elle continuera à le détourner pour se concentrer sur elle.  C’est ce que nous faisons tous dans nos pays occidentaux surdéveloppés. La population syrienne sera livrée à elle-même. Il n’y a pas d’illusions là-dessus. Ça fait 9 ans que la population a été abandonnée sur le plan humanitaire, pourquoi aujourd’hui aurait-il un sursaut ?

Bien entendu, l’ONU ou l’OMS pourra mettre en place des systèmes de diagnostic au niveau des zones qui sont contrôlées par le régime pour qu’on puisse faire le dépistage, mais les capacités de réanimation qui sont liées à l’atteinte respiratoire sont tellement lourdes à mettre en place, je ne vois pas comment nous pourrions tenter de sauver du monde sur le plan ventilatoire. Il y a manque d’oxygène, manque de respirateurs sophistiqués, manque de service de réanimation, manque de réanimateurs et manque de personnels soignants. Tous ces manques-là sont tellement importants dans le pays que je ne vois pas quel est le pays qui pourrait apporter tout ce dont  la Syrie peut en avoir besoin. Le pays, malheureusement, paiera le prix de l’épidémie comme il a payé le prix de la guerre.

 
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